Un automobiliste énervé a forcé un piquet de grève hier, blessant au passage deux grévistes. L’occasion de revenir sur la légalité des piquets organisés sur la voie publique.
Sans définition légale, on considère généralement la grève comme "l’abstention collective et concertée, par un groupe de salariés, de l’exécution du travail dans le but immédiat d’enrayer la marche d’une ou de plusieurs entreprises en vue de faire pression soit sur des employeurs, soit sur un tiers."
Stricto sensu, l’organisation de piquets de grève (sur la voie publique ou non), de même que le blocage ou l’occupation d’entreprise ne font par partie du droit de grève. Cependant, la jurisprudence internationale accepte de plus en plus les piquets de grèves comme une extension du droit de grève lui donnant effectivité comme action d’encouragement des grévistes ou de dissuasion des non-grévistes.
Mais ces "actes détachables" de la grève, comme on les appelle, peuvent être interdits s’ils constituent une voie de fait, notamment lorsqu’ils s’accompagnent de violences, de déprédations aux biens, de comportements délictueux ou d’atteintes exagérées au droit de propriété de l’employeur ou aux droits des tiers et des non-grévistes.
Dans le cas de cet accident, le piquet était clairement installé sur une route publique, entravant ainsi l’accès des usagers de la route, ce qui a d’ailleurs – sans l’excuser aucunement – mené à cet accrochage. Ce qui pose la question de la légalité de ce piquet, au regard de l’article 406, § 1ᵉʳ, du Code pénal qui incrimine l’"entrave méchante à la circulation".
Ceci implique de comprendre si le terme "méchante"ajouté en 1963 à ce texte centenaire, implique que la seule volonté de bloquer la route suffise ou s’il exige que le blocage de la route poursuive une finalité "méchante", ce qui rendrait beaucoup plus difficile de condamner un gréviste.
Les deux thèses ont été rencontrées en jurisprudence notamment devant la cour du travail d’Anvers en 2019, avec un piquet de grève qui avait été installé sur une intersection de plusieurs routes situées à proximité du port d’Anvers. La Cour avait considéré que le seul blocage de la voie constituait l’atteinte méchante.
Mais l’incident de Cheratte, où le 19 octobre 2015, dans le cadre d’une autre grève générale, l’autoroute A30/E40 fut bloqué à hauteur du pont de Cheratte pendant plusieurs heures avec plusieurs incidents à la clé (dont l’un impliquant un médecin rendu incapable de se rendre à une urgence) ont permis d’encore préciser les choses.
Ainsi, plusieurs grévistes, y compris des délégués syndicaux, avaient été condamnés en première instance et en appel pour entrave méchante à la circulation alors qu’ils évoquaient leur droit à la grève comme justifiant le blocage.
Dans un arrêt du 23 mars 2022, la Cour de cassation avait confirmé sa jurisprudence du 7 janvier 2020 en décidant que les piquets de grève bloquant la voie publique sont pénalement interdits pour des motifs de sécurité routière. Participer à une action syndicale n’octroyait donc aucune impunité aux auteurs d’un tel blocage, selon la Cour.
Saisie par les grévistes condamnés, dans un arrêt tout récent du 16 janvier 2025 (Affaire Bodson & autres), la Cour européenne des droits de l’homme vient précisément de donner raison à la Belgique en confirmant que droit de grève, tel qu’il est garanti par l’article 11 de la Convention, n’inclut pas le droit pour un syndicat ou ses membres de pratiquer des blocages de la voie publique qui, opérés sans autorisation préalable, provoqueraient une paralysie complète de la circulation sur un grand axe autoroutier durant plusieurs heures, en perturbant considérablement la vie quotidienne et les activités licites de personnes non impliquées dans cette action et en créant une situation de danger pour les usagers.
En rappelant aussi, que pour un gréviste impliqué dans une telle voie de fait, un licenciement pour motif grave pourrait être évoqué.
Ceci étant dit, il faudra examiner les circonstances de l’espèce et il n’est pas certain que l’incident survenu lundi procède d’une telle entrave méchante, notamment vu le caractère restreint de la voirie concernée (une petite route) et le fait que le barrage ne semblait pas absolu, certains véhicules étant autorisés à le franchir à la manière d’un barrage filtrant. En tout état de cause, rien n’autorisait la violence à l’égard des grévistes.