Le conflit entre la Russie et l'Ukraine a déclenché des turbulences sur les marchés financiers et a considérablement accru l'incertitude quant à la reprise de l'économie mondiale.
La Russie est le troisième producteur mondial de pétrole, le deuxième producteur mondial de gaz naturel et figure parmi les cinq premiers producteurs d'acier, de nickel et d'aluminium. Elle est également le premier exportateur de blé au monde (près de 20 % du commerce mondial). De son côté, l'Ukraine est un important producteur de maïs (6e), de blé (7e), de tournesol (1er), et figure parmi les dix premiers producteurs de betteraves à sucre, d'orge, de soja et de colza.
Le jour du début de l'invasion, les marchés financiers du monde entier ont fortement chuté, et les prix du pétrole, du gaz naturel, des métaux et des denrées alimentaires ont bondi. Suite aux derniers développements, les prix du pétrole Brent ont franchi la barre des 100 dollars le baril pour la première fois depuis 2014 (125$/b au moment de la rédaction de cet article), tandis que les prix du gaz TTF en Europe ont bondi à un niveau record de 192 euros le 4 mars.
Alors que les prix élevés des produits de base étaient l'un des risques déjà identifiés comme pouvant perturber la reprise, l'escalade du conflit augmente la probabilité que les prix des produits de base restent élevés pendant beaucoup plus longtemps. A son tour, elle intensifie la menace d'une inflation élevée et durable, augmentant ainsi les risques de stagflation et de troubles sociaux dans les pays avancés et émergents.
La crise a évidemment un fort impact sur un secteur automobile déjà mis à rude épreuve en raison des pénuries diverses et des prix élevés des matières premières : métaux, semi-conducteurs, cobalt, lithium, magnésium... Les usines automobiles ukrainiennes fournissent les principaux constructeurs automobiles d'Europe de l'Ouest:certains ont annoncé l'arrêt de leurs usines en Europe tandis que d'autres usines dans le monde prévoient déjà des arrêts de production en raison de la pénurie de puces.
Les compagnies aériennes et les sociétés de fret maritime souffriront également de la hausse des prix du carburant, les compagnies aériennes étant les plus menacées. Premièrement, on estime que le carburant représente environ un tiers de leurs coûts totaux. Deuxièmement, les pays européens, les États-Unis et le Canada ont interdit l'accès à leur territoire aux compagnies aériennes russes et, à leur tour, la Russie a interdit aux avions européens et canadiens l'accès à son espace aérien. Cela signifie des coûts plus élevés, car les compagnies aériennes devront emprunter des itinéraires plus longs. En fin de compte, les compagnies aériennes ont peu de marge de manœuvre pour augmenter leurs coûts, car elles continuent de faire face à une baisse de leurs revenus en raison de l'impact de la pandémie.
Le fret ferroviaire sera également touché : Les entreprises européennes n'ont pas le droit de faire affaire avec les chemins de fer russes, ce qui perturbera probablement l'activité de fret entre l'Asie et l'Europe, transitant par la Russie.
Nous nous attendons également à ce que les matières premières pour la pétrochimie soient plus chères, et que la flambée des prix du gaz naturel ait un impact sur les marchés des engrais, et donc sur l'ensemble de l'industrie agroalimentaire.
L'économie russe sera en grande difficulté en 2022, tombant dans une profonde récession. La prévision actualisée du PIB de Coface pour 2022 s'établit à -7,5% après la reprise constatée l'an dernier. Cela nous a conduit à dégrader l'évaluation du risque du pays de B (assez élevé) à D (très élevé).
Les sanctions visent notamment les grandes banques russes, la banque centrale russe, la dette souveraine russe, certains fonctionnaires et oligarques russes, ainsi que le contrôle des exportations de composants de haute technologie vers la Russie. Ces mesures exercent une pression à la baisse considérable sur le rouble russe, qui s'est déjà effondré, et entraîneront une poussée de l'inflation des prix à la consommation.
La Russie s'est dotée de finances relativement solides : un faible niveau de dette publique extérieure, un excédent récurrent de la balance courante, ainsi que d'importantes réserves de change (environ 640 milliards de dollars). Toutefois, le gel imposé par les pays dépositaires occidentaux sur ces dernières empêche la banque centrale russe de les déployer et réduit l'efficacité de la réponse russe.
L'économie russe pourrait bénéficier de la hausse des prix des matières premières, notamment pour ses exportations d'énergie. Toutefois, les pays de l'UE ont annoncé leur intention de limiter leurs importations en provenance de Russie. Dans le secteur industriel, la restriction de l'accès aux semi-conducteurs, aux ordinateurs, aux télécommunications, à l'automatisation et aux équipements de sécurité de l'information produits en Occident sera préjudiciable, étant donné l'importance de ces intrants dans les secteurs minier et manufacturier russes.
En raison de sa dépendance au pétrole et au gaz naturel russes, l'Europe apparaît comme la région la plus exposée aux conséquences de ce conflit. Le remplacement de l'ensemble de l'approvisionnement en gaz naturel russe de l'Europe est impossible à court ou moyen terme et les niveaux de prix actuels auront un effet significatif sur l'inflation. A l'heure où nous écrivons ces lignes, alors que le baril de Brent s'échange au-dessus de 125$ et que les contrats à terme sur le gaz naturel suggèrent des prix durablement supérieurs à 150€/Mwh, Coface estime à au moins 1,5 point de pourcentage d'inflation supplémentaire en 2022, ce qui éroderait la consommation des ménages et, avec la baisse attendue des investissements des entreprises et des exportations, réduirait la croissance du PIB d'environ un point de pourcentage.
Si l'Allemagne, l'Italie ou certains pays d'Europe centrale et orientale sont plus dépendants du gaz naturel russe, l'interdépendance commerciale des pays de la zone euro laisse présager un ralentissement général.
En outre, nous estimons qu'une interruption complète des flux de gaz naturel russe vers l'Europe porterait le coût à 4 points de pourcentage en 2022, ce qui ramènerait la croissance annuelle du PIB à un niveau proche de zéro, plus probablement en territoire négatif - selon la gestion de la destruction de la demande.
Dans le reste du monde, les conséquences économiques se feront surtout sentir à travers la hausse des prix des matières premières, qui alimentera les pressions inflationnistes déjà existantes. Comme toujours lorsque les prix des matières premières s'envolent, les importateurs nets de produits énergétiques et alimentaires seront particulièrement touchés, avec le spectre de ruptures d'approvisionnement majeures en cas d'escalade encore plus importante du conflit. La baisse de la demande européenne entravera également le commerce mondial.
En Asie-Pacifique, l'impact se fera sentir presque immédiatement par la hausse des prix à l'importation, notamment des prix de l'énergie, de nombreuses économies de la région étant des importateurs nets d'énergie, avec en tête la Chine, le Japon, l'Inde, la Corée du Sud, Taïwan et la Thaïlande.
Comme les liens commerciaux et financiers de l'Amérique du Nord avec la Russie et l'Ukraine sont assez limités, l'impact du conflit sera principalement ressenti par le canal des prix et par le ralentissement de la croissance européenne. Malgré la perspective d'une croissance économique plus lente et d'une inflation plus élevée, les récents événements géopolitiques ne devraient pas faire dérailler la politique monétaire en Amérique du Nord à ce stade.
Source : Coface, actualités, mars 2022