Le Tribunal de l’Entreprise de Leuven a récemment prononcé un jugement[1] dans une affaire dans laquelle une partie entendait faire application d’une clause de shotgun reprise dans une convention d’actionnaires, tandis que l’autre partie considérait que les conditions d’application de cette clause n’étaient pas réunies.
Ce jugement nous offre l’occasion d’esquisser certains aspects de ces clauses :
Les clauses de shotgun sont des clauses conventionnelles – voire statutaires – permettant à un actionnaire d’acquérir les actions d’un autre actionnaire ou de lui vendre ses propres actions afin de résoudre un conflit entre eux.
Les clauses de shotgun peuvent revêtir différentes formes en pratique, dont les principales sont les suivantes :
Les clauses de shotgun sont conçues comme des mécanismes de prévention (a) et de résolution (b) des conflits d’actionnaires.
En raison de son issue radicale et incertaine, la clause de shotgun vise à faire pression sur chaque partie afin qu’elle privilégie la recherche d’une solution négociée en cas de différend, plutôt que d’activer un mécanisme dont elle ne maîtrise pas le résultat.
En cas de conflit persistant, le mécanisme de shotgun permet de résoudre, dans l’intérêt de la société, la situation de blocage, sans devoir recourir à des procédures judiciaires, qui sont souvent longues, coûteuses et incertaines.
Il est recommandé de recourir à des clauses de shotgun uniquement dans les sociétés comptant deux actionnaires. Au-delà, leur application peut devenir complexe et risque de ne pas remplir leur principal objectif de résolution rapide et efficace des conflits d’actionnaires.
Il est fréquent que les clauses de shotgun soient inapplicables ou, à tout le moins, contestées en raison de leur formulation imprécise. Par conséquent, pour garantir leur applicabilité et éviter toute contestation judiciaire, il est essentiel que les actionnaires définissent avec précision les conditions de leur mise en œuvre.
Le jugement du Tribunal de l’Entreprise de Leuven précité constitue une illustration éloquente de l’importance de rédiger avec précision une clause de shotgun. Dans cette affaire, la demanderesse a contesté l’application de la clause par le défendeur, au motif qu’au moment de son déclenchement, les conditions de sa mise en œuvre, en particulier l’existence d’une mésentente ou d’un blocage durable et sérieux, n'étaient, selon elle, pas réunies. Le Tribunal n'a pas rejoint la thèse de la demanderesse, et a précisé que lorsqu'un désaccord sérieux existe entre des actionnaires et qu'un des actionnaires déclenche le mécanisme, des faits postérieurs peuvent être pris en compte pour évaluer l'existence d'une mésentente durable.
Nonobstant les nombreuses formes qu’elles peuvent revêtir, les clauses de shotgun partagent les caractéristiques communes suivantes :
Contrairement à l’exclusion et au retrait judiciaire, qui requièrent que l’actionnaire souhaitant y recourir (i.) justifie de l’existence de justes motifs au sens où l’entend le Code des sociétés et des associations (ci-après, le « CSA »), et (ii.) satisfasse, dans le cas de l’exclusion, aux seuils de participation visés à l’article 2 :63 du CSA, les clauses de shotgun permettent aux parties de déterminer librement les conditions de leur mise en œuvre – ce qui comporte, rappelons-le, un certain risque (cfr. supra). Par conséquent, les parties peuvent opter pour des critères plus stricts ou plus souples que ceux applicables aux procédures judiciaires d’exclusion ou de retrait.
Les clauses de shotgun se caractérisent également par le fait que les parties déterminent elles-mêmes les règles de fixation du prix des actions. Ainsi, le prix de cession des actions peut être (i.) fixé dès le départ, (ii.) laissé à la discrétion de celui qui initie la procédure de shotgun, (iii.) établi par une évaluation effectuée par un expert désigné dans la convention[3].
