Faut-il conseiller à son client de passer en société ?

Petite réflexion sur les avantages, exigences et inconvénients du passage en société sur le plan fiscal.


LES AVANTAGES

La réponse à une telle question est loin d’être une sinécure, d’autant que des considérations non-fiscales peuvent aussi entrer en ligne de compte dans l’analyse. En effet, dans certains cas, il est souhaitable de passer en société pour opérer une scission entre un patrimoine privé et un patrimoine social ou pour des raisons de crédibilité vis-à-vis de clients, fournisseurs ou de banquiers, quand bien même l’avantage fiscal ne serait pas évident.

Signalons d’emblée que certaines contraintes sont inévitablement liées au transfert d’une activité en personne physique à une société. Il y a notamment les droits d’enregistrement à payer en cas d’apport d’un immeuble à usage mixte à une société ou la taxation dans le chef du cédant des plus-values de cessation, notamment la taxation à 33 % en cas de cession d’immobilisations incorporelles (telle une clientèle).

Viennent ensuite les démarches et les coûts qu’entraîne la constitution d’une société (frais notariés, de réviseur en cas d’apport, frais de l’expert-comptable ou du conseil fiscal ; etc.).

Lorsque la société est en régime de croisière, les avantages sont en revanche indéniables pour autant que le gain fiscal en résultant excède le coût de gestion administrative et comptable.

Il y a bien sûr tout d’abord le différentiel de taux d’imposition et les multiples avantages fiscaux accordés spécifiquement aux sociétés (réserves de liquidation et dividende VVPR-BIS, déduction pour revenus d’innovation, régime des tax shelters ou des R.D.T., etc.).

La société peut aussi donner de multiples affectations à son bénéfice selon les résultats obtenus et les objectifs à atteindre ; elle peut transformer la nature des revenus attribués à son dirigeant, déduire des charges liées à l’utilisation de biens qui appartenaient au dirigeant, utiliser une partie de son bénéfice à la constitution d’une pension au profit de son dirigeant.

Les dirigeants d’une société peuvent ainsi décider de constituer d’importantes réserves en vue de permettre à leur société de financer de futurs investissements coûteux, réserves dont l’imposition sera limitée au seul impôt des sociétés.

La mise en réserve, lorsque le bénéfice est très important, offre un taux nettement plus favorable que le douloureux tarif progressif de l’impôt des personnes physiques. La société peut aussi envisager d’accorder chaque année (et déduire) une rémunération fixe à ses dirigeants, et ce quels que soient les résultats de la société. De la sorte, les revenus du dirigeant ne subissent pas les fluctuations des résultats de la société. En période de vaches grasses, la société peut également affecter une partie de ses bénéfices à la distribution de tantièmes qui ont le grand avantage d’éviter le cas échéant la majoration pour absence de versements anticipés. Ces tantièmes constituent en outre pour la société des frais déductibles.

Cette diversité d’opportunités qui s’offrent à la société permet donc la planification fiscale. À cette fin, la possibilité de choisir librement la date de clôture de l’exercice social, par exemple pour tenir compte du caractère saisonnier des activités de la société, ou encore de modifier la date de clôture lorsque des événements susceptibles d’influencer le développement de l’entreprise se profilent, constitue un atout supplémentaire dont est dépourvu l’exploitant individuel qui ne tient pas de comptabilité.

Plutôt que d’avoir à assumer à titre personnel d’importants frais liés à l’utilisation de certains biens (voitures, immeuble, P.C., etc.), il est en outre plus intéressant pour un dirigeant de les faire supporter par sa société en ne subissant qu’un impôt relativement limité sur un avantage de toute nature évalué de manière forfaitaire. Il s’agit là d’un des attraits majeurs du passage en société.

Par ailleurs, le dirigeant ne devra plus se creuser la tête en vue de déterminer la quote-part professionnelle et privée de frais liés à de tels actifs. Il lui suffit de se référer aux règles forfaitaires fixées par l’A.R./C.I.R. (art. 18) qui déterminent les montants imposables (on ne perdra pas de vue toutefois qu’un bien acquis par une société devra subir, en cas de réalisation ultérieure, une plus-value lourdement taxée). Les prêts sans intérêts consentis par la société sont aussi envisagés des dirigeants. A l’inverse, si le dirigeant détient une créance en C/C sur sa société, il peut lui réclamer un intérêt en contrepartie, lequel peut être une source (complémentaire) de revenus au régime fiscal intéressant : cet intérêt n’est en effet soumis qu’à 30 % de précompte mobilier et quant à votre société, elle peut le déduire dans le respect de certaines règles. Le taux d’intérêt appliqué doit aussi être conforme au taux du marché. Pour 2023, l’intérêt conforme au taux du marché s’élève, suivant une nouvelle réglementation, à 5,70 % (2,5 % + 3,20 %).

Un autre très grand avantage fiscal de la structure sociétale est qu’elle offre la possibilité d’utiliser une partie de ses bénéfices à la réalisation d’une assurance de groupe (EIP) (dans les limites légales et administratives).

La société peut en outre être aisément cédée puisque la vente des actions donne lieu à l’exonération des plus-values. Une société favorise le régime successoral puisqu’il est plus aisé de transmettre de génération en génération des titres que des actifs . Enfin, les coûts limités d’une liquidation restent, en dépit du précompte mobilier porté à 30 % sur les bonis de liquidation (qui peut parfois être réduit à 10% en grande partie via la réserve de liquidation , une opération parfois intéressante.

