L’Europe : grandir ou agoniser

Dire d’un enfant qui veut toujours être le premier qu’il est compétitif n’est pas le plus beau des compliments. Est-ce pour cette réminiscence ou parce que c’est synonyme de pression sur les coûts, et donc de salaires comprimés ou de cadences de travail toujours plus soutenues, nous ne savons, mais toujours est-il que le mot « compétitivité » est mal perçu dans nombre de milieux. Avec Mario Draghi et son rapport tout chaud, cela va devoir changer.

Qu’il s’agisse de technologie et d’innovation, de transition environnementale ou de secteurs clefs tel celui de la défense, il va falloir faire face aux défis de l’heure, sous peine de se condamner à une « agonie lente ». Et comme le rappelait tout récemment Paul Collier dans une conférence à Bruxelles, l’agonie lente est bien plus dangereuse que la crise brutale. Cette dernière provoque un sursaut, là où on s’accoutume au déclincomme la grenouille s’accommode d’une eau toujours plus chaude jusqu’au moment où il est trop tard pour réagir.

L’Europe a les ressources nécessaires et des atouts à jouer, dont son modèle social et une inclination plus grande à emprunter la voie de la transition environnementale, mais il faut les et se mobiliser. Bien sûr, la croissance du PIB par habitant n’est pas l’alpha et l’oméga de la réussite en matière socio-économique, mais le creusement de l’écart entre les deux bords de l’Atlantique, et au profit du « Nouveau monde » invite à réagir, avec une prescription claire : « Le principal moteur de ces évolutions divergentes est la productivité ».

Ce n’est nullement un procès en plagiat qu’il convient d’ouvrir, mais c’est étonnant comme le rapport de Mario Draghi fait écho au livre « Les 5 travaux d’Europe », joliment sous-titré « Une Europe qui nous fera grandir » qu’a publié tout récemment le juriste, avocat et professeur Philippe-Emmanuel Partsch. Lui aussi commence par rappeler les belles performances de la « Vieille Europe », et il insiste sur l’apport du projet européen dans ces résultats, pour un coût administratif bien léger. L’effet de levier de la coopération et de la mutualisation entre Etats membres est mis en avant, à l’heure où « Bruxelles » sert trop souvent de bouc émissaire, et cela tout en respectant, et c’est primordial de le redire, les diversités nationales. Bien sûr qu’on n’a pas imposé une langue unique aux Européens, cela se saurait, mais sachons aussi voir la grande hétérogénéité qui subsiste entre pays, notamment en termes de pression fiscale ou de niveau des dépenses publiques en pourcentage du PIB national, et notamment en matière de protection sociale. Entre l’Irlande et la France, l’écart est plus que du simple au double !

Mario Draghi parle d’agonie lente, Philippe-Emmanuel Partschde « bilan en péril », en prenant comme indicateur clef lui aussi la productivité du travail, dont il dit qu’elle est « un paramètre essentiel aussi pour la qualité de vie ». On est bien loin de la productivité à la Chaplin des Temps modernes, où celle-ci est éreintante et abrutissante. Observation simple, mais souvent absente, l’Europe est « ramassée », couvrant une superficie moins de la moitié de celle des Etats-Unis. C’est un inconvénient en termes de gisement de matières premières, certes, mais c’est un grand avantage pour organiser un grand marché … et consommer moins d’énergie dans les transports. Encore faut-il vouloir jouer le jeu du marché unique. Ainsi, indique P.-E. Partsch, « la France impose en matière d’assurance-vie que le contrat renseigne une série d’éléments, mais uniquement ceux prescrits par la loi française et dans l’ordre de celle-ci. » La tentation protectionniste n’est jamais loin, et le retour en grâce de la politique industrielle pourrait lui faire la part belle. De même faut-il redouter les réglementations qui, sous des apparences d’égalité (ou « level playing field ») font le jeu de mastodonte, « créant un grand champ de ruines (level dying field). »

Mario Draghi pointe un certain nombre de secteurs spécifiques : l’énergie, les matériaux critiques, la digitalisation et les technologies de pointe, les industries à forte intensité énergétique, les technologies vertes, l’industrie automobile, la défense, le spatial, l’industrie pharmaceutique et les transports.Le succès plus que mitigé des Plans Marshall successifs de la Wallonie invite à la prudence quant à la capacité des pouvoirs publics à identifier les secteurs les plus porteurs. Ici, P.-E. Partsch rappelle que « la Suisse ne connaît pas de politique industrielle, au sens de la promotion de certaines filières. Elle privilégie les mesures horizontales sans chercher à favoriser un secteur donné », et elle est pourtant parvenue à maintenir une activité manufacturière significative.

Enfin, éléphant dans le magasin de porcelaine, la décarbonation, qui s’est aussi imposée comme thème majeur du rapport de M. Draghi, est aussi bien présente dans l’ouvrage de P.-E. Partsch, avec en synthèse, l’affirmation que « A côté des progrès techniques, davantage de sobriété sera donc requis ».

Ah, que nous aimerions entendre les élus oser parler de sobriété. A lire la déclaration de politique régionale de la Wallonie à propos des aéroports, on est bien loin de cette évidence … et de ce courage !

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