Pourquoi la taxe GAFA à la française est un enjôlement politique ?

L’évasion fiscale est une réalité qui n’est pas nouvelle. Souvent utilisée dans le cadre du vaste débat sur la lutte contre la fraude fiscale, elle est d’abord la réalité vivante des acteurs mondiaux de nos économies, aux premiers plans desquels nous retrouvons les acteurs numériques.
Si s’attaquer à cette injustice paraît louable, elle est dans les faits un leurre politique que nous pourrions combattre bien plus efficacement en dépassant l’ambition à court terme, tel que l’ambitionne l’OCDE. Explications.
L’évasion fiscale est un problème de base, pas de taux.


Premier fait de l’évasion fiscale à rappeler

Ce n’est pas l’agressivité d’un taux qui produit l’essence d’une défiscalisation des grands acteurs mondiaux, mais bien la disparition de ses bases imposables. Les exemples sont nombreux, mais tous se ressemblent. Avec un ISOC à 12,5%, l’Irlande fait partie des pays pointés du doigt. Dans l’affaire Apple, ses filiales irlandaises, centres de profits issus de la vente de ses appareils en Europe et sa proximité, bénéficient d'un régime lui permettant de transférer une bonne partie de ses bénéfices à des maisons mères localisées dans des paradis fiscaux. La Commission a estimé que le taux d'imposition effectif de ses filiales irlandaises était inférieur à 1 % et a demandé au pays le remboursement de 13 milliards d’impôts.


Ces réalités d’évasion fiscale produisent une conséquence immédiate : les grands acteurs du numérique contribuent faiblement aux caisses des États, même si les réactions (notamment de la Commission) ont pour effet de s’attaquer avec un succès progressif aux régimes les plus agressifs.


Taxer sur base forfaitaire, c’est faire aveu de faillite

De là à vouloir régler l’injustice, il y a un pas que la France franchit en plastronnant. Ainsi, lorsque la France impose une taxe numérique à concurrence de 3% sur les acteurs de plus de 750 millions d’euros, elle parait forte et juste. « Des multinationales américaines, européennes ou chinoises ont une activité digitale, parfois sans présence physique dans un territoire, et ne paient que peu ou pas d'impôt » déclarait encore il y a quelques jours Bruno Le Maire, ministre de l’économie français.


En réalité, la France fait aveu de faiblesse. Car elle admet d’abord qu’elle ne veut taxer que les géants, mais surtout qu’elle envisage de le faire comme on taxe « un produit de consommation », c’est-à-dire comme on peut taxer un carburant ou une cigarette (on parle alors d’accises). Mais, dans cette situation, cet impôt est très facilement assimilable par l’opérateur mondial comme une taxe locale que l’on va simplement répercuter dans le prix de marché : la publicité française deviendra simplement 3% plus onéreuse et le consommateur final sera le « cochon payeur ».


L’enjeu est politique, la réponse doit l’être également

Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ne recherchent qu’une chose : entretenir leur hégémonie technologique et économique. Pour ce faire, ils utilisent leur superpuissance et n’hésitent pas à l’utiliser pour réduire leur base imposable. Mais l’impôt n’est qu’un « moindre mal » pour l’acteur économique surpuissant. En 2017, dans l’affaire Apple, celle-ci déclarait clairement que «Apple croit en la responsabilité de chaque entreprise de payer ses impôts et, en tant que plus important contribuable au monde, Apple paie chaque dollar dû dans chaque pays du monde». Et ils ne renonceront pas à la contribution si cette contribution est un ingrédient de sa mainmise économique. Tim Cook, patron d’Apple, déclarait d’ailleurs en 2016 qu’il respectait toujours les règles en vigueur.


En créant sa taxe GAFA, la France rugit sur des valeurs d’équité, mais sa vraie motivation est la manne budgétaire à court terme que cette action représente (entre 400 et 700 milliards d’euros à CT).


C’est d’ailleurs pour la même raison que les États-Unis brandissent la menace d’une réaction envers des produits français comme le vin, car face à la menace d’une délocalisation d’une partie des revenus américains vers des territoires extérieurs, l’oncle Sam ne renonce jamais. La France, seule contre tous, vient de suggérer le mécanisme au G7 qui ne l’a pas balayé d’une main, tout en chargeant subtilement l’OCDE de revenir avec une proposition sur ce plan.


Le Président Macron a bien réussi son pari de s’approprier une victoire fiscale symbolique, et très rentable à CT, mais sur le long terme, son succès sera mesuré en fonction du rapport de force entre états, ce qui me laisse circonspect sur la conclusion dans le contexte géopolitique actuel.


Le vrai enjeu : taxer l’extra-territorialité

Pascal Saint-Amans, patron (français) de l’OCDE a bien rappelé l’enjeu de la fiscalité des GAFA (et du numérique plus généralement) : taxer une entreprise bien qu’elle ne soit pas présente sur le territoire où elle génère du « business ». Autre enjeu ultime, celui d’imposer un minimum les bénéfices.


L’OCDE entend revenir lors du prochain G7 de Washington avec une proposition concrète sur ces thèmes. Mais quelle est la chance réelle d’imposer à des états superstars tels que les USA ou la Chine, un modèle multilatéral à CT… Poser la question, c’est nécessairement y répondre.


Le vrai risque : produire des diamantaires numériques

On pourrait donc croire que tout va bien : la France ouvre la porte à une taxation mondiale. Mais c’est bien là le leurre. Elle ouvre effectivement la porte à une taxation « des diamantaires » (taxe forfaitaire réduite appliquée aux diamantaires anversois), c’est-à-dire qu’en acceptant de taxer faiblement et forfaitairement un montant colossal, chaque état y trouve à court terme une solution budgétaire alors que dans les faits, ils admettent une taxation très faible sur une base surréaliste.


De plus, et cela aussi est un grand classique, il engrange une masse d’impôts sans contrepartie pour les acteurs économiques nationaux, qui seront pourtant les seuls payeurs effectifs. À la clé, un seul et unique vainqueur : les GAFA. Ils s’éloigneront rapidement de l’idée qu’ils envisageaient encore il y a peu d’être taxés justement au bon endroit, tout en respectant les « nouvelles règles du petit forfait fiscal » …


Cet aveu de faiblesse est le produit d’une globalisation dans laquelle nos États renoncent systématiquement à défaut de formuler une réponse juste et performante. Fanfaronnante la France s’évertue à apparaitre comme le nouveau « Robin des bois du numérique », elle est pourtant tout simplement le maillon faible, faiblement dédommagé d’un monde global, si difficilement appréhendable.

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