La Commission des normes comptables a été interrogée sur les conséquences d’un changement de référentiel comptable pour l’évaluation de certains actifs (et passifs) par une société qui établit, pour la première fois, ses comptes statutaires conformément aux dispositions du référentiel comptable belge.
Le présent avis analyse plus particulièrement le traitement comptable d'éventuelles divergences dans les règles d’évaluation concernant les immobilisations corporelles entre les référentiels IFRS2 et BE GAAP3. Cet avis est toutefois également utile pour tout changement d’un référentiel comptable vers le référentiel belge.
Le présent avis ne traite que de l’application du droit comptable belge aux opérations envisagées, à l’exclusion des aspects spécifiques de droit fiscal. Il concerne aussi bien les sociétés que les ASBL, AISBL et fondations.
Le présent avis porte uniquement sur l’établissement des comptes annuels statutaires, à l’exclusion des comptes consolidés.
Selon le droit comptable belge, le bilan d’ouverture d'un exercice doit, sans préjudice de l'application de l'article 3:59, alinéa 2, de l’arrêté royal portant exécution du Code des sociétés et des associations (ci-après : AR CSA), correspondre au bilan de clôture de l'exercice précédent4.
Les règles d’évaluation sont établies et les évaluations sont opérées dans une perspective de continuité des activités de la société, de l’ASBL, de l’AISBL ou de la fondation5. Ces règles d’évaluation et leur application doivent être identiques d’un exercice à l’autre, sauf en ce qui concerne les comptes annuels du premier exercice auquel s'appliquent pour une société les dispositions des titres 1er à 3 du livre 3 de l’AR CSA6.
Les éléments de l’actif doivent être évalués à leur valeur d’acquisition et portés au bilan pour cette même valeur, déduction faite des amortissements et réductions de valeur y afférents. Par valeur d’acquisition7, l’on entend soit le prix d’acquisition, soit le coût de revient, soit la valeur d’apport8.
Si, au début du premier exercice auquel s'appliquent pour une société, ASBL, AISBL ou fondation les dispositions du titre 1er du livre 3 de l’AR CSA, la valeur d'acquisition de certains éléments de l'actif ne peut être reconstituée, la valeur d'acquisition de chacun de ces éléments est égale à la valeur pour laquelle ils étaient portés, avant amortissements et réductions de valeur y afférents, à l'inventaire établi au terme de l'exercice précédent9.
La valeur d'acquisition ainsi établie peut, le cas échéant, faire l'objet d'amortissements et de réductions de valeur. De plus, les plus-values de réévaluation actées antérieurement au premier exercice auquel s'appliquent pour une société, ASBL, AISBL ou fondation les dispositions du titre 1er du livre 3 de l’AR CSA, les subsides en capital obtenus antérieurement à ce même exercice ainsi que les primes d'émission perçues par une société ne doivent être mentionnés dans les comptes annuels que dans la mesure où ils figuraient encore comme tels dans la comptabilité de la société, de l'ASBL, de l'AISBL ou de la fondation au terme de l'exercice précédent10.
Exemple 1
Le chiffre d'affaires (à l’exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée) d’une société en nom collectif (SNC) lors de son dernier exercice comptable (20X0) excède les 500.000 euros ; celle-ci doit dorénavant établir une comptabilité en partie double (elle tenait jusqu’ici une comptabilité simplifiée).11 Parmi les actifs de la société se trouve une ancienne machine, dont la valeur d’acquisition ne peut pas être reconstituée. La valeur de la machine reprise dans le bilan d’ouverture de l’exercice 20X1 doit être égale à la valeur pour laquelle celle-ci était portée, avant amortissements et réductions de valeur, à l’inventaire établi au terme de l’exercice précédent (20X0). La valeur d’acquisition ainsi établie devra ensuite faire l’objet d’amortissements.
En ce qui concerne plus spécifiquement les ASBL, AISBL et fondations qui appliquent pour la première fois les dispositions du titre 1er et du titre 3 du livre 3 de l’AR CSA (ci-après : des titres 1er & 3), l’article 3:175 de l’AR CSA précise, pour ce qui concerne l’établissement et l’évaluation du bilan d’ouverture et des comptes annuels, deux approches et méthodes alternatives.
