Taxation des loyers réels : quand la fiscalité du propriétaire dépend de l’affectation du locataire

La presse économique a annoncé hier l’instauration d’une mesure de déclaration fiscale qui pourrait faire mal aux propriétaires immobiliers qui mettent leur bien en location résidentielle. Les locataires qui déduisent une partie de leurs loyers à titre professionnel devront prochainement joindre une annexe à leur déclaration d’impôt mentionnant précisément l’identité de leur bailleur. Avec quelles conséquences ?

Dans le cadre de sa vaste épure pour une réforme fiscale, le Ministre des Finances avait annoncé en juillet 2022 une refonte de la fiscalité patrimoniale. Exit les différences existantes entre les différents types d’investissement, l’ensemble des revenus patrimoniaux seraient taxés à un taux fixe de 25 %, moyennant toutefois, dans certains cas, la déduction de frais forfaitaires et une quotité exonérée que le Ministre entendait fixer à 6.000 EUR. S’agissant des revenus immobiliers, le projet de réforme abandonnait la référence obsolète au revenu cadastral pour fonder l’imposition sur les revenus réellement perçus. Un séisme dans l’univers de la fiscalité belge sur les locations résidentielles.

Si ce projet de réforme de la fiscalité patrimoniale ne figure plus dans les points actuellement soumis à l’examen du gouvernement, le Ministre des Finances souhaite néanmoins une application stricte de la législation fiscale actuelle et œuvrer à un contrôle plus scrupuleux des locations résidentielles.

La presse économique a ainsi annoncé le 30 mai 2023 que les locataires qui déduisent une partie de leurs loyers à titre de frais professionnels devraient désormais joindre à leurs déclarations fiscales une annexe qui mentionnera les nom, prénom et adresse complète du bailleur, l'adresse du bien immobilier qui fait l'objet du contrat de bail, le montant total du loyer et la quote-part de celui-ci déduit à titre de frais professionnels et le numéro de registre national du bailleur.

Avec quelles conséquences ?

A l’impôt des personnes physiques, le Code des impôts sur les revenus 1992 distingue deux catégories de location :

  • La location à une personne physique qui n’affecte ni partiellement ni totalement le bien à l’exercice de son activité professionnelle ou, autrement dit, qui affecte le bien exclusivement à son usage privé.

Dans ce cas, la taxation est calculée sur la base du revenu cadastral (RC) indexé (coefficient d’indexation 2023 : 2,0915) majoré de 40 % (x 1,40). La fiscalité est en principe relativement réduite compte tenu de la faiblesse des revenus cadastraux.

  • La location dans d’autres circonstances que celle visée précédemment (taxation à des personnes morales, des sociétés, ou des personnes physiques qui affectent le bien même partiellement à leur activité professionnelle).

Dans ce cas, la taxation est basée sur le loyer (et les « avantages locatifs ») réellement perçu, diminué d’un forfait de frais de 40 %. Ce forfait de frais est limité à 2/3 du RC revalorisé (coefficient de revalorisation 2023 : 5,37).

Lorsque le bien est affecté professionnellement, ne fût-ce que pour partie (un bureau dans une maison ou un appartement par exemple), la charge fiscale du propriétaire s’en trouve en principe alourdie, la base imposable fondée sur le loyer réellement perçu étant en principe plus importante que celle basée sur le revenu cadastral, même indexé et majoré de 40 %.

Exemple

Si l’on prend un immeuble avec un revenu cadastral de 1000 EUR, mis en location en faveur (1) soit d’une personne physique affectant le bien exclusivement à son usage privé (2) soit d’une personne physique l’affectant pour partie professionnellement, avec un loyer de 1.500 EUR par mois, soit 18.000 EUR par an, les revenus locatifs seront imposés de la manière suivante dans le chef du propriétaire (nous sommes partis du principe que celui-ci était imposé à la tranche d’impôt des personnes physiques de 50 % avec des additionnels communaux de 7 %, soit un taux d’imposition de 53,50 %) :

  • Location à une personne physique qui l’affecte à usage privé : RC 1.000 EUR x 2,0915 (coefficient d’indexation 2023) x 1,40 = 2.928,10 EUR (1.566,53 EUR d’impôt). Net : 16.433,47 EUR.
  • Location à une personne physiques qui l’affecte pour partie professionnellement : 18.000 EUR – 40 % de 18.000 EUR (7.200 EUR) = 10.800 EUR mais limitation des frais à 2/3 du RC de 1.000 EUR x 5,37 (coefficient de revalorisation), soit 3.580. Taxation sur 14.420 (7.714,70 EUR). Net : 10.282,30 EUR.

On le voit, la différence peut être considérable. La charge fiscale du propriétaire est ainsi augmentée, dans notre exemple, de 6.151,17 EUR.

Peut-on limiter cette taxation lorsque l’immeuble n’est que partiellement affecté professionnellement par le locataire ?

Lorsqu'un bien immobilier est donné en location à une personne physique et lorsque le loyer et les avantages locatifs sont déterminés, dans un contrat de location soumis à la formalité de l'enregistrement, séparément pour la partie qui est affectée à l'exercice de l'activité professionnelle et pour la partie qui est affectée à d'autres fins, les revenus afférents à chacune de ces parties sont déterminés séparément.

Si l’on souhaite limiter la taxation sur la base des loyers réels à la partie de l’immeuble affectée professionnellement, il convient donc de le prévoir spécifiquement dans le contrat de bail et de veiller à enregistrer celui-ci. A défaut, c’est l’ensemble du loyer qui servira de base d’imposition en cas d’affection professionnelle même partielle.

Peut-on opposer à l’administration fiscale qu’on ignorait l’affectation professionnelle ou que celle-ci est spécifiquement interdite dans le contrat de bail ?

L’administration fiscale est un tiers à la convention de bail qui ne lie que le bailleur et son locataire.

Peu importe donc le contenu de celle-ci ou la manière dont elle a été exécutée, l’administration se fondera sur la situation qu’elle constatera. En cas de déduction d’une partie du loyer à titre de frais professionnels, elle procédera donc à la taxation du propriétaire sur la base des loyers réellement perçus (soit totalement soit partiellement si le bail mentionne des loyers distincts et qu’il a été enregistré).

Le propriétaire qui ignorait l’affectation professionnelle du bien et qui avait veillé à l’interdire dans le contrat de bail pourra, le cas échéant, se retourner vers son locataire et tenter d’obtenir réparation du dommage fiscal qu’il aura subi en raison de la faute commise par le locataire dans l’exécution de son contrat.

Conclusion

Cette nouvelle obligation déclarative à charge des locataires peut entraîner de très sérieuses conséquences financières pour certains bailleurs, certains ignorant probablement de toute bonne foi l’affectation professionnelle même partielle de leur bien.

Pour tous ceux qui souhaitent s’éviter les fâcheuses conséquences d’une taxation sur la base des loyers réels, une mise au point s’impose : d’une part, pour s’assurer que le contrat de bail empêche bien toute affectation professionnelle et, d’autre part, et si le contrat de bail prévoit bien une interdiction d’affectation professionnelle, pour rappeler le locataire à ses obligations et l’avertir des conséquences qu’il encourrait s’il devait ne pas les respecter.

Mots clés

Articles recommandés

Que faire si vous êtes bloqué sur votre lieu de vacances ? Cinq solutions !

Notations en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG): feu vert européen au nouveau règlement

« Melting pot » des actualités légales & administratives – novembre 2024