La fiscalité relève-t-elle de la psychiatrie ?

Lorsqu’une entreprise attribue un avantage à l’un de ses collaborateurs dirigeant ou salarié, le bénéficiaire obtient en principe la contrepartie du coût pour la société qui le supporte.

Sans équivoque, c’est le cas du salaire mensuel dont le coût supporté par l’employeur correspond à l’avantage perçu par ledit collaborateur. Certes, la charge salariale et le net en poche ne sont pas identiques, mais la sécurité sociale et les impôts les réconcilient mathématiquement. Ils sont destinés à couvrir des services publics dont chacun bénéficie, parfois plus et parfois moins. Certains nous diront que leurs contributions ne sont pas à la hauteur des services rendus par la société, mais c’est un autre débat.

Mais la prise en charge par la société n’est pas toujours égale à l’avantage pour le bénéficiaire : Il est des circonstances où le service (ou le bien) sert en partie à l’entreprise et en partie au collaborateur pour son usage privé. En conséquence, la valeur économique pour le salarié ne correspond pas au coût supporté par l’employeur. C’est le cas de l’usage privé (le soir, le week-end) d’un abonnement téléphonique, d’un GSM, d’une voiture de société, d’un employé de maison etc. Puisque le bénéficiaire ne perçoit qu’une partie de ce que la société paie globalement, et encore en nature, le droit fiscal détermine la valeur de cette utilisation privée. On parle alors "d' avantage de toute nature”, ou ATN en abrégé.

Inclus dans le total de la rémunération, ces avantages sont taxés au taux progressif des impôts et sont généralement intéressants sous l’aspect économique. Un premier exemple qui nous vient à l’esprit est celui du GSM appartenant à l’employeur qu’il laisse à disposition de l’employé ou dirigeant en dehors des heures de travail : le fisc fixe l’ATN à 3 euros par mois pour un GSM et à 4 euros lorsque le collaborateur bénéficie d’un abonnement conjoint.

L’ATN n’est pas toujours aussi simple à déterminer, en atteste l’application de cette norme aux véhicules : s’il s’agit d’un véhicule mixte (entendez non exclusivement utilitaire), l’ATN est calculé selon une formule magique qui emporte le prix de la voiture, son niveau de pollution atmosphérique et son âge. Il y en aurait 400 000 en Belgique. Sauf exception, disposer d’une voiture pour son usage privé sans avoir à l’acheter constitue un ATN à un coût inférieur à celui de toute la voiture. Exception à la règle, si le véhicule est totalement utilitaire au sens de la DIV, c’est à la société propriétaire qu’il revient de calculer l’ATN en équivalence à l’avantage octroyé, car aucune formule n’existe en ce cas.

Une autre situation digne d’intérêt est celle des sociétés qui mettent à disposition gratuite d’un administrateur un immeuble destiné à son logement. Ayant constaté de tels abus, le législateur décida il y a bien longtemps de taxer les bénéficiaires de logements gratuits, en appliquant un ATN forfaitaire s’ajoutant au revenu imposable de l’intéressé. Cet avantage est calculé en appliquant une formule reposant sur le revenu cadastral de l’immeuble multiplié par 2,18 en 2024. Deux situations sont possibles, à savoir que l’immeuble soit attribué non meublé ou meublé. L’avantage forfaitaire est plus élevé lorsque l’immeuble attribué est meublé, c’est logique ; on se dit donc que le contribuable a intérêt à bénéficier d’un logement non meublé puisqu’il lui en coûtera moins. C’est ici que la fiscalité trouve un premier point de rencontre avec la psychiatrie, étant la bipolarité ou la dichotomie. Car à l’opposé, si le logement est considéré comme meublé, tout le mobilier de départ (éventuellement d’une grande valeur) et tout ce qui y sera ajouté par la suite fera partie du logement meublé. Une augmentation de l’avantage perçu n’aura pas de conséquence fiscale.

C’est cette dernière option que privilégia l’administrateur d’une société (la sienne) auquel l’administration fiscale notifia son désaccord. Il estimait que tout le mobilier, y compris celui de jardin, un vélo dame et un scooter devait être inclus dans l’ATN que, bon prince, il acceptait sans rechigner. Le litige prit la route des tribunaux et ne s’arrêta qu’en Cour d’Appel d’Anvers qui fit récemment la part des choses : elle décida que les appareils électroménagers et les chaises de salon provenant d’une grande chaîne suédoise faisaient partie du logement meublé. Mais qu’elle ne pouvait suivre le dirigeant pour qui les autres objets cités ci-dessus étaient attachés à l’immeuble. La cour estima donc que le dirigeant méritait de subir un ATN sur le mobilier de jardin et autres deux-roues. Peut-être aurait-il été plus intéressant de déclarer le logement comme non meublé et de mieux répartir les nombreux objets faisant soi-disant partie du contenu de l’immeuble mis gratuitement à disposition. Mais on ne peut certainement pas revenir en arrière à la fin d’une procédure judiciaire.

Certains estiment qu’il faut être fou en 2024 pour tenter d’y voir clair dans notre législation fiscale. Ou que certains comportements relèvent de la schizophrénie.

N’allons pas jusque-là mais constatons que les demandes de contribuables relèvent parfois de la bipolarité. Dans le cas évoqué ci-dessus, à la lecture de l’arrêt de la cour d’appel, il semble bien que ce soit l’exagération qui ait valu au contribuable une probable crise de nerfs.


Source : La Libre

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