Pensions complémentaires – Efficience de la politique publique d’incitants sociaux et fiscaux

La Cour des comptes a examiné l’efficience de la politique publique visant à encourager la constitution de pensions complémentaires. En 2019, les pensions complémentaires concernaient environ 75% de la population active. Le constat principal de la Cour est que la politique publique actuelle en matière de pensions complémentaires aboutit à une situation inéquitable et qu’elle n’atteint pas son objectif de fournir un complément équilibré à la pension légale pour un très grand nombre de bénéficiaires.
Par ailleurs, la politique publique offre de larges possibilités d’optimisation de la charge fiscale et sociale. Cette politique d’optimisation des revenus a une incidence importante pour les finances publiques. En outre, les mécanismes régulateurs de cette politique ne sont pas appliqués efficacement. Ces constats s’inscrivent dans un contexte de manque d’unité dans la gestion des données sur les pensions complémentaires.


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Synthèse

Pour encourager la constitution des pensions complémentaires, le législateur a prévu des incitants sociaux (taux réduits de cotisations sociales) et des incitants fiscaux (une déduction fiscale des versements à 100 %, entre autres).


En 2019, les pensions complémentaires concernaient 3,8 millions d’affiliés, soit environ 75 % de la population active totale, salariés et indépendants confondus. Les réserves acquises par les affiliés s’élevaient à 85,6 milliards d’euros.



La Cour des comptes constate toutefois une disparité importante dans la répartition de ces réserves. Parmi les salariés proches de la retraite, 10 % ont des réserves acquises de maximum 443,8 euros pour leur carrière prestée en tant que salariés, tandis que 10 % des salariés ont des réserves entre 200.000 euros et 8 millions d’euros. En 2017, 1 % des retraités ont bénéficié de 20 % du montant total des pensions complémentaires versées, tandis que 70 % des retraités ont perçu ensemble 10 % des pensions complémentaires versées.


La Cour constate, d’une part, que le complément à la pension légale que constitue la pension complémentaire est modeste pour le plus grand nombre et, d’autre part, que la politique publique offre de larges possibilités d’optimisation de la charge sociale et fiscale pour un petit nombre de bénéficiaires. L’absence de plafonnement de plusieurs dispositifs de pensions complémentaires diminue dans les faits le niveau des charges sociales et fiscales des plus hauts revenus, ce qui dépasse la volonté explicite du législateur.


Cette politique d’optimisation des revenus a une incidence pour les finances publiques. Le manque à gagner théorique en cotisations sociales peut être estimé à 611,6 millions d’euros pour les salariés et à 254,9 millions d’euros pour les indépendants (données 2018).


Pour chaque statut, environ 100 millions d’euros de ce manque à gagner annuel ont favorisé la constitution de pensions complémentaires élevées (via des versements de plus de 30.000 euros par an). L’incidence fiscale n’est pas calculable faute d’indicateurs. En 2018, les employeurs et les sociétés avec dirigeants d’entreprise indépendants ont effectué des versements pour pensions complémentaires s’élevant à 5,2 milliards d’euros. Or il est possible qu’une partie de ces versements aient été déduits à tort de la base taxable à l’impôt des sociétés.

En effet, les mécanismes régulateurs de cette politique publique, tant au niveau fiscal que social, ne sont pas appliqués efficacement.


Au niveau fiscal, la règle des 80 % (qui limite la déductibilité des primes versées en tant que frais professionnels) est difficile à contrôler par le SPF Finances, notamment parce que certains paramètres indispensables pour son calcul n’ont toujours pas été déterminés par arrêté royal. Cette règle ancienne, complexe à appliquer et à contrôler, n’est plus adaptée à la réalité actuelle des pensions complémentaires ; une version simplifiée avait pourtant été proposée en 2004 par un groupe de travail ad hoc.


En outre, la sanction fiscale en cas de non-déclaration (ou déclaration non conforme) à DB2P, la banque de données des pensions complémentaires gérée par Sigedis, n’est pas appliquée efficacement par le SPF Finances. Cette sanction, qui consiste à refuser totalement la déduction des primes versées, n’est pas proportionnée au manquement constaté et ne frappe pas nécessairement le déclarant défaillant. Elle exigerait que le SPF Finances demande à Sigedis les données utiles à son application, ce qu’il ne fait pas. De manière générale, le SPF Finances n’a pas accompli les démarches nécessaires, auprès de Sigedis et au sein du groupe de travail DB2P, pour obtenir les données lui permettant de contrôler de manière ciblée la déductibilité des primes versées (détection des abus éventuels du back-service, données distinctes sur les participations bénéficiaires, etc.).


La Cour des comptes recommande au législateur d’adopter un dispositif de limitation de la déductibilité des versements qui soit simple et adapté à la situation actuelle en matière de pensions complémentaires. Elle lui recommande également de remplacer la sanction fiscale actuelle par une sanction administrative, proportionnée et plus facile à appliquer.
La Cour recommande au SPF Finances de participer au groupe de travail technique DB2P et de préciser les données qui sont nécessaires à la réalisation de ses contrôles en matière de pensions complémentaires.



Le mécanisme régulateur au niveau social, à savoir la cotisation Wijninckx, qui consiste à appliquer une cotisation supplémentaire de 3 % sur l’augmentation des réserves de pensions complémentaires en cas de pension complémentaire élevée, est également défaillant. Suite à une modification récente dans son mode de calcul, les recettes de cotisations sociales ont diminué. En outre, les réserves acquises à atteindre pour être redevable de cette cotisation sont désormais très élevées (par exemple, près d’un million d’euros pour un affilié avec une ancienneté de 30 ans). Dans un tel contexte, maintenir un taux de cotisation à 3 % est inefficient. Si les taux classiques de cotisations sociales avaient été appliqués à la place du taux de 3 %, les recettes supplémentaires auraient été de 53,3 millions d’euros pour la Gestion globale des salariés et de 11,2 millions d’euros pour la Gestion globale des indépendants (données 2019).



La Cour des comptes recommande d’appliquer les taux classiques de cotisations sociales en cas de dépassement du seuil Wijninckx.


Ces constats s’inscrivent dans un contexte de manque d’unité dans la gestion des données sur les pensions complémentaires. Les données relatives aux engagements, aux primes et aux réserves sont dans DB2P (gérée par Sigedis) ; les données relatives au paiement des prestations sont dans le cadastre des pensions (géré par le Service fédéral des pensions). Il n’y a pas de lien entre ces deux banques de données. Cette gestion par deux entités différentes n’est pas efficace. En 2017, près de la moitié des réserves acquises figurant dans DB2P n’avaient pas été déclarées au cadastre lors de leurs paiements.


La Cour des comptes recommande au législateur de confier à un acteur unique la gestion de l’ensemble des données sur les pensions complémentaires, y compris celles relatives au paiement des prestations.

Source : Cour des comptes, Pensions complémentaires – Efficience de la politique publique d’incitants sociaux et fiscaux, décembre 2020


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