A deux jours du 1er mai, les discours politiques se fracassent, mais la conviction doit transcender la vision de notre pays : après la Seconde Guerre mondiale, le Royaume a choisi un État social, c’est-à-dire un État qui aligne les contributions et impôts des uns et des autres pour mutualiser la protection contre les aléas de la vie.
À l’opposé, il y a le système américain qui refuse cette protection sociale et cette mutualisation des impôts, au motif que cela ne permet pas à un travailleur de devoir se surpasser, dans une bonne logique calviniste.
Poussés à leurs extrémités, les deux systèmes sont viciés : un excès de protection sociale entame certainement l’ardeur au travail et pénalise l’entrepreneuriat, puisque les impôts et contributions des travailleurs actifs doivent augmenter de manière systémique, d’autant que le vieillissement de la population alourdit, chaque jour un peu plus, les dépenses sociales de pension et de soins de santé. À l’inverse, le système américain, dénué de toute aide (car il y en a, dont le fait que 10 % de la population bénéficie de coupons alimentaires dans une logique – toujours calviniste – de charité), conduirait à une violence sociale débridée.
Et c’est là qu’on retombe immanquablement sur la lutte des classes, et plus précisément sur la différence entre le capital et le travail. Le capital émane du travail, puisqu’il n’existe pas à l’état naturel, au travers de ce que Karl Marx appelait l’inéquité du partage des gains de productivité : le travailleur n’est pas payé pour l’intégralité de sa valeur ajoutée, et le capitaliste extrait du travail salarié des « plus-values » dont l’accumulation crée le capital. Et de cela découle le fait que le capital est plus mobile que le travail, d’où la nécessité de protéger ce dernier. Au reste, de manière plus générale, le capital survit au travail.
C’est pour cette raison qu’il faut entretenir une tempérance sociale, sans permettre de profiter du système, et qu’il faut surtout pérenniser l’État social en le rendant prévisible.
Et le mot de la fin revient au Chancelier allemand Bismarck, un des inventeurs de la protection sociale moderne, qui, dans un discours prononcé au Reichstag le 20 mars 1884, avait proclamé que le véritable grief du travailleur est l’insécurité de son existence : il n’est pas sûr d’avoir toujours du travail, ni d’être toujours en bonne santé, et il prévoit qu’il sera un jour vieux et inapte au travail.
En 1881, il avait aussi dit aux détracteurs de ses réformes sociales : peu importe comment vous l’appelez, socialisme ou autre, cela m’est égal.