A défaut de juste valeur, de valeur de marché ou de valeur d'usage fiable, il est fait mention de l'actif dans l'annexe des comptes annuels et de l'indication qu'aucune juste valeur, valeur de marché ou valeur d'usage fiable ne peut y être attachée.13
Le principe de continuité comptable est applicable dans le cas d’un changement de référentiel comptable même en cas de différences d’évaluation due à une divergence de règles d’évaluation entre le référentiel étranger et le référentiel belge. Les difficultés de comparabilité entre la situation au début de l’exercice et celle à la clôture de l’exercice qui en résulteraient devront dans ce cas être explicitées dans l’annexe des comptes annuels.
La Commission souligne qu’une exception au principe de continuité comptable n’est possible qu’en cas d’impact non matériel/substantiel14 sur l’image fidèle des comptes annuels15.
La Commission estime que certaines différences d’évaluation entre un référentiel comptable étranger et le référentiel comptable belge requièrent l’ajustement des soldes du bilan d’ouverture pour les mettre en conformité avec ce qu’ils auraient été si les règles comptables belges avaient été appliquées dès l’origine. Aucune exception ne peut être faite à la règle selon laquelle dans le cas où la comptabilité, et par conséquent les comptes annuels qui en résultent, de l'entité ne sont pas conformes au référentiel belge, ils doivent être convertis vers le cadre belge de référence.
L’article 3:59, alinéas 1 et 2 de l’AR CSA précise que le bilan et le compte de résultats indiquent pour chacune des rubriques et sous-rubriques les montants correspondants de l'exercice précédent. […] Si les chiffres relatifs à l'exercice ne sont pas comparables à ceux de l'exercice précédent, les chiffres de l'exercice précédent peuvent être redressés en vue de les rendre comparables; en ce cas, l'annexe doit mentionner et commenter, parmi les règles d'évaluation, avec renvoi aux rubriques concernées, les redressements opérés, si ceux-ci ne sont pas sans signification. Si les chiffres de l'exercice précédent ne sont pas redressés, l'annexe doit comporter les indications nécessaires pour permettre la comparaison.
La question est de savoir si les comptes annuels portant sur le premier exercice auquel le référentiel belge a été appliqué doivent mentionner des chiffres comparatifs et si la société, l’ASBL, l’AISBL ou la fondation doit les redresser en vue de permettre leur comparaison dans le temps.
13. Il s’indique tout particulièrement, pour assurer au lecteur une information significative, de reprendre et d’adapter les chiffres correspondants de l’exercice précédent, eu égard au principe de la continuité de la société qui change de référentiel. Afin d’assurer la comparabilité des comptes annuels successifs, les chiffres de l’exercice précédent doivent être redressés de manière à ce qu’on puisse en déduire la composition du patrimoine et des résultats de l’entreprise comme si le changement de référentiel avait déjà eu lieu au cours de l’exercice précédent. Ceci implique un retraitement des chiffres de l’exercice précédent conformément aux règles d’évaluation belges. L'annexe doit en outre mentionner et commenter, parmi les règles d’évaluation, avec renvoi aux rubriques concernées, les redressements opérés, si ceux-ci ne sont pas sans signification. De l’avis de la Commission, le meilleur moyen d'assurer cette comparabilité est de reprendre une table de concordance à l’annexe.
La Commission estime qu’une exception au principe de continuité comptable ne se justifie qu’aux deux conditions cumulatives suivantes :
Comme souligné au point 9, la Commission estime qu’une exception au principe de continuité comptable se justifie lorsqu’il n’y a pas d’impact matériel (ou significatif) sur l’image fidèle des comptes annuels.
La Commission estime que le retraitement comptable consécutif doit se faire directement par, le cas échéant, le crédit ou le débit :
Ce retraitement peut également avoir une incidence sur le bénéfice distribuable.
Prenons l’exemple d’un actif évalué conformément au référentiel IFRS à la fair value through profit or loss: à chaque date de clôture, l'actif (ou le passif) est réévalué à sa juste valeur et tout mouvement de cette juste valeur est comptabilisé directement dans le compte de résultat
Si la différence d’évaluation est due à une plus-value de réévaluation (p. ex. à l’issue d’une évaluation à la juste valeur [fair value], comme permis dans certains cas par le référentiel IFRS) actée selon un autre référentiel comptable et si cette réévaluation ne peut être maintenue en droit comptable belge (à défaut de satisfaire aux conditions de l’article 3:35, § 1er, AR CSA), la société effectue toutefois le retraitement comptable consécutif par le débit du compte 12 Plus-values de réévaluation20 à concurrence de la partie non encore amortie et/ou si la plus-value de réévaluation a été incorporée au capital, par le débit du compte 10 Capital21 à concurrence de la partie non encore amortie.
