La jurisprudence récente montre que le fisc n’hésite pas à considérer que la plus-value latente au moment de l’acquisition d'un actif à un "sous-prix" constitue une "base imposable minimale" à l’impôt des sociétés.
Il peut advenir qu’une société achète des actions pour une valeur sous-évaluée. L’interrogation du fiscaliste: la société acquéreuse encourt-elle le risque de se faire taxer immédiatement à l’impôt des sociétés (au taux de 25%) sur la différence entre le prix d’acquisition (par hypothèse fort faible) et la valeur réelle (soit la valeur de marché, bien plus élevée) des actions? La jurisprudence récente nous enseigne que ce scénario catastrophe ne peut être d’office écarté…
Coup de tonnerre au début des années 2000: l’administration fiscale a développé la thèse révolutionnaire selon laquelle la société acquéreuse devrait, au moment de l'acquisition d’actions pour un prix sous-évalué, reconnaître immédiatement un résultat imposable à concurrence de la différence entre le prix d’acquisition et la valeur de marché.
Elle a enregistré un premier succès retentissant dans l’affaire Artwork Systems, qui mettait en scène une cession d’actions pour un sous-prix à une holding dans la perspective d’une mise en bourse (jugement du tribunal de première instance du 14 novembre 2002). Mais la Cour de justice de l’Union européenne a freiné les ardeurs du fisc, en estimant que les cas dans lesquels le prix d'acquisition des actifs est manifestement inférieur à leur valeur réelle ne peuvent pas être considérés en tant que tels comme des "cas exceptionnels" justifiant de déroger au principe d’évaluation au prix d’acquisition (arrêt Gimle du 3 octobre 2013).
Il n’en demeure pas moins que des "cas exceptionnels" peuvent tout de même être rencontrés dans le contexte d’acquisitions d’actions pour un sous-prix, mais alors uniquement lorsqu’on est en présence de transactions inhabituelles. Dans un jugement du tribunal de première instance de Namur du 11 juin 2020, la taxation d’un bénéfice sur le fondement d’une sous-estimation d’actif a été admise, mais cette décision doit être vue comme l’exception qui confirme la règle, puisqu’il s’agissait précisément d’un "cas exceptionnel" au vu de la chronologie tout à fait singulière des faits.
Mais la société acquéreuse encourt un risque de redressement sur la base d’une autre mesure anti-abus (l’article 206/3, § 1er du CIR, en combinaison avec l’article 207/2 du CIR), à raison d’un "avantage anormal ou bénévole" reçu. Comme le montre la jurisprudence récente, le fisc n’hésite pas à invoquer cette disposition pour considérer que la plus-value latente (différence entre la valeur d’acquisition et la valeur de marché des actions au moment de l’acquisition) constitue une "base imposable minimale" à l’impôt des sociétés.
Cette mesure anti-abus peut toutefois être désactivée, notamment lorsque la société acquéreuse n’a pas acquis les actions auprès d’une entreprise liée ou qu’elle est en mesure de rapporter les circonstances économiques qui justifieraient le caractère normal du sous-prix, eu égard au contexte global de l’opération.