Quel est l'impact du nouveau Livre 6 du Code civil sur les administrateurs?

En tant qu’administrateur de société ou d’ASBL, vous êtes amenés à poser des actes en son nom et pour son compte : conclure un contrat, payer une facture, passer des commandes, …

Qu’en est-il lorsque vous commettez une faute ?

Engagez-vous votre responsabilité personnelle ou celle de l’entreprise ?

La réforme du Code civil rabat les cartes à cet égard.

Comme vous le savez, le Code civil est en plein mutation et en cure de rajeunissement. En effet, l’ancien Code civil, qui datait de l’époque napoléonienne, devait être dépoussiéré et modernisé. Le Livre 6, qui concerne la responsabilité civile extracontractuelle/aquilienne, a été adopté par la Chambre des représentants le 1er février 2024 et entrera en vigueur le 1er janvier 2025. Cet article aborde la question de l’impact de ce nouveau Livre sur les administrateurs.

Avant la réforme : la quasi-immunité de l’agent d’exécution

Actuellement, les agents d'exécution sont chargés d’exécuter des obligations contractuelles pour un débiteur principal. Ils peuvent agir en leur propre nom et pour leur propre compte, comme les sous-traitants, ou au nom et pour le compte du débiteur principal, comme les administrateurs.

Jusqu'à présent, ces agents bénéficient d'une quasi-immunité contre les réclamations du donneur d'ordre en cas de manquement ou de faute. En pratique, cela signifie que le donneur d'ordre ne peut pas tenir les agents d'exécution contractuellement responsables sur la base du contrat principal conclu avec le débiteur principal[1].

Dans le cadre du Code des sociétés & des associations (CSA), cette quasi-immunité est consacrée par l’article 2:49 aux termes duquel « les personnes morales agissent par leurs organes dont les pouvoirs sont déterminés par le présent code, l'objet et les statuts. Les membres de ces organes ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux engagements de la personne morale. ».

Cette « transparence de l’organe » n’exclut évidemment pas toute responsabilité dans le chef des membres des organes d'administration et des délégués à la gestion journalière, qui sont tenus à l'égard de la personne morale de la bonne exécution de la mission confiée (art. 2:51 CSA).

En vertu de l’article 2:56 CSA, ces personnes sont responsables envers la personne morale des fautes commises dans l'accomplissement de leur mission (violations du CSA ou des statuts, fautes de gestion…); il en va de même envers les tiers pour autant que la faute présente un caractère extracontractuel. Cependant, elles ne sont responsables que des actes, décisions ou comportements « excédant manifestement la marge dans laquelle des administrateurs normalement prudents et diligents placés dans les mêmes circonstances peuvent raisonnablement avoir une opinion divergente » (principe de la « business judgement rule » ou de la « marginale toetsing »).

Depuis la réforme : la suppression de la quasi-immunité de l’agent d’exécution

A partir du 1er janvier 2025, le Livre 6 du nouveau Code civil abolit la quasi-immunité dont bénéficiaient les agents d'exécution. Désormais, ils pourront être directement tenus responsables par le donneur d'ordre, le débiteur contractuel principal ou un tiers pour des manquements à la norme générale de diligence, même si le dommage subi est de nature contractuelle.

Toutefois, afin d’équilibrer les intérêts des parties, le législateur a instauré deux limitations pour tempérer sa sévérité à l’égard de l’agent d’exécution :

En ce qui concerne les administrateurs, l’entrée en vigueur du livre 6 du nouveau Code civil signifie donc qu’ils peuvent être tenus responsables, de manière extracontractuelle, envers les co-contractants de la société pour laquelle ils exercent une mission, si les critères de responsabilité sont remplis[3].

Caractère supplétif du Livre 6

En principe, le Livre 6 est supplétif de sorte que les parties aux contrats peuvent y déroger.

Selon une certaine doctrine, cela pourrait permettre à l’administrateur (agent d’exécution) d’insérer, dans le contrat principal entre le co-contractant (donneur d’ordre) et la société (débiteur principal), une clause d’exclusion conventionnelle, et, dans son contrat avec la société, des clauses limitatives de responsabilité susceptible d’être opposées au co-contractant.

Cependant, il convient d’être attentif à l’article 2:58 CSA, qui prévoit que :

  • il peut invoquer, à l’égard du donneur d'ordre lésé, les mêmes moyens de défense que celles dont dispose le débiteur principal en vertu du contrat principal ;
  • il peut également utiliser les moyens de défense dont il dispose à l’égard de son propre co-contractant, c’est-à-dire le débiteur contractuel principal[2].
  • la responsabilité des membres d'organes d'administration/délégués à la gestion journalière est limitée au plafond instauré à l'article 2:57 CSA[4] ;
  • la personne morale, ses filiales ou les entités qu'elle contrôle ne peuvent par avance exonérer ou garantir ces personnes de leur responsabilité envers la personne morale ou les tiers ;
  • toute disposition résultant des statuts, d'un contrat ou d'un engagement par déclaration unilatérale de volonté contraire à l’article 2:58 est réputée non écrite.

Conclusion

Le livre 6 du nouveau Code civil représente une évolution importante en ce qu’il supprime la quasi-immunité des agents d'exécution, ce qui pourrait contribuer à augmenter les causes de responsabilité des administrateurs.

Afin de se prémunir contre ces risques accrus, il est crucial que les entreprises et leurs conseillers se préparent à ces changements en examinant attentivement leurs contrats, en ajustant leurs assurances et en incluant, dans la mesure du possible, des clauses de protection appropriées dans leurs accords. Il est essentiel que les administrateurs comprennent les nouvelles exigences et responsabilités découlant de cette réforme législative pour mieux se protéger.

Toute l’équipe de Centrius se tient à votre disposition pour vous conseiller et vous accompagner dans la rédaction ou la relecture de vos contrats.

Me David BLONDEEL & Me Julien LAURENT


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[1]B. PAQUOT : « Livre 6 du Code civil : quelles sont les conséquences pour les administrateurs et les employés ? » (sur le blog du forumforthefuture.be).

[2]Ces limitations ne s’appliquent pas si la demande d’indemnisation découle d’une atteinte à l’intégrité physique ou d’une faute intentionnelle de l’agent d’exécution (B. PAQUOT, op. cit.).

[3] Les employés bénéficiaient également d’une protection vis-à-vis des tiers en vertu de la quasi-immunité de l’agent d’exécution et de la règlementation spécifique de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978. Cet article restant en vigueur, la responsabilité des employés n’est pas étendue mais ils demeurent responsables envers les tiers pour dol, faute lourde ou faute légère répétée (voy. B. PAQUOT, op. cit.).

[4]Conformément à l’art. 2:57 CSA, la responsabilité des administrateurs, pour des fautes légères et occasionnelles, est limitée à certains montants (de 125.000 à 12.000.000 €), qui augmentent selon taille de la personne morale. Cette limitation s'applique envers la personne morale et les tiers, que le fondement de l'action en responsabilité soit contractuel ou extracontractuel et quel que soit le nombre de demandeurs, de défendeurs ou d'actions.​

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