Veille jurisprudentielle en matière fiscale | Mai 2024

Ci-après, sont résumées les 4 décisions de jurisprudence publiées en mai 2024, qui ont retenu notre attention en vue du Tax Tv Show du 20 mai 2024.

Arrêt n° 52/2024 du 16 mai 2024 de la Cour constitutionnelle - Rejet du recours en annulation introduit à l’encontre de l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022 modifiant le régime fiscal des revenus de droits d’auteur en ce que les programmes d’ordinateur serait exclus du champ d’application de l’article 17 CIR 1992

Dans son arrêt n° 52/2024 du 16 mai 2024, La Cour constitutionnelle s’est prononcée sur le recours en annulation introduit à l’encontre de l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022 modifiant le régime fiscal des revenus de droits d’auteur.

Le recours était introduit pour violation du principe d’égalité en ce que la disposition précitée devrait être interprété comme excluant les programmes d’ordinateur du champ d’application de l’article 17 du Code d’Impôts sur les revenus (ci-après « CIR 1992 »).

Pour rappel, selon le Ministre des Finances, l’article 17 CIR 1992 exclut désormais du régime fiscal de faveur les œuvres « assimilées » aux œuvres littéraires visé à l’article XI.165 du Code de droit économique.

Se basant sur l’exposé des motifs de la loi, qui se réfère elles-mêmes aux travaux préparatoires de la loi initiale de 2008, la Cour constitutionnelle a considéré que la différence de traitement repose sur un critère pertinent en vue de la réalisation des objectifs de la loi :

« Compte tenu du pouvoir d’appréciation étendu dont il dispose en matière fiscale et de la nécessité de recourir à des catégories qui n’appréhendent la diversité de situations qu’avec un certain degré d’approximation, comme il est dit en B.6, le législateur a pu raisonnablement présumer qu’un risque de précarité et des aléas existent en ce qui concerne les revenus des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques, et non - ou d’une manière nettement plus circonscrite - en ce qui concerne les revenus des concepteurs de programmes d’ordinateur. ».

En d’autres mots et de manière très synthétisé, l’objectif du régime fiscal des droits d’auteur serait de viser les revenus perçus de manière irrégulière et aléatoire, typiques des activités artistiques, ce qui ne serait pas le cas des concepteurs de logiciels informatiques dont il serait présumé que leur activité s’inscrit dans relations économiques stables.

Le recours a dès lors été rejeté.

L’arrêt est consultable sur ce lien : https://www.const-court.be/public/f/2024/2024-052f.pdf

Arrêt de la Cour de Cassation du 15 mars 2024 (Rôle n° F.22.0168.F) – Exclusion de la taxation étalée pour les travaux de rénovation effectués dans les 5 ans de l’alinéation de l’immeuble

A) Contexte de l'affaire

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 mars 2024 traite de la question de la taxation étalée des plus-values réalisées sur des immeubles ayant subi des travaux de rénovation. La demanderesse, une société anonyme, avait réalisé des travaux de transformation et d'aménagement sur un immeuble acquis en 1998 et vendu en 2006. Elle contestait la décision de ne pas appliquer la taxation étalée sur la plus-value liée à ces travaux, se basant sur l'article 47 du Code des impôts sur les revenus (CIR 92).

B) Question de droit posé

La question principale était de savoir si la plus-value résultant de la vente d'un immeuble, incluant des travaux de rénovation effectués dans les cinq années précédant la vente, pouvait bénéficier de la taxation étalée prévue par l'article 47 du CIR 92.

Pour rappel, selon l'article 47 du CIR 92, pour que les plus-values réalisées sur des immobilisations corporelles puissent bénéficier de la taxation étalée, les biens aliénés doivent avoir eu la nature d'immobilisations pendant plus de cinq ans au moment de leur vente. Cela signifie que les biens doivent avoir été détenus en tant qu'actifs immobilisés sur une période minimale de cinq ans avant leur aliénation.

C) Décision de la Cour

La Cour de cassation a considéré que les travaux réalisés dans les cinq années précédant la vente, bien que physiquement incorporés à l'immeuble, ne peuvent être considérés comme formant un tout avec l'immeuble pour l'application de la taxation étalée.

L’arrêt de la Cour de cassation s’est fondé sur la législation comptable (par renvoi de la définition d’immobilisation corporelle de l’article 2, 1er, 9° CIR 1992) qui « distingue explicitement l'immeuble des agencements y apportés ».

La Cour a ainsi rejeté le pourvoi de la demanderesse, confirmant que la plus-value réalisée sur les travaux de rénovation immobilisés, effectuées dans les 5 ans de l’aliénation, ne pouvait pas bénéficier de la taxation étalée.

