Les « Quatre Saisons » de la réforme fiscale « Vivaldi »

Si l’on savait depuis plusieurs semaines que la grande réforme fiscale esquissée par le Ministre des Finances durant l’été 2022 n’aurait pas lieu, on pouvait s’interroger sur les mesures qui seraient finalement retenues et présentées aux votes des parlementaires durant cette législature. Vincent Van Peteghem vient de lever un coin du voile sur cette réforme qui souffle du chaud et du froid à l’image des « Quatre Saisons » du compositeur italien qui a prêté son nom au gouvernement belge.

A. Pour les personnes physiques

« La Belgique est aujourd’hui championne dans les pays de l’OCDE en matière de taxation du travail. Il doit y avoir un glissement d’une partie des charges sur le travail vers les charges sur le patrimoine et la consommation » disait Vincent Van Peteghem. La diminution de la charge fiscale sur le travail était donc le principal objectif de son projet de réforme. Comment ?

  1. En augmentant la quotité exemptée d’impôt de 10.160 euros à 13.500 euros ;
  2. En relevant le plafond de la tranche d’imposition de 45% de 46.440 euros à 60.000 euros ;
  3. En étendant le bonus à l’emploi ;
  4. En augmentant l’avantage fiscal pour les parents isolés ;
  5. En augmentant la réduction d’impôt pour garde d’enfants qui atteindra 24,70 euros.

Si ces mesures sont positives, elles sont accompagnées d’autres mesures que l’on pourrait qualifier de « compensatoires » qui pourraient impacter défavorablement certains contribuables :

  1. L’élimination progressive du quotient conjugal ;
  2. La suppression de la déduction et de l’imposition corrélative de la pension alimentaire. A cet égard, les modalités d’entrée en vigueur de cette mesure seront évidemment importantes puisque que de nombreux couples divorcés ont tenu compte de l’impact fiscal de la déduction et de l’imposition de ces pensions lors de la conclusion des conventions régissant leur séparation. Va-t-on les amener à renégocier ces accords parfois conquis de haute lutte avec un retour devant les chambres familiales des tribunaux déjà surchargées ? Probablement pas car le Ministre des Finances annonce une période transitoire de 20 ans (!).
  3. Les avantages en nature forfaitaires tels que la mise à disposition d’un logement ou de personnel domestique seront imposés sur la base de leur valeur réelle, et non plus forfaitairement. Voilà qui va faire très mal à certains dirigeants d’entreprise qui ont acquis leur immeuble d’habitation par l’intermédiaire de leur société.
  4. La taxe sur les comptes-titres sera doublée de 0,15 % à 0,3 %. Fort d’une validation par la Cour constitutionnelle, il était à craindre effectivement que le gouvernement ne modifie le taux de la taxe, comme il l’avait fait à une autre époque pour la taxe sur les opérations de bourse. Une opération d’apparence indolore pour l’opinion publique mais très significative néanmoins pour les contribuables soumis à cette taxe en cette période de forte inflation. Et puis, alors qu’il s’agit aussi de relancer l’économie, on peut s’interroger sur l’opportunité On va taxer les personnes qui investissent en titres de sociétés, alors qu'il faudrait au contraire favoriser les apporteurs de capitaux à risques. Veut-on vraiment inciter encore le recours au compte épargne ?
  5. Le régime fiscal des plans d’options sur actions sera désormais limité aux actions de l’employeur ou de sa société mère. La taxation à l’attribution, qui rendait parfois difficile la mise en œuvre de ces plans, sera complétée d’un autre régime qui devrait permettre une taxation à l’exercice des options


B. Pour les sociétés

  1. Dans la foulée de l’accord conclu le 15 décembre 2022 par les 27 Etats membres de l’Union européenne sur un projet de taxation des bénéfices des multinationales, un impôt minimum de 15 % sur les bénéfices des multinationales réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel sera introduit.
  2. La déduction des revenus définitivement taxés à 100 % devient une exonération pure et simple mais le gouvernement entend limiter le bénéfice du régime, au moyen de l’ajout de nouvelles conditions, pour les SICAV RDT et les participations de plus de 2.500.000 d’euros.
  3. La déduction pour investissement sera étendue en vue de favoriser les investissements « durables ».
  4. Le crédit d’impôt pour la recherche et développement sera étendu aux investissements « durables ».
  5. La déduction pour revenus d’innovation sera profondément réformée en imposant l’existence d’un brevet pour attester du caractère innovant. Après la très controversée réforme du régime fiscal des droits d’auteur, c’est un nouveau coup de massue pour toutes les entreprises actives notamment dans le secteur des technologies de l’information.
  6. La taxe sur les comptes-titres sera doublée de 0,15 % à 0,3 % (voyez ci-avant)

C. Pensions complémentaires

La règle des 80% (la somme du montant de la pension légale estimée et des capitaux de pension complémentaire du dirigeant, convertis en rente, ne peut dépasser 80% de son revenu imposable brut actuel) sera supprimée et remplacée par un système présenté comme plus simple : le dirigeant pourra verser jusqu'à 12% de son salaire s'il gagne jusqu'à 71.000 euros et jusqu'à 32% s'il gagne davantage. Après des mois de palabres, l’on ne peut probablement que se réjouir de cette nouvelle mesure simplificatrice. Joie de courte durée probablement puisque la Ministre des Pensions a déjà fait savoir qu’elle envisageait d’imposer plus lourdement les capitaux issus de ces pensions complémentaires. Affaire à suivre (encore).


D. TVA

  1. Les taux réduits de 6 et 12 % seront harmonisés à 9 %
  2. Un taux de 0 % s’appliquera sur les fruits et légumes, les médicaments, les produits d’hygiène personnelle tels que les couches et les transports en commun
  3. La TVA à 6% sera conservée (et donc confirmée) sur le gaz, l’électricité, l’eau de distribution et le chauffage domestique.

E. Ruling

Le Ministre des Finances annonce une coopération renforcée entre le Service des décisions anticipées et l’administration fiscale. L’on se souviendra à cet égard de nombreuses péripéties récentes notamment en matière de fiscalité des options sur actions, des décisions rendues par le Service des décisions anticipées ayant été remises en cause par l’administration fiscale. Ceci confirme manifestement une perte d’influence importante du Service des décisions anticipées dont certaines décisions dérangeaient. Il n’est pas certain que cette coopération renforcée permette de conserver l’efficacité du recours au Service des décisions anticipées auquel font appel de nombreuses entreprises, multinationales notamment.


F. Conclusion

Exit donc le « grand projet de réforme fiscale » du Ministre des Finances Vincent Van Peteghem. La taxation des plus-values sur actions et celle des loyers réels ne seront pas votées sous cette législature. Le Ministre propose néanmoins une réforme d’ampleur qui fera des heureux (les travailleurs de la classe moyenne), des déçus (les détenteurs de patrimoine ne disposant que de peu de revenus professionnels) et des mécontents (encore et toujours le secteur IT). C’est la règle de l’exercice.

Place maintenant aux discussions intergouvernementales qui, sous réserve du doublement de la taxe sur les comptes-titres et de la déduction des revenus d’innovation, s’annoncent sans doute moins âpres qu’on ne pouvait l’imaginer. Le projet du Ministre des Finances a en effet l’intelligence d’offrir à chaque partenaire de la majorité au moins une mesure à laquelle son électorat sera sensible.

Ceci suffira-t-il pour aboutir avant l’été ?

A suivre…

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