Valorisation de l’usufruit: indexation admise

Pour déterminer la valeur d’un usufruit, droit réel qui s’étend généralement sur une longue période et repose essentiellement sur une estimation de flux de revenus futurs, l’inflation est un élément qui doit être pris en compte. Un taux acceptable aboutit à augmenter le prix de l’usufruit, à charge de la société dans un montage classique où la société acquiert ce droit réel et une personne physique la nue-propriété. Un élément favorable au contribuable, validé par la jurisprudence et, si bien étayé, de nature à convaincre l’administration fiscale elle-même.

Les enjeux de la valorisation

Dans les montages « usufruit – nue-propriété », par lesquels une société acquiert l’usufruit d’un immeuble et son dirigeant la nue-propriété, la valorisation de l’usufruit est une opération fondamentale.

Le prix à payer par la société pour l’usufruit doit être défendable économiquement. L’administration fiscale fait preuve de grande vigilance pour vérifier si le prix de l’usufruit n’est pas surévalué. En cas de surévaluation, la société est présumée avoir accordé un avantage de toute nature au dirigeant, avec un redressement qui peut être substantiel à l’impôt des personnes physiques, sans compter les conséquences en matière de sécurité sociale.

De multiples méthodes …

En l’absence de méthode de valorisation obligatoire prévue par le législateur fiscal, la valeur réelle doit être déterminée sur la base des données factuelles et juridiques propres à chaque cas (voir Réponses du ministre des Finances aux Q.P. n° 467 de Mme Wouters du 14 juillet 2011 ; Q.P. n°22 de Mme Claes du 29 avril 2008 ; Q.P. n° 737 et 738 de M. Van der Maelen du 18 avril 2005 ; Q.P. n° 645 de M. Van der Maelen du 23 février 2005).

Il s’agit de la valeur actualisée des flux de revenus locatifs nets futurs qui pourront, du moins théoriquement, être perçus par l’usufruitier durant toute la durée de son droit. Il peut être dénombré au moins quatre méthodes, notamment la méthode « Ruysseveldt », la méthode « Verhoeye », la méthode « Jaumain » et la méthode actuelle du SDA.

En principe, aucune de ces méthodes de valorisation ne devrait pouvoir être écartée car elles sont toutes motivées économiquement. Le Tribunal de Première Instance de Louvain, notamment, a jugé qu’en l’absence d’une méthode de valorisation légale contraignante de l’usufruit il n’y a aucune raison de privilégier le mode de calcul de l’administration fiscale à celui choisi en l’espèce (Civ. Louvain, 8 avril 2016, RG n°14/2818/A, Taxwin).

… dont celle du SDA : pas d’indexation

La méthode actuelle du SDA présente l’avantage de donner aux parties, qui ont obtenu une décision anticipée, une sécurité fiscale totale. Quant aux contribuables qui, sans être passé par le SDA, ont appliqué sa méthode, leur situation est relativement sûre ; en cas de contrôle ils pourront faire valoir qu’ils n’ont fait que retenir une formule approuvée par ce service de l’administration fiscale.

Pour les contribuables, cette méthode présente toutefois le désavantage de ne pas tenir compte de l’inflation. Or, une valorisation qui tient compte de l’inflation aboutit à augmenter la valeur de l’usufruit, prise en charge par la société et par voie de conséquence à réduire la nue-propriété, dont le prix est à charge du dirigeant.

L’absence de la prise en compte de l’inflation a été critiquée par la doctrine, qui a fait valoir qu’il est rationnel de retenir une méthode qui se base sur la différence entre le taux de rendement locatif net et le taux d’inflation, et ce afin de refléter l’augmentation des prix.

L’indexation : validée par la jurisprudence, et aussi par l’Administration ?

La jurisprudence n’a soulevé aucune objection à l’insertion d’un taux d’indexation dans une formule de calcul d’usufruit choisi par les parties, la plupart du temps la formule « Ruysseveldt » ;

  • Le Tribunal de première instance de Louvain valide un taux d’inflation de 2,25 % (Civ. Louvain, 8 avril 2016, précité) ;
  • Le Tribunal de première instance de Namur, dans un jugement du 14 novembre 2018, (13/1552/A, Monkey) valide un taux de 2,3 %, prudemment retenu par le contribuable en tant que taux moyen de l'inflation des 10 dernières années avant la conclusion du contrat ;
  • La Cour d’appel d’Anvers, dans un arrêt du 8 janvier 2019 (2017/AR/851, Monkey) approuve un taux d’inflation de 2 % ;

Récemment, lors d’un contrôle, l’agent taxateur avait dans un premier temps rejeté une formule de valorisation prenant en compte un taux d’indexation de 2,5 % pour un usufruit constitué en 2019 pour 25 ans.

Au stade du précontentieux, l’agent taxateur s’est toutefois finalement rallié aux arguments du contribuable.

D’ailleurs, avant de mettre au point sa propre méthode, le SDA recourrait à la méthode Ruysseveldt, qui incorpore, lui, une indexation…

Il est inutile de relever que l’envolée de l’inflation à partir de l’année 2021 rend le recours à l’indexation encore plus incontestable mais pourrait conduire à l’adoption d’un taux plus élevé pour des contrats conclus aujourd’hui. Le principe étant non contestable, les contribuables auraient donc tort de s’en passer. Le concours d’un professionnel du chiffre pour la détermination d’un indice acceptable est recommandé, voire indispensable.


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