Jour après jour, de manière indicible et sournoise, par micro-oscillations et infimes rotations de l’histoire, notre État social s’effrite. Bâti après la guerre dans un modèle de solidarité et d’alignement du travail et du capital, c’est aujourd’hui le capital qui a gagné à un niveau mondial. Le néolibéralisme et la mondialisation ont apporté beaucoup de bienfaits, mais pas pour ceux dont l’immobilité du travail les ancre territorialement.
Aujourd’hui, on distingue les « anywhere » (nomades ou mobiles) des « somewhere » (sédentaires), c’est-à-dire les gagnants et les perdants de la mondialisation, selon la capacité des humains à se mouvoir dans l’économie digitale et à se dissocier de leur ancrage territorial. Les « somewhere » sont les perdants assumés de l’évolution récente. On comprend d’ailleurs combien cette nécessité de mobilité crée l’anxiété sociale dans une économie mondialisée, d’autant plus que le travail « ubérisé », version moderne du servage féodal, est fragmenté, invisible et non valorisé. C’est un travail fracturé qui ne s’inscrit plus que dans les anfractuosités de la numérisation.
Alors, bien sûr, on peut blâmer les déclassés, les chômeurs, etc., parmi lesquels il y a certainement, pour certains, un manque d’adhésion à la société. Mais regardons les choses lucidement : l’évitement de l’impôt parmi les ultra-riches est aussi une réalité incontestable.
Mais revenons aux personnes en pauvreté et en précarité, ceux qui ont raté, comme le chantait Pink Floyd, le « starting gun », c’est-à-dire le coup de pistolet de départ de leurs vies.
Selon les statistiques officielles belges, 2 150 000 Belges, soit 18,6 % de la population, courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. Au niveau national, 1,7% de la population est confrontée à une privation grave du logement
C’est l’échec du modèle social même si la Belgique est un des pays les plus égalitaires du monde. C’est d’ailleurs étrange de penser qu’un système social qui écarte 18,6 % de sa population soit égalitaire.
Et puis, à côté de ces millions de Belges, il y a ceux dont le paiement du loyer devient insupportable, ceux pour qui l’accès à la propriété est un mirage et surtout ceux qui basculeront au moindre accroc de vie.
Alors que faire ? Revoir la fiscalité, surtout pour les jeunes et les bas revenus, mettre en œuvre des politiques innovatrices d’accès au logement et surtout avoir un débat citoyen large et respectueux sur ce sujet qui n’est pas mobilisateur.
Sans cela, cela pourrait mal se terminer, car je me dis souvent – et peut-être à tort – que les exclusions sociales créent un climat potentiellement de rupture sociale dont le décrochage citoyen n’est qu’un premier symptôme.