La fin de la quatrième DLU et les rapatriements d’avoirs étrangers par des résidents belges

Cette publication a pris place dans le cadre du Tax TV Show de janvier 2024.


L’amnistie fiscale à la belge

Depuis 2006, se sont succédées 4 formes particulières d’amnisties fiscales en Belgique. Celles-ci visaient essentiellement, mais pas uniquement, les revenus de capitaux placés à l’étranger par des résidents belges.

La première, initiée en 2006, s’appelait la « Déclaration Libératoire Unique », et permettait, à l’intervention des banques, de payer un montant forfaitaire permettant d’échapper aux poursuites fiscales et pénales pour fraude fiscale et pour certains délits qui y sont généralement associés.

On a préféré les termes de « Déclaration Libératoire » à celui d’amnistie, même si en réalité il s’agissait d’une véritable amnistie.

Proclamée « unique », cette déclaration libératoire s’est pourtant renouvelée à trois reprises, avec des intervalles de « vides juridiques », pendant lesquels, des accords ont néanmoins été souvent conclus avec l’administration fiscale, sans garantie sur le plan pénal. Vers les années 2012 et 2013, à l’annonce que le système prendrait fin à la fin de 2013 et ne serait pas renouvelé (sic), un très grand nombre de résidents belges ont ainsi régularisé leur situation, à propos des revenus non-prescrits.

Portant le plus souvent sur une période de 7 ans (parce que la prescription avait cette durée), ces régularisations couvraient les intérêts et autres revenus des capitaux. C’est logique, puisqu’en l’absence de taxation annuelle du capital en Belgique, seuls les intérêts devaient être régularisés, et, en tout cas dans le cadre de la « DLU 2 », l’administration n’aurait d’ailleurs pu taxer autre chose.

On estime à plus de 80.000 les résidents belges qui ont ainsi régularisé les intérêts non-déclarés des 7 dernières années, à cette époque. Quant à leur capital, ils l’ont soit rapatrié par transfert dans des banques belges, soit maintenu sur leurs comptes étrangers, ce que rien ne les empêchait de faire.

La loi belge a ensuite prévu une nouvelle possibilité de régularisation, dite « DLU 4 », qui prend toutefois fin au 31 décembre 2023. Beaucoup plus coûteuse, celle-ci permet de régulariser, non seulement les intérêts, mais aussi les « capitaux prescrits », que, en dehors de cette procédure de régularisation, l’administration ne pourrait pourtant pas taxer. Avec la différence que cette fois, si un dossier est introduit, l’administration enrôlait les impôts, y compris sur ces capitaux prescrits (sic), sans possibilité pour le requérant de retirer sa demande.

En raison de son coût, et sans doute du fait qu’elle porte notamment sur des revenus prescrits, cette procédure a eu peu de succès. Encore faut-il dire que la plupart des procédures introduites l’ont été à la demande ou sur l’exigence des banques belges, qui, en l’absence de preuve de l’origine licite des fonds, ont pratiquement toujours refusé les capitaux qu’il leur était proposé de recevoir. Elles ne l’ont pas fait pour des raisons fiscales, puisque même l’administration fiscale n’aurait pu taxer ces capitaux, mais par crainte d’être accusées de blanchiment, ou à tout le moins de ne pas avoir respecté le volet préventif de la législation anti-blanchiment.

C’est ce que nous tenterons d’expliquer dans la présente contribution.


Les situations concernées

Le problème évoqué ici se situe notamment à propos des « capitaux prescrits » au moment de la demande de régularisation.

Personne ne conteste la taxation des revenus des 7 dernières années, voire des 10 dernières années depuis la modification des délais de taxation : il s’agit d’une régularisation « ordinaire », ressemblant aux précédentes.

La particularité du système concerne la régularisation de capitaux prescrits. La loi prévoit en la matière que, lorsque le contribuable décide de se soumettre à cette procédure, il doit payer un lourd prélèvement (40 %) sur les capitaux prescrits (pourtant non-taxables dans une situation ordinaire) sur le total de ceux-ci, sauf sur les montants dont il pourrait lui-même faire la preuve du fait qu’ils ont subi leur régime fiscal. Celui-ci peut consister en une taxation en Belgique ou à l’étranger, ou aussi en une exonération, pourvu qu’elle soit légale : par exemple une plus-value immobilière ou sur des valeurs mobilières, ou une donation reçue plus de trois ans avant le décès du donateur, ou encore une succession pour laquelle les droits légitimement dus en Belgique ou à l’étranger ont été payés ou bénéficiaient d’une exonération.

