Contrats d’assurance-vie et droits de succession : l’Administration fiscale ouvre un nouveau champ de bataille !

Rappel de certaines considérations de droit civil


Les contrats d’assurance-vie constituent un instrument juridique particulièrement apprécié, car ils sont susceptibles de remplir plusieurs fonctions. Les premières, triviales, sont liées à la durée de la vie humaine et tendent à couvrir le risque de décès dans une perspective tantôt ‘altruiste’ (fonction de prévoyance, destinée à protéger ou couvrir les proches du décédé), tantôt ‘égoïste’ (fonction d’épargne). A ces fonctions premières et originelles se sont ajoutées deux autres fonctions tout aussi importantes : celles respectivement d’un instrument de crédit et d’outil de planification patrimoniale.


Selon l’objectif ainsi dévolu au contrat d’assurance-vie, des règles juridiques différentes doivent être appliquées; ainsi, il est, par exemple, indispensable d’opérer une distinction, sur le plan du droit civil des successions, entre, d’une part, les contrats d’assurance-vie ayant pour objectif la réalisation d’une opération de prévoyance (de tels contrats sont généralement qualifiés par la doctrine de contrats d’assurance-vie ‘ordinaires’ ou ‘pures’) et, d’autre part, ceux ayant pour objectif la réalisation d’une opération d’épargne.


A titre de rappel, un contrat d’assurance-vie ‘ordinaire’ ou ‘pure’ est une convention en vertu de laquelle un capital est payé au décès de la tête assurée, et ce indépendamment que l'assurance a été conclue par un époux à son propre bénéfice ou au bénéfice de son conjoint. Un contrat d’assurance-vie ‘mixte’ peut, quant à lui, être défini comme une convention en vertu de laquelle un capital est payé soit au décès avant une date déterminée ou avant d'être parvenu à un âge déterminé, soit à cette date déterminée ou cet âge déterminé; tels est par exemple le cas des contrats d’assurance-vie des branches 21 ou 23. Sur le plan civil, la valeur patrimoniale ou valeur de rachat de l'assurance-vie ‘mixte’ au moment de la dissolution du régime sera, nonobstant les dispositions légales applicables aux contrats d'assurance terrestre, considérée comme un élément du patrimoine commun, si le capital a été constitué au moyen de fonds communs.


Il convient toutefois de préciser qu’en pratique, il est malaisé d’établir un inventaire exhaustif des différents produits d’assurance, de sorte qu’il est nécessaire de vérifier, dans chaque cas d’espèce, notamment l’intention du preneur d’assurance ou encore les modalités prévues pour le cas de sa survie au-delà du terme convenu et celui de son décès avant le terme. Par ailleurs, il convient également d’avoir présent à l’esprit que nombre de produits d’assurance sont mixes et complexes et couvrent divers objectifs ; dès lors, il y a lieu de déterminer celle des opérations couvertes qui est déterminante pour qualifier, au regard du droit civil des donations et des successions, ladite assurance de mesure de prévoyance ou d’épargne.



Position administrative ‘antérieure’ : circulaire n°16/2006 du 31 juillet 2006.


Sur le plan du droit fiscal et plus précisément des droits de succession (article 8 du Code des droits de succession), la position de l’Administration fiscale quant à l’incidence de la conclusion d’un contrat d’assurance-vie, par des époux mariés sous un régime de communauté de biens, sur la liquidation des droits de succession, a été déterminée par la circulaire n°16/2006 du 31 juillet 2006.


La circulaire précitée précise ainsi à cet égard que « par analogie avec cette considération au plan civil, l’Administration considérera également, pour la perception du droit de succession, la valeur de rachat d’une assurance-vie mixte au moment du décès du prémourant des époux comme un élément du patrimoine commun, si le capital a été constitué au moyen de fonds communs. »


Nouvelle position administrative : circulaire 2021/C/2, relative à l’art. 8 du Code des droits de succession et à la taxation applicable selon divers types de contrat d’assurance-vie


Soucieuse, toutefois, de prendre en considération certains changements législatifs assez récents, tels qu’en particulier la Loi du 4 avril 2014 (‘relative aux assurances’) ou celle du 22 juillet 2018 (‘modifiant le Code civil et diverses autres dispositions en matière de droit des régimes matrimoniaux et modifiant la loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière’), l’Administration fiscale a estimé nécessaire de réexaminer la problématique des assurances-vie et leur régime fiscal au regard de l’article 8 du Code des droits de succession. De cet examen, l’Administration fiscale a conclu au caractère ‘obsolète’ de la circulaire du 31 juillet 2006 et, dès lors, à la nécessité de la remplacer par une nouvelle circulaire (circulaire 2021/C/2 du 7 janvier 2021), dont le champ d’application a d’ailleurs été élargi également aux contrats d’assurance-vie souscrits par un époux marié sous régime de séparation de biens ou par une personne non mariée.


Pourtant, à peine l’encre électronique de cette nouvelle circulaire administrative sèche, elle suscite déjà nombre de critiques dans le chef des juristes et fiscalistes. En cause de cette ire, la volonté de l’Administration fiscale d’imposer un point de vue radicalement différent de celui défendu précédemment dans sa circulaire de 2006, avec pour conséquence une extension, de surcroît avec effet rétroactif au 1er septembre 2018 (date correspondant à l’entrée en vigueur des dispositions nouvelles régissant les régimes matrimoniaux), des situations donnant lieu à perception de l’impôt successoral en présence d’un contrat d’assurance-vie. En d’autres termes, la circulaire administrative du 7 janvier 2021 élargit, avec effet rétroactif (1er septembre 2018), la base imposable des assurances-vie dites patrimoniales, en les soumettant aux droits de succession.


En réalité, la position administrative nouvelle vise principalement à combattre l’absence de fiscalité qui résulterait en particulier soit d’un contrat d’assurance-vie comportant deux assurés successifs (c’est-à-dire, l’un succédant à l’autre), soit d’une cession dite ‘post mortem’ (des droits d’un contrat d’assurance-vie en présence de plusieurs têtes assurées), dans le cadre de laquelle le preneur ‘post mortem’ pourra exercer tous les droits liés au contrat d’assurance, y compris sur la valeur de rachat.


Or, l’Administration fiscale considère qu’une cession ‘post mortem’ s’analyse comme une donation et doit dès lors être soumise à l’imposition successorale, en vertu de l’article 8 du Code des droits de succession. La position de l’Administration fiscale en la matière est critiquable et critiquée, dès lors qu’il n’y aurait qu’un seul preneur et que la cession opérée ainsi conformément au droit des assurances n’implique pas une acceptation du cessionnaire (selon la jurisprudence du Service des Décisions Anticipées).


Nos conclusions et recommandations


La nouvelle position de l’Administration fiscale en la matière (circulaire 2021/C/2), selon laquelle la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie est transmise via un legs (donation) et non par application des règles de droit civil et de droit des assurances, est éminemment critiquable ; elle viole en particulier le principe de légalité.

Elle crée par ailleurs une insécurité juridique, qui donnera très vraisemblablement lieu à un important contentieux fiscal.

Pour les contribuables concernés, une analyse approfondie des clauses de leur contrat d’assurance-vie est vivement recommandée.


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