Les clauses de shotgun, en particulier lorsqu’elles prévoient un mécanisme d’enchères, tendent à avantager l’actionnaire économiquement plus fort, qui peut s’en servir pour exclure son co-actionnaire. En effet, ce dernier pourrait se retrouver contraint d’accepter l’offre d’achat de l’actionnaire dominant en raison de son incapacité à financer le prix de rachat proposé – ou, selon le cas, un prix de rachat supérieur au prix proposé – en cas de refus de l’offre[4]. En revanche, une telle situation ne saurait se produire dans le cadre de demandes en retrait ou en exclusion judiciaire croisées. En effet, une partie ne pourra pas imposer, dans l’hypothèse où l’autre partie serait tenue de lui racheter ses actions, que le prix fixé par le juge soit au moins égal au prix de rachat qu’elle aurait elle-même proposé.
La procédure de shotgun se distingue par sa capacité à résoudre rapidement un conflit entre actionnaires. Toutefois, elle ne confère pas un titre exécutoire. Par conséquent, à défaut d’exécution volontaire des parties au résultat du shotgun, la partie la plus diligente devra engager une procédure judiciaire à cette fin.
Si la relation entre la clause de shotgun et le retrait et/ou l’exclusion judiciaire soulève un certain nombre de questions qu’il n’est pas possible d’épuiser dans le cadre du présent article, la question suivante mérite à tout le moins d’être brièvement abordée : un actionnaire dispose-t-il de la faculté d’introduire une action en retrait ou en exclusion lorsqu’une clause de shotgun a été prévue ?
D’aucuns pourraient soutenir que, compte tenu du fait que les procédures d’exclusion et de retrait judiciaire sont subsidiaires aux modes conventionnels de résolution de conflits, l’actionnaire devrait en priorité exercer la clause de shotgun. Toutefois, à notre estime, ce raisonnement fait fî d’un point fondamental : en déclenchant une procédure de shotgun, l’actionnaire initiateur ne peut prédire s’il conservera sa qualité d’actionnaire à l’issue de la procédure, contrairement à une action en exclusion ou en retrait, qui, bien qu’également incertaine, vise un objectif précis de retrait ou d’exclusion (sous réserve, bien entendu, des demandes reconventionnelles qui pourraient être introduites dans cette procédure). Par ailleurs, nous souscrivons à l’analyse de certains auteurs selon laquelle un juge ne saurait rejeter une action en exclusion ou en retrait au motif que le demandeur pourrait avoir recours à un mécanisme conventionnel de résolution de conflits, à l’instar d’une clause de shotgun, sans vérifier si ce mécanisme constitue effectivement un mode de résolution approprié du litige[5]. En conséquence, nous considérons également que cette question ne saurait recevoir une réponse systématisée et devrait, au contraire, être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce.
Il ressort de notre analyse que les clauses de shotgun peuvent constituer un mécanisme efficace, tant pour la prévention que pour la résolution de conflits entre actionnaires au sein de sociétés composées de deux (groupes) actionnaires, pour autant que leurs conditions de mise en œuvre soient claires et précisément définies. Néanmoins, il convient d’insister sur la nécessité d’aborder avec la plus grande prudence l’activation d'une procédure de shotgun, dont l'issue demeure aussi radicale qu’imprévisible.
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[1] Ondernemingsrechtbank te Leuven van 21 februari 2023, T.R.V., 24/3 pp. 279-284.
[2] La clause inverse est également possible, à savoir, l’actionnaire initiateur propose à l’autre actionnaire de lui vendre ses actions à un prix déterminé, à charge pour ce dernier d’accepter l’offre ou, à défaut, de vendre ses actions à l’actionnaire initiateur au même prix.
[3] Coibion, A., « Section 2 - Typologie des clauses organisant le transfert des titres », Les conventions d’actionnaires en pratique, 1ère édition, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 72.
[4] Aydogdu, R., Les conflits entre actionnaires, 1ère édition, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 103.
[5] Aydogdu, R., « 9. - Les procédures de résolution des conflits internes » in André-Dumont, A.-P. et Tilquin, Th. (dir.), La société à responsabilité limitée, 1ère édition, Bruxelles, Larcier, 2019, p. 282 et 283.
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