On a remarqué dès le départ que cette procédure revenait à une inversion de la charge de la preuve. Non seulement l’administration ne pourrait plus taxer ces capitaux ou revenus, même si elle pouvait en faire la preuve, puisqu’ils sont prescrits, mais en outre, le contribuable qui veut les régulariser, doit supporter l’impôt s’il ne fait pas la preuve de la régularité de ces capitaux, non seulement quant à leur origine, mais aussi quant au respect de la loi fiscale. Cette situation est tout à fait exorbitante par rapport aux règles essentielles en matière de charge de la preuve sur le plan fiscal. Sachant que le problème sous-jacent peut concerner le blanchiment, et donc une question d’ordre pénal, il s’agit de bien plus : la mise à charge d’une personne pouvant potentiellement être accusée d’un délit, de la preuve de son innocence.

Toutefois, cette inversion de la charge de la preuve n’est prévue que dans le cadre de la seule procédure de régularisation, et rien n’empêche un contribuable ou un justiciable, de l’éviter, en ne recourant pas à la régularisation.

Ce problème de charge de la preuve est encore exacerbé par le fait que cette preuve est, dans un sens ou l’autre, le plus souvent impossible à faire. S’agissant de comptes bancaires, et à part pour les personnes, relativement rares, qui conservent pendant un très longue durée les extraits de leurs comptes, il y a très peu de chances que l’on puisse établir l’origine précise des fonds à régulariser. En effet, le délai dans lequel les banques doivent conserver les documents relatifs aux comptes de leurs clients est de 10 ans. Or une régularisation en 2023 sur des capitaux dont les revenus ont été régularisés en 2012 ou 2013, au plus tard, porte sur des capitaux reçus, dans la quasi-totalité de cas, beaucoup plus de 10 ans avant 2023. Il ne suffit en effet pas de régulariser les revenus jusqu’à l’année 2013, ce qui a le plus souvent déjà été fait, mais bien de démontrer l’origine des capitaux dont les revenus ont alors été régularisés.

On se trouve donc dans une situation où le contribuable assume la charge de la preuve, mais la législation elle-même rend cette preuve pratiquement impossible. On relèvera que, parallèlement, si ce contribuable devait être accusé de blanchiment par le Parquet, les mêmes difficultés se présenteraient, cette fois pour celui-ci, conformément aux règles essentielles de la procédure pénale …

Le problème se situe au niveau des banques, qui n’acceptent les capitaux que si la même preuve leur est faite par leur client ou potentiel client : elles attendent de lui qu’il fasse la preuve de l’origine licite, et du respect de la législation fiscale, portant sur les capitaux que le client veut leur remettre.

La question en droit

Comme exposé ci-dessus, le problème ne relève pas du droit fiscal, mais du droit pénal.

Le blanchiment d’un bien, quel qu’il soit, consiste en le fait d’accomplir pratiquement n’importe quel acte juridique concernant un bien qui constitue un avantage patrimonial provenant d’une infraction.

La Cour de cassation belge a décidé que l’économie faite par un contribuable qui n’accomplit pas, volontairement, ses obligations fiscales, constitue un avantage patrimonial provenant de la fraude, quoiqu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une « chose », mais bien de l’évitement d’une dette.

Cette décision, qui ressort d’un arrêt de principe du 22 octobre 2003, ne porte toutefois pas sur la question de savoir si un tel avantage patrimonial, qui, rappelons-le, consiste en l’évitement d’une dette, est susceptible de faire l’objet d’une confiscation, et peut ainsi faire l’objet lui-même d’un acte de blanchiment. Dans l’affirmative, il en serait ainsi tant du contribuable qui utilise les fonds que de la banque qui, connaissant leur origine ou devant les connaître, les accepterait.

On se rend toutefois compte qu’il est fort difficile d’identifier un avantage patrimonial consistant en l’évitement d’une dette, puisque rien n’obligerait à payer cette dette avec un avoir déterminé du capital.

C’est ce qu’a compris la Cour de cassation de Belgique dans deux arrêts, des 23 septembre 2015 et 19 novembre 2019. Il ressort de ces arrêts que lorsque le montant de l’impôt éludé ne peut être spécifiquement retrouvé dans l’ensemble d’un patrimoine, il ne peut faire l’objet d’un acte de blanchiment. Il n’en serait toutefois pas ainsi lorsque l’avantage tiré de la fraude fiscale reste identifiable.

