En matière fiscale, la disposition générale anti-abus est consacrée par l’article 344, §1er du C.I.R. Pour qu’il y ait abus fiscal, il est nécessaire d’être en présence d’un acte juridique ou d’un ensemble d’actes juridiques qui réalise l’une des opérations énumérées par cet article.
D’après les travaux parlementaires relatifs à cette disposition, pour l’application de la disposition anti-abus, le concept d’ « ensemble d’actes juridiques réalisant une même opération » vise également la décomposition artificielle d’une opération en actes successifs s’étalant sur une période plus longue que l’année d’imposition et ne vise donc pas uniquement les cas où ils relèvent du même exercice d’imposition. Les actes successifs doivent constituer une chaine indivisible. Ainsi, il en ressort que la disposition anti-abus prévue à l’article 344, §1er du C.I.R. ne pourra être invoquée que si l’administration fiscale apporte la preuve de l’unicité d’intention entre les opérations (Doc. Parl., Ch., 2011-2012, n° 53-2081/001, p. 113).
Dans un récent arrêt du 11 janvier 2024 (Cass., 11 janvier 2024, F.23.0008.N), la Cour de cassation s’est prononcée sur la portée de la notion d’ « ensemble d’actes juridiques » et plus particulièrement sur la question de savoir si le contribuable devait personnellement participer à tous les actes juridiques pour qu’il y ait abus fiscal. La réponse de la Cour de cassation est négative.
La question s’était déjà posée en doctrine. D’un côté, certains auteurs déduisaient de la version française de la disposition (« l’acte juridique ou l’ensemble d’actes juridiques qu’il a posé ») que pour qu’il y ait abus fiscal, tous les actes juridiques devaient être posés par le contribuable. De l’autre côté, la version néerlandaise de la disposition (« de door hem gestelde rechtshandeling of het geheel van rechtshandelingen ») n’exigerait pas que le contribuable doive poser tous les actes juridiques.
L’affaire portée devant la Cour de cassation peut être résumée comme suit : un entrepreneur a cédé ses actions à une société de Telecom pour un montant avoisinant les 14 millions d’euros réalisant à cette occasion une conséquente plus-value. L’acquisition des actions de l’entrepreneur par la société holding de reprise avait été financée par un emprunt bancaire. Un mécanisme complexe impliquant entre autres des distributions de dividendes, des emprunts auprès d’autres sociétés du groupe, des attributions de tantièmes, des transformations, des fusions et des facturations entre sociétés avait ensuite été mis en place afin de rembourser l’emprunt bancaire.
L’administration fiscale considéra qu’il s’agissait d’un montage constitutif d’un abus fiscal au sens de l’article 344, §1, du C.I.R. tandis que le contribuable se défendit en arguant que les conditions de la disposition anti-abus n’étaient pas remplies en l’espèce. Selon le contribuable, il ne pourrait y avoir abus fiscal que pour autant que le contribuable participe à chacun de ces actes juridiques ce qui n’était pas le cas en l’espèce, ce dernier s’étant limité à vendre ses actions à la société.
La Cour d’appel donne raison à l’administration fiscale. Elle décida que la disposition anti-abus n’exigeait pas que tous les actes doivent être posés par le contribuable.
Dans son arrêt, la Cour de Cassation confirme que l’article 344, §1er du C.I.R. n’exige pas la participation du contribuable à tous les actes juridiques.
La Cour commence par distinguer l’élément objectif et subjectif découlant de la disposition anti-abus.
Elle précise qu’un ensemble d’actes juridiques au sens de l’article 344, §1er, C.I.R. présuppose qu’il existe une unité d’intention entre les différents actes juridiques, qui doivent former une chaine indivisible. L’exigence d’une unité d’intention pour qu’il soit question d’un abus fiscal n’exige, cependant, pas que le contribuable participe formellement à tous les actes juridiques.
A l’appui de son pourvoi en cassation, le contribuable avait également soutenu que le juge d’appel aurait dû examiner séparément les actes juridiques constitutifs afin de déterminer s’il pouvait exister un lien de causalité concret et nécessaire entre les différents actes juridiques. Sur ce point, la Cour confirma également le point de vue du juge d’appel. Elle considère que le juge doit uniquement établir qu’il y a une unité d’intention entre les actes juridiques pour que la disposition anti-abus puisse s’appliquer.
Par son arrêt, la Cour de cassation prend ainsi position quant à l’application de la disposition générale anti-abus prévue à l’article 344, §1er du C.I.R. à une opération comportant plusieurs actes juridiques. Selon elle, il faut mais il suffit que la preuve de l’unité d’intention des actes juridiques dans le chef du contribuable soit apportée pour avoir recours à la disposition anti-abus, sans qu’il faille devoir vérifier chaque acte juridique séparément.
Cette interprétation nous paraît toutefois difficilement compatible avec le texte légal.