Les crypto-monnaies alimentent de nombreuses questions, les cryptoactifs devenant de plus en plus nombreux, au rang desquelles l’aspect fiscal est bien naturellement prédominant.
Les monnaies virtuelles peuvent être définies comme des représentations numériques d’une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité qui ne sont
pas nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange par des personnes physiques ou morales et qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique (art. 4, 35°/1 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces).
Contrairement aux devises traditionnelles, les crypto-monnaies basées sur la technologie blockchain ne fonctionnent pas avec un intermédiaire ou une autorité centrale, mais selon un système d’autorégulation. En effet, les crypto-monnaies sont versées en temps réel et conservées par toutes les personnes qui font partie du réseau de crypto-monnaies (peer-to-peer, ou « pair à pair » en français). Les crypto-monnaies s’échangent ou se négocient donc sur un réseau peer-to-peer, à savoir des ordinateurs et smartphones directement reliés entre eux par Internet.
Force est de reconnaître que de nombreux avis et annonces sont susceptibles de créer un climat anxiogène : la Chine a complètement interdit leur usage, la Russie envisage de le faire, la Commission des Normes comptables (CNC) a émis un avis 2021/17, le 6 décembre dernier, relatif à leur évaluation et à leur comptabilisation quand elles sont utilisées comme moyen de paiement par les sociétés, un article de l’Echo du 12 février 2022 annonce que « Les banques ferment la porte aux gagnants du bitcoin » (Belfius y voit un moyen connu de fraude et de blanchiment d’argent, ING dit ne pas accepter les cryptotraders, BNP Paribas Fortis dit déconseiller fortement leur utilisation, etc. En tout état de cause, si elles les acceptent, les banques exigent que le déposant puisse démontrer que les fonds initialement investis l’ont été à partir d’un compte belge), la Banque nationale de Belgique (BNB) a indiqué dans quel cas le PCC (point de contact central) devait en être informé, etc.
Disons-le d’emblée : alors que d’autre pays ont (déjà) légiféré en la matière, comme la France avec l’article 79 de la loi de finances pour 2022 (qui modifie le régime fiscal des plus-values de cessions de crypto-monnaies à compter de 2023), il n’existe pas, en Belgique, de régime fiscal spécifiquement consacré à la matière.
Si d’aucuns l’appellent de leur vœu, rien ne dit que ce soit vraiment indispensable.
En effet, le problème de profits ou de plus-values qui peuvent être traités fiscalement de différentes manières (concernant le personnes physiques) est bien connu. Selon les circonstances et les faits propres à chaque situation, il peut s’agir de gains qui ne sont pas imposables car s’inscrivant dans le cadre de ce que l’on appelle la ‘gestion normale de patrimoine privé’, il peut s’agir de profits occasionnels, qui sont alors taxables à titre de revenus divers (au taux de 33 %, plus additionnels communaux), ou encore de ‘véritables’ revenus professionnels (alors taxés au taux plein).
Il est possible d’obtenir des garanties quant au traitement fiscal qui sera appliqué en s’adressant au Service des Décisions anticipées (SDA). Dès 2018, celui-ci a publié sur son site une liste de 17 questions qu’il utilise dans le cadre de l’examen des demandes de décision liées au traitement fiscal des plus-values réalisées lors de la cession de crypto-monnaies (p.ex. les bitcoins), le but étant de déterminer s’il s’agit d’un revenu exonéré, d’un revenu divers ou d’un revenu professionnel. Ainsi, le SDA veut par exemple que le demandeur de la décision anticipée lui dise si l’achat ou la vente de crypto-monnaies a lieu par l’intermédiaire d’un process automatisé ou d’un logiciel automatique et, dans l’affirmative, si le contribuable a conçu ce process/logiciel lui-même. Dans une autre question, le SDA interroge le contribuable sur les études qu’il a faites et sur son activité professionnelle. Plus loin, ce Service demande si le contribuable a eu recours à l’avis de professionnels du secteur, etc.
Tout récemment, le SDA a mis cette liste à jour le 13 janvier 2022.
N’oublions pas qu’il s’agit de demandes anticipées. Ainsi la demande sera déclarée irrecevable si le contribuable a déjà vendu des crypto-monnaies ou procédé à la conversion d’une crypto-monnaie en une autre avant de s’adresser au SDA. Le SDA considère en effet, dans ce cas, que la demande de décision anticipée ne peut plus être considérée comme étant anticipée.
Il ressort de ce rapport que le SDA appuie l’existence d’un caractère ‘spéculatif’ notamment sur le fait qu’un risque important est pris au moment de l’acquisition des monnaies virtuelles ; et il déduit ce ‘risque’ du fait qu’au moment de l’acquisition, la BNB, la FSMA, et l’Autorité bancaire européenne ont averti le public quant au risque lié aux monnaies virtuelles et ces avertissements ont fréquemment été repris par la presse nationale. Il manque un organe de contrôle et donc toute surveillance prudentielle. Cette absence de contrôle sur les plateformes commerciales comporte un risque important.
Mais, par le biais de nombreuses décisions publiées (25 en 2021), le SDA admet quand même que les plus-values réalisées sur les cryptomonnaies vendues récemment ne soient pas des revenus professionnels (conformément à l’article 23, § 1er, du C.I.R. 1992) et soient la conséquence d’opérations de gestion normale d’un patrimoine privé si bien que les plus-values ne sont pas non plus imposables au sens de l’article 90, 1°, du C.I.R. 1992.
Dans une autre décision, ce Service décide que les plus-values qui seront réalisées sur les ventes de cryptomonnaies envisagées par le demandeur, jusqu’à une valeur vénale maximale qui correspond au montant initialement investi dans les cryptomonnaies, sont la conséquence d’opérations de gestion normale d’un patrimoine privé, de sorte que les plus-values ne sont pas imposables.
Ne pas être taxé, être taxé distinctement ou se voir reconnaître par le fisc une activité professionnelle est évidemment fort différent et de nombreuses questions sous-jacentes peuvent se poser dont celle des pertes qui seraient éventuellement subies, de la perte de valeur de ces monnaies virtuelles, d’un éventuel aspect TVA (même si la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que l’activité de change était une prestation de service à titre onéreux, néanmoins exonérée de la TVA).
Voilà de beaux et captivants nouveaux sujets de débats … comme celui des NFT (non fungible token), sur lesquels les personnes intéressées souhaitent plus que vraisemblablement obtenir certains (voire tous leurs) apaisements …
Thierry Litannie et Roland Rosoux
Source : Law Tax, Actualités, 25 février 2022