Cette dernière hypothèse, qui est clairement une exception, ne se présente pratiquement jamais. L’avantage résultant d’une infraction de fraude fiscale ne consiste en effet pas en le capital dont les revenus n’ont pas été déclarés, ni même en ces revenus eux-mêmes, mais en l’impôt qui aurait été payé si le revenu avait été déclaré, et qui ne l’a pas été en raison de la fraude fiscale commise. Si l’on peut connaître des cas où le capital a été caché, et d’autres où ce sont les revenus qui l’ont été, on imagine difficilement comment on peut, concrètement, identifier l’avantage patrimonial consistant en l’impôt éludé. Ce serait une pure construction de l’esprit que d’imaginer un contribuable qui, soigneusement, placerait sur un compte distinct le montant de l’impôt qu’il aurait normalement dû payer et qu’il a bien pris soin de ne pas déclarer.

Or, s’il n’y a pas d’avantage patrimonial qui soit « identifiable », comme le dit la Cour de cassation, il n’y a pas de délit de blanchiment possible.

C’est dans ce contexte que se présente la situation devant les banques qui reçoivent des capitaux. Les revenus de ces capitaux ont le plus souvent (mais pas toujours) fait l’objet d’une régularisation en 2012 ou 2013, voire avant cette date, et, conséquents, les contribuables ont en général, soit déjà rapatrié ces capitaux en Belgique, soit les ont maintenus à l’étranger, mais ont évidemment correctement déclaré l’existence de ces comptes étrangers, et les revenus de ceux-ci à l’administration fiscale belge.

La banque se trouve donc devant une situation où les revenus ont été correctement déclarés pour la période pour laquelle ils seraient encore théoriquement taxables, mais où le capital ne l’a pas été. On rappellera ici que les capitaux ne doivent pas être déclarés en droit belge, en l’absence d’impôts portant sur ceux-ci, mais il peut exister une supposition suivant laquelle ces capitaux proviennent de l’accumulation de revenus (ou de l’acquisition du capital lui-même), à l’étranger, ce qui n’est pas nécessairement illicite, mais peut, ou non, être un indice, mais non une preuve, d’une fraude fiscale antérieure, qui, si elle a existé, n’est pas régularisée.


La situation des banques

Les banques belges se trouvent alors dans une situation délicate.

Elles ne sont pas juges de leurs clients, et n’ont donc pas à apprécier si une fraude fiscale a été ou non commise, et ne devraient normalement pas connaître de la question de la preuve de celle-ci ou de l’innocence du client.

Toutefois, le volet préventif de la législation anti-blanchiment met à leur charge des obligations distinctes.

Il n’appartient pas en effet à la personne soumise à la législation anti-blanchiment d’apprécier s’il y a eu infraction ou non, mais seulement si elle a des bonnes raisons d’avoir un « soupçon » que les fonds qu’on lui remet ou qu’on veut lui remettre proviennent d’une infraction, de telle manière que l’acceptation de ceux-ci pourrait constituer un acte de blanchiment.

Pour les banques, il ne s’agit donc pas d’une question de preuve, mais d’un simple « soupçon ».

Dans les situations que nous avons évoquées ici, nous avons relevé qu’il n’y a en général ni preuve de la culpabilité du contribuable, ni preuve de l’innocence de celui-ci. C’est pourquoi la question du « soupçon » devient très importante, d’autant plus que c’est en présence d’un tel soupçon que la banque est tenue de formuler une « déclaration de soupçon » à adresser à la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF).

La situation est donc délicate pour les banques. Elle l’est d’autant plus qu’elles sont soumises à un organisme régulateur, la Banque Nationale de Belgique. Celle-ci, suite notamment à la situation particulière d’une banque précise, a émis le 8 juin 2021 une circulaire portant sur « les devoirs de vigilance à l’égard des rapatriements de fonds depuis l’étranger et la prise en compte des procédures de régularisation fiscale pour l’application de la loi anti-blanchiment » (Circulaire NBB 2021-12).

Cette circulaire, abondamment commentée, met à charge des banques, certes à titre de simples recommandations, l’obligation de recueillir des masses importantes d’informations de leurs clients avant d’accepter les fonds, ou même de leur poser, rétroactivement, ces questions, lorsqu’elles ont accepté des capitaux jusqu’à 10 ans en arrière. Cela place les banques dans une situation particulièrement embarrassante, tant à l’égard de leurs clients qu’à l’égard de leurs régulateurs : ce qui n’est en théorie qu’une simple recommandation est souvent appréciée comme une obligation particulièrement importante lorsqu’elle est formulée par le régulateur lui-même.

