Les régularisations fiscales, le rapatriement de capitaux et la législation anti-blanchiment (Part V)

Cette contribution est la cinquième partie sur sept d’une série présentant les enjeux fiscaux et pénaux des rapatriements de fonds depuis l’étranger sous l’angle de la législation anti-blanchiment.

FiscalitéF.F.F.Les régularisations fiscales, le rapatriement de capitaux et la législation anti-blanchiment (Part I)


IV. Questions pratiques liées au rapatriement

IV.A. Première question : est-on en présence d’une fraude fiscale simple ou d’une fraude grave, organisée ou non ?

22.

Cette question est indifférente de l’existence ou non d’une procédure de régularisation fiscale.

Comme on l’a vu ci-avant, s’agissant des tiers à l’infraction primaire, sauf dans le cas rare d’une opération que l’on pourrait qualifier de blanchiment pur, à savoir la conversion ou le transfert de fonds dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite, la législation anti-blanchiment ne vise pas, en matière fiscale, la fraude simple.

En cas de rapatriement, la première analyse à laquelle il conviendra toujours et obligatoirement de se soumettre est celle de la qualification des éventuelles infractions fiscales.

Sur la base des éléments exposés ci-avant, l’on devrait ainsi pouvoir qualifier de fraude simple la non-déclaration de revenus mobiliers ou l’omission d’un actif successoral, quand bien même ces revenus ou cet actif auraient été perçus ou détenus par l’intermédiaire d’une structure patrimoniale.

Considérer qu’il ne s’agit pas d’une fraude simple reviendrait en effet à ôter toute pertinence à la distinction entre fraude simple et fraude grave, organisée ou non.

Il faut convenir nécessairement que la seule absence de déclaration d’un revenu ou d’un actif constitue l’expression la plus simple d’une fraude fiscale.

IV.B. Deuxième question : en présence d’une fraude autre que simple, quels sont les effets d’une régularisation fiscale ?

23.

Lorsqu’elles en avaient la faculté, les personnes ayant eu recours aux procédures de régularisation se sont bien souvent contentées de ne viser que les revenus et capitaux non prescrits fiscalement.

Seuls ceux-ci présentaient en effet encore un risque sur le plan fiscal et, du moins au temps des premières procédures de régularisation, le volet pénal était bien souvent négligé. A cet égard, on rappellera d’ailleurs que les deux premières procédures de régularisation fiscale ne visaient en toute hypothèse que la fraude simple.

Par ailleurs, jusqu’à l’entrée en vigueur, le 15 juillet 2013, de la DLUter, les procédures de régularisation fiscale ne prévoyaient pas expressément la possibilité de régulariser des capitaux prescrits.

Peut-on soutenir que, puisque les DLU et DLUbis ne prévoyaient pas expressément la régularisation des revenus fiscalement prescrits, au contraire de la DLUter et de la DLUquater, ces procédures portant exclusivement sur les revenus non prescrits étaient « parfaites », avec pour conséquence l’octroi d’une amnistie pénale sur l’ensemble des capitaux prescrits ou non ?

Une réponse simplement affirmative, outre qu’elle annihilerait l’intérêt de cette contribution, serait sans doute trop réductrice et la question demeure complexe.

24.

S’agissant de la DLU, la procédure de régularisation portait notamment sur « les sommes, capitaux ou valeurs mobilières qui étaient placés avant le 1er juin 2003 » sur un compte bancaire étranger, ce qui n’excluait en aucun cas les capitaux prescrits[1].

A l’époque, le Ministre des Finances avait d’ailleurs indiqué que la régularisation visait « des sommes sur lesquelles les créances fiscales sont prescrites »[2].

La Cour constitutionnelle fut également amenée à se pencher sur cette question à l’occasion du recours en annulation introduit par deux contribuables qui, eu égard aux taux de régularisation appliqués, considéraient qu’il existait une discrimination injustifiée entre les personnes qui procédaient à une régularisation spontanée auprès de leur administration fiscale locale et celles qui avaient recours à la DLU.