Exemple 2
Prenons le cas d’une participation comptabilisée en immobilisations financières au bilan d’une société qui établit ses comptes conformément au référentiel IFRS et évalue, par hypothèse, ce type d’actif à la juste valeur (fair value through profit of loss).
Supposons que la juste valeur de l’immobilisation financière soit plus élevée que sa valeur d’acquisition et que la comptabilisation de l’actif à sa juste valeur soit effectuée sans qu’une réserve de réévaluation n’ait été actée conformément au référentiel IFRS22.
Selon le droit comptable belge, l’immobilisation financière doit en principe être comptabilisée à sa valeur d’acquisition23. La société peut, si les conditions sont respectées, comptabiliser une plus-value de réévaluation conformément à l’article 3:35, § 1er de l’AR CSA. À supposer que les conditions de l’article 3:35, § 1er de l’AR CSA ne soient pas rencontrées en l’espèce, le maintien de l’immobilisation financière à sa juste valeur au bilan d’ouverture constitue une violation du droit comptable belge.
La société doit dès lors retraiter la valeur comptable de l’immobilisation financière afin qu’elle soit comptabilisée à sa valeur d’acquisition initiale, à savoir :
Dans le cas où il s'agirait d'un placement de trésorerie comptabilisé à une juste valeur supérieure au coût d'acquisition, cette différence devra de toute façon être supprimée, car selon le droit comptable belge26, les placements de trésorerie doivent être comptabilisés selon le principe « lower of cost or market » et ne peuvent en aucun cas être réévalués.
Afin de satisfaire au principe de l’image fidèle, et en application du principe de continuité, la Commission considère que les immobilisations corporelles doivent, conformément au droit comptable belge, être reprises au premier bilan d’ouverture à leur valeur d'acquisition diminuée des amortissements et des réductions de valeur. Toutefois, cette valeur peut éventuellement être réévaluée pour la rapprocher de l'évaluation figurant dans les derniers comptes annuels établis conformément au référentiel étranger (référentiels IFRS ou autre), à condition que cette réévaluation soit conforme aux dispositions légales belges.
En effet, l’article 3:35 de l’AR CSA prévoit qu'une hausse de la valeur d'immobilisations corporelles27 (dont l’utilisation est limitée ou non dans le temps) peut uniquement être enregistrée par le biais d'une réévaluation, contre-passée dans la rubrique du passif « Plus-values de réévaluation », pour autant que les conditions de l’AR CSA concernant les plus-values de réévaluation soient respectées28. La Commission rappelle également la règle selon laquelle si la réévaluation porte sur des immobilisations corporelles dont l’utilisation est limitée dans le temps, la valeur réévaluée fait l’objet d'amortissements calculés selon un plan établi conformément à l'article 3:6, § 1er de l’AR CSA, aux fins d’en répartir la prise en charge sur la durée résiduelle d’utilisation probable de l’immobilisation29. La Commission tient également à souligner qu'en droit comptable belge, l'enregistrement d'une réévaluation ne constitue en aucun cas une obligation.
La Commission estime qu'il convient, lors de la détermination de la valeur comptable des immobilisations corporelles30, d'opérer une distinction entre, d'une part, la valeur d'acquisition initiale et, d’autre part, la composante de réévaluation si la valeur comptable au bilan d'ouverture est supérieure à la somme de la valeur d'acquisition historique et de la valeur d’acquisition des investissements subséquents.
La valeur réévaluée retenue pour ces immobilisations est justifiée dans l’annexe des comptes annuels dans lesquels la réévaluation est actée pour la première fois31.
À noter qu’une plus-value de réévaluation ne peut jamais être affectée, directement ou indirectement, à la compensation totale ou partielle des pertes reportées à concurrence de la partie de la plus-value de réévaluation qui n’a pas encore fait l’objet d’un amortissement32.
Source: Commission des Normes Comptables, Avis du 2O juillet 2022