Ceci amène la plupart des banques belges, avec certes une certaine marge d’appréciation, à exiger de leurs clients des preuves aussi lourdes que celles que requerrait le Service des Décisions Anticipées en cas de demande de régularisation, pour justifier de la régularité des fonds. En d’autres termes, face à leur banque, les contribuables se retrouvent eux aussi dans une situation, injuste, où ils doivent faire la preuve de leur innocence. A défaut de cette preuve, les banques exigent que leurs clients procèdent à la régularisation « DLU 4 » qui, précisément, les oblige aussi à démontrer cette innocence.

Et, si cette preuve n’est pas faite, elles refusent purement et simplement les fonds, voire clôturent la relation client, non en invoquant un acte de blanchiment que personne ne peut établir, mais en se basant simplement sur le texte de leurs conditions générales qui leur permet de mettre fin à toute relation sans avoir à justifier d’un motif.

De plus, à partir du 1er janvier 2024, il ne sera même plus possible, pour les contribuables en question, de recourir à la régularisation dite DLU 4.

Que doit faire le contribuable ?

S’il n’a pas introduit la régularisation dite DLU 4, le contribuable n’aura plus beaucoup de solutions à proposer.

Il pourra certes tenter de convaincre sa banque d’accepter les fonds, mais comme exposé ci-dessus, cela implique qu’il produira à l’égard de la banque des preuves dont il ne dispose en général pas, parce que cela porte sur des périodes trop anciennes. Il s’agit, rappelons-le, de démontrer l’origine de capitaux, parfois anciens, y compris, d’après la circulaire précitée de la Banque Nationale, de capitaux ayant appartenu aux parents ou aux grands-parents du contribuable, voire à une autre personne dont il a hérité, et dont il peut légitimement ignorer comment il a perçu les capitaux en question. Cette voie sera par conséquent particulièrement difficile à suivre.

A défaut, le contribuable sera bien contraint de maintenir les fonds sur un compte étranger, s’ils y sont encore. Cette situation apparaît dans la plupart des cas, comme étant la meilleure ou la moins mauvaise. Elle implique évidemment que le contribuable respecte, pour l’avenir, comme cela a souvent été le cas depuis la période de régularisation de 2012/2013, ses obligations fiscales belges : il doit scrupuleusement déclarer l’existence de son compte étranger, et aussi les revenus imposables de celui-ci.

Malheureusement, le contribuable se trouvera alors dans l’impossibilité d’accomplir un certain nombre d’actes qui demanderaient l’intervention d’un intermédiaire financier belge : il ne pourra pas envoyer les fonds sur un compte belge, ni acquérir des biens immobiliers en Belgique, ni participer à la constitution ou à l’augmentation de capital d’une société belge, ni même prêter de l’argent, par virement sur un compte bancaire belge, à des proches, des associés ou des tiers.


Conclusion

La situation que nous avons décrite ci-dessus est particulièrement décevante.

Elle résulte simplement d’une énorme ambiguïté, probablement voulue, sur une simple question de preuve, qui relève normalement de la procédure.

S’agissant de capitaux dont personne ne peut, dans la plupart des cas, établir s’ils constituent ou non des « avantages patrimoniaux tirés d’une infraction », les personnes qui les détiennent se trouvent dans l’incapacité de les utiliser en Belgique. Pourtant, l’on sait très bien que la preuve de leur culpabilité est en général impossible à formuler, mais ils se retrouvent dans cette situation en vertu d’une législation anti-blanchiment qui aboutit indirectement à tout bloquer simplement en présence d’un soupçon, même si celui-ci n’est pas communiqué aux autorités compétentes.

On peut effectivement craindre que c’est à dessein que l’on a créé cette situation pour inciter les contribuables à procéder à la DLU 4 jugée rentable pour l’Etat, même en l’absence de fraude fiscale antérieure. Même cet objectif, dont la légitimité est plus que douteuse, n’a toutefois pas été atteint, puisque l’on connaît le rendement de cette procédure de DLU 4, assez décevant pour l’Etat : les produits et services trop chers ne se vendent pas ... ;

Il faut donc bien arriver à la conclusion que les conséquences des législations malencontreuses, et probablement d’une régulation trop tatillonne, sont nuisibles pour toutes les personnes concernées : les contribuables, les banques et l’Etat lui-même …

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