Voici un amateur d’art qui acquiert à bon compte un tableau en vente publique. Il le revend quelque temps plus tard avec une coquette plus-value. Celle-ci échappera, le plus souvent, à l’impôt des personnes physiques. Attention toutefois, car le fisc est tapi en embuscade…
La plus-value réalisée par une personne physique, à l’occasion de la vente d’une œuvre d’art, est exonérée d’impôt des personnes physiques dans la mesure où l’opération relève de la « gestion normale du patrimoine privé ». En pratique, le respect de cette condition ne devrait pas être source d’inquiétude. Cependant, le fisc n’hésite pas à considérer, dans certains cas, que l’opération a un caractère spéculatif et/ou excède les limites de la gestion normale du patrimoine privé, en vue de taxer la plus-value au titre de revenus divers au taux de 33%. La récente affaire tranchée par la Cour d’appel de Bruxelles dans un arrêt du 6 juin 2019 l’illustre de manière éloquente.
Pour bien comprendre cette décision, un petit rappel théorique n’est pas superflu.
Le législateur fiscal n’a pas pris soin de définir l’expression de « gestion normale du patrimoine privé » ; celle-ci est ainsi une source inépuisable de litiges, donc de procès lourds, hasardeux et coûteux. La jurisprudence a dégagé une série de critères permettant de faire le tri entre les opérations (exonérées) relevant de la gestion normale du patrimoine privé et les opérations (taxables) spéculatives ou excédant la sphère d’une gestion normale du patrimoine. On peut citer, à cet égard, le recours à l’emprunt, la prise de risque, la présence d’une intention spéculative, la répétition des opérations, les méthodes utilisées (organisation favorisant la vente dans les meilleures conditions), l’expérience ou la connaissance du contribuable dans le domaine, etc.
S’agissant de notre amateur d’art, il faudra donc avoir notamment égard aux éléments suivants pour évaluer le risque d’imposition de sa plus-value:
Dans l’espèce soumise à la Cour d’appel de Bruxelles, un étudiant en histoire de l’art à l’UBL avait acquis en vente publique un tableau non signé et non daté, attribué à Vincent Van Gogh. Il n’exerçait aucune activité professionnelle rémunérée et était dépendant financièrement de ses parents. Il avait financé le prix d’achat – qui s’élevait à 2.640.000 FB - par une ouverture de crédit garantie par ses parents. Il avait revendu le tableau un an plus tard à la société familiale pour la somme de 8.750.000 FB, en vue de rembourser son crédit bancaire. L’administration fiscale avait soutenu que la plus-value devait être imposée au titre de revenu divers, en invoquant notamment le recours à l’emprunt, les connaissances du contribuable dans le domaine artistique et la présence d’une intention spéculative. Selon le fisc, le contribuable avait ainsi acquis le tableau dans le but de le revendre à la société familiale –dont il est devenu le gérant- avec une plus-value, et non pas pour l’intégrer de manière durable dans son patrimoine privé.
La Cour d’appel a débouté le fisc, considérant que le contribuable n’était animé d’aucune intention spéculative.
Aux yeux des magistrats bruxellois, le contribuable avait acheté un tableau attribué à Van Gogh pour enrichir son patrimoine privé, en réalisant par la même occasion un rêve d’adolescent. Il ne l’a revendu qu’à contrecœur à la société familiale -de manière à ce que le tableau reste dans le giron familial-, sous la pression de la banque et de ses parents, afin de rembourser sa dette à la banque. Selon la Cour, la vente du tableau s’inscrivait, dans ce contexte, dans le cadre d’une gestion normale du patrimoine du contribuable.