Le rapport de Mario Draghi sur l'avenir de la compétitivité européenne sera-t-il suivi d'effets ? Car derrière celui-ci, c'est la désintégration européenne qui est visée. On ne peut imaginer une mort lente commune de l'Europe sans que des courants politiques antagonistes se manifestent. Et derrière cette désunion, c'est l'euro qui sera, un jour, en péril. Ce n'est pas un danger immédiat, mais il le deviendra si la désintégration des compétitivités européennes s'amplifie.
Enchaînant des fonctions de banquier d'affaires, de président de Banque Centrale et de Premier ministre, Mario Draghi a travaillé pour le bien commun, mais aussi pour le grand capital. Économiste pragmatique et néolibéral, c'est un adepte de la théorie de l'offre, mais aussi de politiques monétaires expansionnistes, insistant sur la déréglementation du travail et sur l'excessive bureaucratie qui sont autant de freins à la croissance et à l'innovation. En février 2012, il avait d'ailleurs affirmé au Wall Street Journal que le modèle social européen était mort (en anglais : is gone). Mais, cinq mois plus tard, il a sauvé l'euro, en plein marasme des crises souveraines, avec son désormais légendaire "whatever it takes to preserve the euro".
C'est donc une personnalité hors norme qui vient de publier un rapport sur la compétitivité de l'Europe. Ce texte postule une Europe située à un moment existentiel, et qui pourrait s'effondrer sans un sursaut d'innovation, de réindustrialisation et de déréglementation. Il va même plus loin en affirmant que sans un sursaut, une lente agonie attend notre continent, miné par une faible productivité et le coût social du vieillissement de la population. Cela renvoie aux paroles d'Alain Minc, qui craignait à juste titre que l'Europe ne devienne une "Suisse avec des musées en plus".
Cette situation est évidemment aggravée par les crises énergétiques et militaires qui érodent notre continent, dans un contexte d'endettement très lourd de certains États, confrontés à des chocs de compétitivité dramatiques. Je pense notamment à l'Allemagne et à la France. Ceci s'ajoute à d'autres défis, parmi lesquels on trouve l'intégration d'une immigration apaisée, la remédiation écologique sous la forme d'une décarbonation de l'industrie, et une transition énergétique qui en est à ses balbutiements, faute d'avoir fait, à temps, le choix nucléaire.
Mario Draghi a raison : les politiques industrielles européennes se sont avérées des échecs tandis que le socle de valeurs partagées entre les différents pays européens se désagrège. Contrairement aux États-Unis, où l'alignement entre l'État et les entreprises dominantes est omniprésent, il est extrêmement compliqué de conjuguer les stratégies d'entreprises privées, souvent concurrentes dans les mêmes secteurs, avec une vision européenne homogène, au risque de contrarier la souveraineté des États membres.
Mario Draghi préconise des investissements de 800 milliards d'euros par an, soit 5 % du PIB européen, notamment au travers d'une mutualisation des dettes publiques dans l'innovation technologique, la transition énergétique et la recherche et développement. L'objectif est de rendre l'Europe plus dynamique et de créer des emplois dans les secteurs de pointe. Mais, même si un tel plan était établi, comment imaginer concilier cette exigence avec les contraintes de désendettement des États ? La seule solution serait des émissions massives d'obligations, qui seraient refinancées par la BCE. Mais cette orientation, contraire aux décisions récentes du Parlement européen qui a réinstauré les traités de Maastricht, serait probablement inflationniste, même si son avantage était d'affaiblir l'euro dans un contexte de restauration de la compétitivité européenne à l'exportation.
Le rapport Draghi sera-t-il suivi d'effets ? Ce sera très difficile dans une Europe politiquement fragmentée depuis les élections du 9 juin. Ce plan exigerait des modifications titanesques en matière d'abandon de la souveraineté économique des États membres. Et les chantiers sont herculéens : innovation, recherche et développement, industrialisation, souveraineté technologique et énergétique. Et pourtant, il montre une trajectoire. Car derrière ce rapport, c'est évidemment la désintégration européenne qui est visée. On ne peut imaginer une mort lente commune de l'Europe sans que des courants politiques antagonistes se manifestent. Et derrière cette désunion, c'est l'euro qui sera, un jour, en péril. Ce n'est pas un danger immédiat, mais il le deviendra si la désintégration des compétitivités européennes s'amplifie. Le rapport de Mario Draghi est véritablement le dernier avertissement.