En-dehors de ces avantages, la société présente divers atouts complémentaires :

  1. la séparation entre le patrimoine privé et le patrimoine de l’entreprise met en principe le patrimoine privé du dirigeant de la société à l’abri des poursuites des créanciers (dont le fisc) de la société. C’est évidemment utile en cas de faillite de la société, sauf en cas de responsabilité de ce dirigeant pour faute grave et caractérisée ;
  2. il est, depuis le CSA , possible de différencier les droits liés aux actions et créer ainsi des classes d’actions. Cela peut s’avérer très utile en cas de transmission de la société aux héritiers lorsque certains héritiers ne sont pas intéressés par la reprise de l’entreprise mais souhaitent obtenir une rémunération de celle-ci ;
  3. pour les tiers (banquiers, fournisseurs), une affaire gérée en société conserve en général une meilleure image que celle gérée en personne physique. Cela vaut donc aussi pour le fisc. Bien qu’il ne faille pas faire preuve d’angélisme en cette matière, le caractère professionnel des frais soulève moins d’interrogations pour une société dont les dépenses et revenus sont présumés professionnels qu’à l’égard des personnes physiques où le départ entre frais privés et frais professionnels fait quelquefois l’objet de contrôles âpres et musclés ;
  4. les sociétés qualifiées de P.M.E. ont droit à un tarif réduit et à divers autres avantages fiscaux (tels la réserve de liquidation le dividende VVPR-BIS, et certains taux de déduction pour investissement préférentiels) ;
  5. le passage en société permet aussi de faire l’économie d’importantes cotisations sociales.


LES CONTRAINTES ET LES INCONVENIENTS.

Une affaire en société requiert toutefois une grande rigueur administrative, la tenue d’une comptabilité en partie double et le respect des exigences du droit des sociétés, ce qui peut parfois suffire à éroder l’enthousiasme de nombre de candidats.

Un autre inconvénient de la société est que la sortie de certains actifs (immeuble, véhicule, etc.) logés dans la société ne peut se faire sans taxation sur les plus-values éventuelles.

La taxation à l’impôt des sociétés entraîne aussi les autres conséquences suivantes (parmi d’autres) qu’il convient de ne pas perdre de vue :

  • la cotisation spéciale sur commissions secrètes ou bénéfices dissimulés. Une « commission secrète » attribuée par une personne physique entraîne simplement la non-déductibilité de celle-ci (et d’éventuels accroissements d’impôts). En revanche, une commission secrète attribuée par une société donne lieu à une cotisation distincte de 103 % ;
  • d’autre part, lorsqu’une personne physique dissimule une partie des revenus, la sanction applicable est, outre l’impôt sur ces revenus non déclarés, des accroissements d’impôt oscillant entre 10 % à 200 % au maximum. Lorsqu’une société dissimule son bénéfice, celle-ci est soumise à une cotisation égale à 103%. La sanction est éminemment plus lourde et il ne semble guère judicieux de conseiller aux personnes qui auraient une certaine propension à « faire du noir », de mettre leur affaire en société ;
  • les sociétés sont taxées sur leurs bénéfices dès que ceux-ci prennent la forme d’une créance certaine et liquide. Cette règle s’applique aussi aux entrepreneurs qui ont des bénéfices, mais ne concerne pas les titulaires de professions libérales taxés sur leurs recettes. Si ces derniers ont beaucoup de clients difficiles ou peu scrupuleux, le passage en société peut constituer un réel handicap ;
  • la perte de l’attribution d’une quote-part conjoint aidant : tout n’est pas noir dans le régime fiscal des personnes physiques. Les indépendants (commerçants ou titulaires de professions libérales) ont (jusqu’à présent ...) la possibilité d’attribuer au conjoint qui les assiste une quote-part de leurs revenus (ce qui constitue un moyen non négligeable d’amoindrir les effets dévastateurs de la progressivité de l’impôt. Dès l’instant où ces indépendants passent en société, ils deviennent dirigeants d’entreprise. Or, les dirigeants d’entreprise n’ont pas droit à cette attribution. Ils perdent donc un avantage fiscal. Ils ont toutefois droit, comme toute personne physique mariée ou cohabitante légale au quotient conjugal ;
  • un double contrôle fiscal possible :on ne perdra pas de vue que pour un dirigeant qui a choisi de mettre son affaire en société, le risque d’un double contrôle fiscal demeure : à l’impôt des personnes physiques (sur ses revenus en tant que dirigeant) et à l’impôt des sociétés. À l’impôt des sociétés, les écritures comptables devront pouvoir être justifiées, les annexes obligatoires devront être jointes et les documents comptables devront être soigneusement conservés. On notera toutefois que, en pratique, le contrôle des déclarations à l’I.P.P. est quelquefois opéré par les services de taxation I. Soc. (notamment en ce qui concerne les avantages de toute nature) ;
  • la société est tenue d’attribuer à son dirigeant une rémunération de minimum 45.000 EUR par an (ou une rémunération égale à la base imposable), si elle ne veut pas perdre le bénéfice du taux réduit de l’impôt des sociétés ;
  • la théorie de la rémunération constitue aujourd’hui un véritable écueil pour les sociétés (notamment qui ont des immeubles à leur actif).

En conclusion, il ne peut y avoir de réponse absolue, car tout dépendra du cas d’espèce. L’œuvre du conseiller fiscal s’apparente ici plus que jamais à celle de l’artisan travaillant sur mesure.


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