« Non bis in idem » en matière fiscale ou ce qu’il en reste…

Le principe « non bis in idem » a été consacré par la jurisprudence européenne et belge ainsi que dans différents textes tant européens qu’internationaux. Il s’agit d’un principe qui a donné lieu à des interprétations diverses mais qui peut être résumé, en substance, comme l’interdiction qu’une personne soit poursuivie ou sanctionnée de manière répressive une seconde fois pour les mêmes faits.


Or, un contribuable peut se voir infliger une amende fiscale et un accroissement d’impôt qui ont un caractère répressif prédominant et constituent donc des sanctions de nature pénale qui, de surcroît, répriment des faits identiques, dès lors qu’ils peuvent sanctionner un défaut de déclaration.

Sous l’empire de l’ancienne jurisprudence européenne et belge, la pureté du principe ne laissait pas de place au doute : le principe « non bis in idem » était violé en cas de cumul de ces deux sanctions pour les mêmes faits.

Néanmoins, en 2016, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH) a remis en cause sa jurisprudence en matière fiscale. Elle permet, depuis lors, le cumul des sanctions si ces deux procédures sont liées par « un lien matériel et temporel suffisant ». Elle fournit à cet égard différents critères afin d’analyser l’existence de ce lien, à savoir :

  • les différentes procédures poursuivent des buts complémentaires et concernent des aspects différents de l’infraction ;
  • le cumul des procédures doit être prévisible en droit interne ;
  • les procédures sont conduites de manière à éviter la répétition dans la collecte des éléments de preuve et les entités compétentes collaborent pour que l’établissement des faits dans le cadre d’une procédure soient repris dans l’autre ;
  • la sanction appliquée dans la procédure terminée en premier lieu est prise en compte dans l’autre procédure, afin que toutes les sanctions soient proportionnées aux faits.

Ce 17 novembre 2022, la Cour constitutionnelle (ci-après, « la Cour ») s’est prononcée à l’occasion d’une question préjudicielle sur la compatibilité avec le principe d’égalité et de non-discrimination, lus en combinaison avec le principe « non bis in idem », de l’application cumulative par le fisc d’une amende et d’un accroissement d’impôt pour sanctionner un défaut de déclaration du contribuable.

Dans son examen, la Cour a vérifié si les critères dégagés par la CourEDH sont remplis par les dispositions législatives qui consacrent ces deux procédures.

En ce qui concerne le premier tiret, la Cour a relevé que ces deux procédures poursuivent des buts complémentaires : alors que l’accroissement d’impôt entend préserver les droits du Trésor, en ce qu’il est calculé sur la base des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés, l’amende, quant à elle, vise en premier lieu à faire acquérir au contribuable davantage de sens civique. Partant, elle a considéré que ces procédures concernent des aspects différents de l’infraction.

Sur le caractère prévisible, la Cour a jugé que ce cumul découle de l’existence de ces procédures dans une seule et même législation. Dans le même sens, elle a dit que le risque de répétition est limité car ces procédures sont conduites par la même autorité. Du reste, elle a renvoyé au juge du fond pour apprécier in concreto le respect de ces critères.

Sur la proportionnalité, elle a dit que les échelles d’amendes et d’accroissements existantes permettent de tenir compte de la gravité des sanctions. Elle ne s’est toutefois pas prononcée sur la proportionnalité de l’arrêté royal qui fixe ces échelles en raison de son incompétence quant à ce et a donc renvoyé au juge du fond pour en apprécier.

Elle a également laissé au juge du fond le soin d’apprécier si dans les circonstances de l’espèce, d’une part, le cumul des sanctions fait peser une charge disproportionnée sur le contribuable, et d’autre part, il existe un lien temporel étroit entre les procédures.

Enfin, la Cour a conclu que le cumul de ces procédures ne viole pas le principe d’égalité et de non-discrimination, lus en combinaison avec le principe « non bis in idem ».

Il ne peut qu’être constaté que l’appréciation par le juge du fond sur la base des circonstances de l’espèce est, désormais, décisive en cas de procédures parallèles. En raison du manque de clarté des critères développés par la CourEDH, la circonspection du juge du fond apparaît comme le dernier garde-fou pour ne pas vider ce principe fondamental de sa substance.

Nous regrettons que la CourEDH ait substitué à la rigueur du principe une notion empreinte de subjectivité et balisée par des critères imprécis dans leur mise en œuvre. Sans surprise, la volte-face de la CourEDH a été décriée par la doctrine, notamment en raison du manque de définition des termes utilisés et de l’absence de ligne de conduite dans l’interprétation et l’application des termes.

En conclusion, bien que la jurisprudence européenne donne certaines pistes sur l’application de ses critères, nous pensons que celles-ci ne permettent pas de remédier à l’insécurité juridique pesant sur le contribuable et du risque de dérives qui en découle dans la mise en œuvre concrète du principe « non bis in idem », ou de ce qu’il en reste…

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