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Pourquoi De Gaulle disait juste!

Au-delà du cynisme apparent et des horreurs des guerres qui jalonnent l’histoire, Donald Trump se révèle un génie des affaires militaires, un stratège qui manipule les équilibres géopolitiques avec une audace déconcertante.


Dès son retour au pouvoir en 2025, il désengage les États-Unis du soutien militaire à l’Ukraine, une décision qui pourrait sembler brutale, mais qui traduit une conscience aiguë des lignes rouges avec la Russie.

Concomitamment, il orchestre un retrait subreptice des États-Unis de l’OTAN, une organisation qu’il a toujours critiquée comme obsolète et coûteuse pour les contribuables américains. Ce désengagement n’est pas un abandon pur et simple : il force les nations européennes à se réarmer face à une Russie qu’il perçoit comme un adversaire nécessaire à neutraliser, tout en cultivant avec elle une entente tacite. Cette duplicité — s’entendre avec Moscou tout en armant l’Europe contre elle — est un coup de maître qui rappelle les jeux d’échecs les plus complexes.

Ce réarmement européen, inévitable dans ce scénario, s’effectuera par un achat massif d’armes américaines – les seules disponibles en quantité et en homogénéité suffisantes pour répondre à une urgence militaire. Les États-Unis, leaders incontestés de l’industrie de défense avec des fleurons comme Lockheed Martin ou Raytheon, deviendront ainsi les fournisseurs exclusifs d’un continent en quête de protection. Mais le piège est subtil : ces équipements, qu’il s’agisse de chasseurs F-35, de systèmes antimissiles Patriot ou de blindés, seront livrés avec une dépendance technologique intégrée. Trump, en homme d’affaires avisé, sait que les États-Unis conserveront la capacité de désactiver ce matériel à distance si jamais il était utilisé contre la Russie. Ainsi, l’Europe se retrouvera à dépenser des milliards pour une défense qui, paradoxalement, restera sous contrôle américain.

Les conséquences de cette politique sont vertigineuses. Les dépenses militaires européennes, désormais sans limites, exploseront dans une cacophonie totale. Chaque pays, tiraillé entre ses priorités nationales et ses alliances fragiles, cherchera des accords bilatéraux ou régionaux — la France avec l’Allemagne, par exemple, ou la Pologne avec les États baltes — sans jamais parvenir à une armée européenne unifiée. Si une telle armée avait vu le jour, elle aurait été entravée par des matériels hétérogènes, fruit des divergences industrielles et politiques du continent. À cela s’ajoute la réticence de certains États, comme la Hongrie de Viktor Orbán, qui refuse de s’aligner sur une posture anti-russe trop marquée, ou encore des nations neutres comme l’Autriche ou la Suisse, qui resteront en marge. Cette fragmentation garantit une Europe militairement dépendante des États-Unis, incapable de s’affranchir de l’ombre de Washington, tout en enrichissant l’industrie américaine de la défense.

Face à ce tableau, il faut se tourner vers les prophéties de Charles de Gaulle, si bien retranscrites par Alain Peyrefitte dans « C’était de Gaulle ». Le général, visionnaire lucide, croyait en la nécessité d’un monde dominé par deux superpuissances — les États-Unis et la Russie (alors l’URSS) — dont les hégémonies mutuellement neutralisantes préserveraient un certain équilibre global. Mais il redoutait que cet affrontement ne transforme l’Europe en champ de bataille, un risque qu’il jugeait inacceptable pour la souveraineté française et européenne.

C’est pourquoi, dès 1966, il retira la France du commandement militaire intégré de l’OTAN et développa une dissuasion nucléaire autonome, la fameuse « force de frappe », pour garantir une indépendance stratégique. De Gaulle voyait dans cette autonomie une réponse à la dépendance technologique incarnée par le cas du Royaume-Uni. Ce dernier, après avoir acquis les fusées Polaris auprès des États-Unis dans les années 1960 (via l’accord de Nassau de 1962), s’était doté d’une capacité nucléaire sous contrôle partiel américain. Les fusées Polaris britanniques, bien que déployées par Londres, dépendaient de Washington pour leur maintenance, leurs mises à jour et même leur viabilité opérationnelle, une servitude que de Gaulle jugeait incompatible avec une véritable souveraineté.

Cette dépendance britannique explique pourquoi de Gaulle opposa un veto catégorique à l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’Union européenne, par deux fois, en 1963 et 1967. Pour lui, intégrer le Royaume-Uni, c’était ouvrir la porte à une influence américaine directe sur le projet européen, transformant la CEE en une extension des intérêts de Washington. Il craignait que l’Europe ne devienne une simple pièce dans l’échiquier stratégique des États-Unis, un pion sacrifiable dans une guerre froide — ou chaude — entre superpuissances. L’affaire des fusées Polaris était pour lui un symbole : une arme nucléaire qui n’appartenait qu’à moitié à ceux qui la possédaient, un compromis qu’il refusait pour la France et qu’il voulait épargner à l’Europe.

Si l’on remplace les fusées Polaris par le F-35 dans le contexte actuel, les parallèles sautent aux yeux. Le F-35, fleuron de l’aviation militaire américaine, est vendu à de nombreux alliés européens (Pays-Bas, Italie, Norvège, etc.), mais reste sous la coupe technologique des États-Unis. Les logiciels qui le contrôlent, les mises à jour critiques et même les pièces détachées dépendent de Lockheed Martin et du Pentagone, créant une dépendance similaire à celle des Polaris britanniques.

Sous Trump, cette logique s’amplifie : en forçant l’Europe à acheter ces équipements pour se réarmer, il s’assure que toute défense européenne reste subordonnée aux intérêts américains, exactement comme de Gaulle le redoutait. Les pays européens, pris dans ce piège, dépenseront des fortunes pour des armées nationales modernes, mais bridées, incapables de s’unir ou de défier les États-Unis – ou même la Russie, si Trump le décide.

Le génie de Trump, dans cette stratégie, réside dans sa capacité à transformer une retraite apparente — le désengagement de l’OTAN ou de l’Ukraine — en une opportunité économique et géopolitique. Il réinvente l’hégémonie américaine non pas par une présence militaire directe, mais par une domination via les exportations d’armes et une neutralisation des ambitions européennes. De Gaulle, s’il vivait aujourd’hui, y verrait sans doute une confirmation de ses craintes : une Europe vassalisée, incapable de s’émanciper, coincée entre une Russie menaçante et un allié américain qui la tient en laisse.

L’affaire des Polaris, hier, et celle des F-35, aujourd’hui, sont les deux faces d’une même médaille : une souveraineté européenne étouffée par des liens transatlantiques que Trump sait rendre à la fois indispensables et paralysants.

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