Les nouvelles règles européennes de discipline budgétaire ont été critiquées, pour de bonnes et de mauvaises raisons
Le passage à la monnaie unique en Europe, en 1999, a été précédé de la formulation de contraintes dite « de Maastricht » qui allaient s’imposer aux états membres de la zone euro, des contraintes acceptées par chacun des pays adhérents, et portant notamment sur les finances publiques. Le déficit public devait être inférieur à 3% et la dette publique soit être inférieure à60% du PIB, soit converger vers ce niveau à un rythme soutenu. Très vite, ces règles n’ont pas été respectées, y compris par de grands pays, et amendées, mais sans être davantage respectées, et sans sanction à la clef. Avec la Covid et puis l’emballement des prix de l’énergie, les règles ont été mises en suspens. Aujourd’hui, c’est un nouveau dispositif qui émerge, plus sophistiqué, moins lisible, davantage différencié, en donnant plus de latitude aux pays qui adoptent des réformes structurelles.
Ces nouvelles règles ont été largement critiquées, en particulier dans les pays appelés de la sorte à devoir sensiblement resserrer leur politique budgétaire. En fait, ce n’est pas le changement dans les règles qui a été ciblé, mais la fin de leur mise en pause, et cela avec deux types d’argument. D’abord, les besoins budgétaires sont énormes et couper dans les dépenses serait éthiquement non défendable. Ensuite, réduire le déficit nuit à l’économie. Une jeunesse mal formée sera moins productive, les entreprises ont besoin d’une justice qui fonctionne et, en matière environnementale, il est établi que ne rien faire n'est pas une option intelligente. Il vaut mieux s’endetter pour réparer la fuite dans la toiture que de voir l’immeuble prendre l’eau. Si un déficit public de 5% était la condition nécessaire et suffisante pour réduire significativement le danger environnemental, il faudrait évidemment adopter cette voie, plutôt que de s’en tenir à une approche dogmatique, telle que le « zéro déficit » ou « schwarze Null » allemand.
Mais cette critique est beaucoup trop courte. Ce sont les Etats membres qui, année après année ont décidé depuis 1999 d’allouer une bonne part de la marge de manœuvre budgétaire européenne de 3% à autre chose qu’à des investissements. Au-delà, il faut s’interroger sur la légitimité éthique des déficits publics. S’il est quasi certain que les jeunes générations vivront mieux que celles de leurs parents, il n’y a pas de souci à leur transmettre une dette publique, cela participe à un « lissage intergénérationnel ». Mais aujourd’hui, et cela sans nier les difficultés matérielles actuelles de nombre de Belges, il est très loin d’être acquis que la vie sera plus rose pour ceux qui nous suivront. Dès lors, leur transmettre une dette publique de plus de 100% du PIB en plus d’un système de retraite et de santé non-préfinancé et d’un lourd passif environnemental n’est moralement pas admissible. Et si l’on veut améliorer le sort de certaines fractions de la population aujourd’hui, le courage c’est de le faire avec les moyens d’aujourd’hui !
Des règles, c’est toujours myope, et les nouvelles contraintes européennes ne tiennent toujours pas assez bien compte des réalités de terrain, mais il est bon de rappeler que la dette publique structurelle pose problème. Elle rend les Etats dépendants des marchés financiers, des taux d’intérêt et des ratings des agences de notation et pousse à avoir des taux d’intérêt réels bas, ce qui génèrent inégalités et bulles financières. Et, à l’inverse, la discipline budgétaire a du bon. Ce dont l’enseignement, la police ou la magistrature ont besoin aujourd’hui, ce sont des réformes dans leur organisation, pas de voir leur budget être augmenté. La discipline budgétaire est démocratique : elle force à réformer ce qui ne fonctionne pas bien, elle impose de faire des choix ! Merci l’Europe, car ces règles imparfaites-là sont préférables à l’absence de règle.