Jugement du 3 février 2023 du Tribunal de Première Instance du Brabant wallon – Exonération de provision et caractère certain ou suffisamment probable

Rôle n° 17/2551/A

A) Contexte de l'affaire

Le jugement du Tribunal de Première Instance du Brabant wallon du 3 février 2023 portait sur le rejet par l’administration de l’exonération d’une provision constituée pour couvrir le paiement d’une rétribution proméritée au profit des administrateurs de la société,

La convention conclue entre la société et les administrateurs prévoyaient le versement d’une rétribution proméritée en cas de :

  • Démission du bénéficiaire ;
  • Révocation du bénéficiaire ;
  • Décès prématuré du bénéficiaire.

La société soutenait que l’engagement souscrit était un engagement indivisible à terme suspensif puisque l’un de ces trois événements se serait nécessairement réalisé.

B) La question posée

La question était de savoir si les provisions constituées pour les rétributions proméritées pouvaient être exonérées en tant que charges nettement précisées et probables que les événements en cours rendent probables, conformément à l’article 48 du CIR 1992.

Plus précisément, il s'agissait de déterminer si ces provisions avaient un caractère certain ou suffisamment probable pour justifier une exonération fiscale.

C) La décision prise

Le tribunal a considéré que les provisions pour rétributions proméritées ne pouvaient pas être exonérées car les événements déclencheurs de l'exigibilité des rétributions (démission, révocation, décès prématuré) ne garantissaient pas que ces rétributions seront effectivement payées, compte tenu de multiples situations non prévues comme la dissolution volontaire de la société, l’arrivée à l’âge de la pension du gérant ou la faillite de la société, pouvant expliquer le départ de l’administrateur.

Résumé de l'arrêt de la Cour d'appel de Gand du 28 février 2023 – Théorie de la rémunération

Rôle n° 2021/AR/1829

A) Contexte factuel

L'arrêt de la Cour d’appel de Gand du 28 février 2023 concerne la déduction par une société des frais d’acquisition d’un immeuble mis à la disposition de son administrateur.

La société possédait 99 % d'un bien immobilier utilisé à la fois comme siège social et comme résidence principale de l’administrateur et de son épouse. La société avait déduit 100% des frais d’acquisition comme frais professionnel arguant que 20 % de ces coûts correspondait à l’espace utilisé par la société et le reste visait à attribuer une rémunération en nature au dirigeant.

B) Problématique et règles de droit en jeu

La question centrale était de savoir si les 80 % des frais liés à l'usage privé du bien immobilier par le dirigeant pouvaient être considérés comme des frais professionnels déductibles.

Selon l’administration, il n’était pas démontré que les frais en question avaient été faits ou supportés pour acquérir ou conserver des revenus imposables (la condition de finalité).

C. Argument du contribuable

L'intimée, la société, avait fait valoir que la mise à disposition du logement constituait une rémunération en nature pour le gérant, justifiée par les importantes prestations qu'il fournissait à la société lui permettant ainsi de générer du chiffre d’affaires. De plus, l'intimée a soutenu que le bien immobilier devrait être considéré comme un investissement, arguant qu'il pourrait générer une plus-value à terme, et donc un revenu imposable.

D. Décision de la Cour

La Cour d'appel a confirmé la décision de l'administration fiscale, concluant que l'intimée n’apportait pas la preuve du respect de la condition de finalité de l’article 49 CIR 1992. La Cour a souligné que la simple existence de prestations fournies par le gérant ne suffisait pas pour prouver que la mise à disposition de l'habitation constituait une rémunération en nature. La société n’était pas en mesure de fournir des pièces justificatives concernant la politique de rémunération du dirigeant faisant apparaître que la mise à disposition de l’immeuble était un mode de rémunération supplémentaire du dirigeant.

En ce qui concerne l'argument de la plus-value, la Cour a considéré, sans toujours en expliquer le fondement, que la perspective de réaliser une plus-value future ne suffisait pas pour considérer les frais liés à un bien immeuble utilisé à titre privé comme des frais professionnels déductibles. A cet égard, la Cour a souligné que la société se privait de revenus durant l’occupation de l’immeuble par le dirigeant. La Cour a également mis en évidence que la société amortissait annuellement le bien, indiquant une diminution de sa valeur, ce qui aurait incompatible avec l'argument d'une politique à long terme visant une plus-value. Son raisonnement sur ce point est critiquable car il serait erroné de considérer qu’un actif complétement amorti n’aurait pas de valeur de marché.

En définitif, cet arrêt met en évidence le grand formalisme dont font preuve les cours et tribunaux dans l’appréciation du caractère déductible des frais d’acquisition d’un immeuble mis à disposition du dirigeant d’entreprise.

Selon certaines juridictions, il ne serait plus suffisant de démontrer que la rémunération en nature rémunère des prestations effectives du dirigeant. Il faudrait désormais prouver que l’avantage en nature s’inscrit dans un mode de rémunération supplémentaire ou rémunérerait des prestations supplémentaires.

Dans ce type de construction, la prudence est de mise et il convient de veiller à la documentation de la politique de rémunération, même quand il n’y a quand il s’agit d’une société unipersonnelle.

Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 21 mai 2024.


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