Il est impossible ces derniers temps d'échapper aux débats autour de la réforme fiscale qui occupe le gouvernement. Alors que le rapport du Conseil Supérieur des Finances va fêter son deuxième anniversaire, celui du ministre – « épure pour une vaste réforme fiscale » va quant à lui souffler sa première bougie. La complexité redoutable de notre système fiscal, combinée aux jeux traditionnels de coalition, semble pourtant nous conduire vers un statu quo presque inévitable.
Dans cette perspective, la théorie de John Nash est plus que jamais d’actualité pour comprendre le mécanisme d’action (ou d’inaction) de nos décideurs. Selon sa théorie, un équilibre est atteint lorsque chaque joueur, connaissant les actions des autres joueurs, ne peut pas améliorer son propre gain en changeant unilatéralement de stratégie. A priori, chaque parti devrait avoir en commun la maximisation du bien-être global des citoyens. Mais la priorité reste pour chaque parti de satisfaire ses électeurs et maximiser ses gains politiques. La situation d’une négociation politique peut être assimilée au dilemme collectif. Les parties peuvent choisir entre coopérer et obtenir un résultat optimal collectif, ou à l’inverse maximiser le résultat individuel, au détriment de l’intérêt général.
Dans certains cas, les négociations politiques peuvent aussi être perçues comme des jeux à somme nulle, où les gains d'un acteur correspondent aux pertes des autres acteurs. Les partis politiques peuvent alors adopter une mentalité compétitive et chercher à maximiser leurs propres gains aux dépens des autres. Cette mentalité peut conduire à des confrontations et des impasses qui empêchent l'émergence d'un accord bénéfique pour toutes les parties.
D'autres notions telles que la théorie des jeux répétés peuvent s’avérer éclairantes. Les partis politiques peuvent adopter des stratégies de réciprocité, où ils réagissent aux actions des autres en fonction de leur comportement passé. La recherche d'un équilibre peut alors impliquer des compromis et des concessions à court terme pour favoriser la coopération à long terme (ou sur d'autres dossiers…).
Toute réforme fiscale profonde semble par conséquent extrêmement compliquée à mettre en œuvre. Un équilibre – et donc une réforme - reste toutefois possible, même s’il est peu probable que celui-ci soit optimal. Quelques ajustements dans l’approche pourraient toutefois faciliter l’obtention d’un résultat.
Au-delà de l'incertitude quant à la réalisation effective d'une réforme, ce qui est probablement le plus frappant, c'est l'absence de messages positifs à l'égard des entrepreneurs. Ces derniers sont souvent stigmatisés et pris pour cibles, notamment avec la disparition potentielle de régimes spécifiques. Lorsque l'on observe la composition des groupes d'experts ou membres de cabinets, on constate que les entrepreneurs, ceux qui ont osé prendre des risques et connaissent les difficultés qu'ils ont dû surmonter, sont malheureusement sous-représentés. Il en va de même pour d’autres catégories de personnes. La présence des femmes est d’ailleurs quasi inexistante dans les discussions politiques liées à la fiscalité.
La prétendue nécessité de réaliser des réformes budgétairement neutres semble être ancrée dans les mentalités, sous pression des réglementations européennes. La question d’oser inclure des effets retours dans les lignes budgétaires d’un projet de réforme doit pouvoir être posée. A quoi bon faire une réforme fiscale si nous n’en attendons aucun effet retour sur l’économie ? De la même manière, la mise en perspective du coût d’une réforme fiscale avec la diminution des dépenses publiques devrait depuis longtemps faire partie de l’équation.
Enfin, les réformes d'envergure entraînent inévitablement des perdants à court terme (ici via la suppression de niches fiscales). Le rôle de l’État est de les accompagner et leur permettre de rebondir via d’autres mécanismes (reformation, mécanisme de sécurité sociale cohérent et incitatif, ...). Les impacts négatifs à court terme ne peuvent pas être une excuse pour faire le choix de l’immobilisme. La difficulté consiste à pouvoir les assumer politiquement.
Sous les contraintes européennes, l’emprise des habitudes et les postures politiques de coalition, les gouvernements se comportent trop souvent comme des agents averses au risque. Cette approche, lorsqu'elle est mise en parallèle avec l'impératif pour les responsables politiques de mettre en œuvre des réformes, conduit dans bien des cas à des compromis encore plus préjudiciables. Il y aura toujours une part d’inconnue dans une grande réforme, il faut oser prendre des risques, montrer l’exemple, ne pas craindre de faire des erreurs et ajuster le cas échéant.
Le succès consiste à aller d'échec en échec sans perdre son enthousiasme.