Encore une réforme de la taxe Caïman : les fonds dédiés dans le viseur

Lors du dernier contrôle budgétaire, le gouvernement a décidé d'aller chercher des recettes complémentaires en durcissant (une nouvelle fois!) la taxe Caïman. Le cabinet du ministre des Finances doit remettre prochainement son projet de réforme, lequel devrait renflouer les caisses de l’Etat à hauteur de 50 millions d’euros par an (à partir de 2024).

Au début du mois de mai, la Cour des comptes a publié son nouveau rapport concernant la taxe Caïman. Pour rappel, cette taxe a été instaurée en 2015 afin de taxer les revenus imposables (dividendes, intérêts,…) de « constructions juridiques » par transparence dans le chef de leur « fondateur », comme s'il les avait perçus directement. Ce rapport est d’un grand intérêt pratique pour les fiscalistes (avocats, conseillers fiscaux, comptables, banquiers privés,…) qui assistent des clients (fortunés) détenant des « constructions juridiques » (trusts, sociétés faiblement taxées, certains contrats d’assurance…) à l'étranger. La Cour des comptes met en effet le doigt sur certaines lacunes du dispositif actuel et formule quelques recommandations à destination du législateur, mais aussi des services du SPF Finances. On peut s'attendre à ce que les conclusions de ce rapport serviront de fil conducteur au ministre des Finances…

L’une des cibles de la Cour des comptes : les fameux organismes de placement collectif (OPC) dédiés - c’est-à-dire les OPC détenus par les membres d’une même famille-, et les compartiments dédiés d’OPC. Ceux-ci constituent des « constructions juridiques » depuis le 1er janvier 2018. Ainsi, les membres d'une famille belge détenant par exemple une SICAV SIF au Luxembourg sont taxés par transparence en Belgique à l'impôt des personnes physiques (IPP), à hauteur des revenus recueillis par la SICAV SIF. La Cour des comptes recommande au législateur de définir le pourcentage de participation minimum qu’une personne non liée doit respecter pour que l’OPC ne soit pas soumis à la taxe Caïman. L'objectif poursuivi consiste à entraver les stratégies d’évitement de la taxe, consistant à faire rentrer dans l’OPC un "tiers" (un "homme de paille", par exemple un conseiller) détenant une participation dérisoire, de manière à ce que l’OPC ne soit plus « dédié ». A mon avis, la mesure générale anti-abus (article 344,§1er du CIR) devrait déjà pouvoir permettre de déjouer ce type de montages. La Cour des comptes préconise aussi de renverser la charge de la preuve, de telle sorte que le contribuable doive lui-même démontrer qu’il n’est pas actionnaire d’un OPC dédié.

Un placement similaire fort prisé échappe encore aux mailles du filet de la taxe Caïman: le contrat d'assurance-vie de la branche 23 lié à un fonds dédié. Commercialisé principalement par les compagnies d'assurance luxembourgeoises, ce produit est taillé sur mesure pour un client: le fonds d'investissement sous-jacent lui est en effet entièrement "dédié". Ainsi, le preneur peut-il définir avec l'assureur son profil d'investissement, proposer le banquier de son choix (banquier de la famille) pour gérer le fonds, suggérer l'identité de la banque dépositaire, etc. Le rapport de la Cour des comptes note que l’administration fiscale est bien consciente de cette échappatoire, et que le ministre des Finances a chargé son administration d’examiner comment y mettre fin. Le secteur des assurances est prévenu…

Partant du constat que le fisc rencontrait des difficultés à identifier les « fondateurs » de constructions juridiques (en raison du manque d'informations sur les structures étrangères), la Cour des comptes recommande également d’introduire dans la loi une présomption réfragable de fondateur lorsque le contribuable belge figure dans le registre UBO en tant que bénéficiaire effectif d'une construction juridique étrangère.

A noter enfin qu’une circulaire visant à clarifier l'interaction entre la taxe Caïman et les conventions préventives de la double imposition est en cours d’élaboration. Voilà un sujet explosif : la taxe Caïman pourrait tomber à l’eau si elle est jugée contraire aux conventions préventives. Le tribunal de première instance de Bruxelles a d’ailleurs récemment entériné un accord par lequel le fisc acceptait de renoncer à l’application de la taxation par transparence des revenus d’un trust (soumis à l’impôt au Canada) dans le chef de son fondateur belge, pour cause de contrariété avec la convention belgo-canadienne….

Denis-Emmanuel PHILIPPE

Avocat-associé (Bloom-Law) aux barreaux de Bruxelles, Liège et Luxembourg

Maître de conférences à l’Université de Liège

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