La Cour rejeta le recours et précisa qu’ « il convient aussi de tenir compte de ce qu’en l’absence de la mesure attaquée, eu égard aux règles de droit fiscal en matière de prescription, le risque existe qu’aucun impôt ne soit jamais payé sur les sommes déclarées. Pour autant que la loi attaquée concerne des montants pour lesquels les dettes fiscales sont prescrites, elle permet au déclarant via la déclaration libératoire unique, d’échapper aux poursuites pénales et à l’autorité taxatrice de recouvrer une partie des impôts éludés qui, sans cela, auraient été définitivement perdus »[3].

Il ne fait guère de doute, sur la base de cet attendu de l’arrêt, que la Cour constitutionnelle considère que, dans le cadre de la DLU, le prélèvement pouvait frapper les capitaux non déclarés qu’ils soient prescrits ou non.

25.

S’agissant de la DLUbis, le Ministre des Finances s’était prononcé sur la question de la période de revenus à régulariser au cours des travaux préparatoires de la loi, indiquant qu’une régularisation était toujours possible, après 3 ou 5 ans, mais aussi après 20 ans. Le Service des décisions anticipées[4] et une circulaire de 2010[5] avaient adopté la même position : le déclarant devait choisir lui-même le nombre d’années. Il était donc manifestement possible de régulariser des revenus prescrits, ce que certains ont d’ailleurs fait.

Aussi, le fait que la loi du 11 juillet 2013 ait modifié le régime de la DLUbis (pour en faire la DLUter), en introduisant la notion de « capitaux fiscalement prescrits » susceptibles d’être régularisés, ne signifie pas nécessairement que les capitaux prescrits ne pouvaient pas être régularisés sous la DLUbis. La distinction peut en effet se justifier par la différenciation dans les taux de prélèvement applicables.

Les travaux parlementaires de la loi-programme du 27 décembre 2005 instaurant un régime de régularisation permanente (DLUbis) précisaient néanmoins, concernant l’immunité pénale, que celle-ci s’appliquait également, pour ce qui concerne l’article 505 du Code pénal, « aux institutions financières, aux entreprises d’assurance ou société de bourse qui reçoivent des capitaux ayant fait l’objet d’une régularisation, ainsi que des capitaux sous-jacents »[6].

Comme l’indique S. SCARNA et C. REINESON, « c’est notamment sur cette base que les défenseurs de la thèse selon laquelle la seule régularisation des revenus ou sommes ou opérations non prescrites suffirait pour permettre le rapatriement de l’ensemble des fonds détenus à l’étranger se fondent pour soutenir leur position »[7].

26.

En cas d’existence d’une fraude fiscale grave, organisée ou non, la question du caractère « complet » des procédures de régularisation DLU et DLUbis n’ayant pas porté sur les capitaux prescrits reste controversée et aucune décision judiciaire ne l’a encore tranchée.

Par la voie d’une circulaire du 8 juin 2021 (n° 2021_12), la Banque nationale de Belgique (ci-après « BNB ») s’est très clairement positionnée en considérant que ces premières procédures de régularisation fiscale devraient être considérées comme « incomplètes » et qu’elles n’ont pu sortir aucun effet sur les avoirs non régularisés.

A cet égard, on précisera simplement, que la BNB ne dispose d’aucune compétence ni en matière fiscale ni en matière pénale, ce qu’elle reconnaît d’ailleurs expressément, et qu’elle abonde dans le sens d’une position qui n’a été ni confirmée ni infirmée en jurisprudence.

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[1] Article 2 de la loi du 31 décembre 2013 instaurant une déclaration libératoire unique, M.B., 6 janvier 2014

[2] Doc. parl., Chambre, 2003-2004, n°51-0353/005, p. 106

[3] Cour. const., 20 avril 2005, arrêt 2005/72, p. 3

[4] FAQ n° 5, www.ruling.be

[5] Circ. AOIF n° 28/2010, avril 2010, n°52

[6] Doc. parl., Ch. Repr., sess. ord. 2015-2016, n° 54-1738/001, pp. 12-13

[7] S. SCARNA et C. REINESON, « Le blanchiment de la fraude fiscale sous l’angle des rapatriements et des différentes DLU », in Le droit pénal fiscal dans tous ses états, Collection de la Conférence du jeune barreau de Bruxelles, Larcier, 2022, p. 101

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