L’instauration d’un système de "carry-back" ou "déduction anticipée" des pertes : un merveilleux outil fiscal pour aider les entreprises à passer le cap de la crise ...

Le Parlement a adopté le 18 juin dernier un nouveau projet de loi portant des "dispositions fiscales afin de promouvoir la liquidité et la solvabilité des entreprises dans le contexte de la lutte contre les conséquences économiques de la pandémie de COVID-19"


Parmi les mesures adoptées figure un système – absolument inédit en droit fiscal belge – de « déduction anticipée » des pertes. Il s’agit d’un merveilleux cadeau fiscal pour les entreprises (personnes physiques ou sociétés) qui subissent des pertes en ces temps de crise. (23 juin 2020 - Loi portant des dispositions fiscales afin de promouvoir la liquidité et la solvabilité des entreprises dans le contexte de la lutte contre les conséquences économiques de la pandémie de COVID-19, M.B. 01 juillet 2020, p.48783).


Je tenterai ci-dessous de mettre en lumière les principaux aspects pratiques de cette mesure pour les sociétés belges. Le système de « carry back » (littéralement : « report en arrière ») des pertes est une véritable nouveauté dans notre droit fiscal, où nous ne connaissions jusqu’à présent que le système dit du « carry forward », permettant la déduction des pertes antérieures sur les bénéfices futurs. Ce système de « carry forward » présente l’inconvénient de ne donner un « bol d’air » à l’entreprise qu’après son rétablissement, et non au moment où elle en aurait le plus besoin. Le « carry back » permet au contraire, avec l’imputation des pertes sur des bénéfices réalisés lors d’exercices antérieurs, le remboursement (bienvenu dans les temps difficiles) des impôts précédemment payés sur des bénéfices antérieurs.


A la faveur d’un amendement adopté in extremis, les sociétés se sont vues octroyer le droit d’imputer leurs pertes sur les bénéfices antérieurs réalisés lors d’un exercice comptable clôturé au cours de la période allant du 13 mars 2019 au 31 décembre 2020. Ces bénéfices peuvent être exonérés grâce aux pertes supportées au cours de la période imposable suivante.


L’exemple suivant illustre de manière éloquente l’attrait de cette mesure.


Une société clôture son exercice comptable le 31 décembre 2019 avec un bénéfice imposable de 1.000.000 €. Elle s’attend à subir une perte de 700.000 € lors de l’exercice comptable 2020 en raison de la crise sanitaire. Jusqu’à présent, elle n’avait d’autre choix que de reporter sa perte fiscale de 700.000€ sur les exercices futurs (système du carry forward). L’introduction du « carry back » vient changer la donne : la société pourra, dans sa déclaration à l’impôt des sociétés relative à l’exercice comptable 2019 (exercice d’imposition 2020) -laquelle doit en principe être introduite au plus tard le 24 septembre 2020-, demander l’exonération du montant de la perte estimée de 700.000 €. Résultat des courses : la base imposable de la société sera rabaissée à 300.000€ (1.000.000€ - 700.000€) pour l’exercice comptable 2019 (exercice d’imposition 2020). Il s’ensuit que l’impôt des sociétés dû pour l’exercice comptable 2019 diminue, de sorte qu’une partie ou la totalité des versements anticipés effectués en 2019 sera remboursée. Autrement dit, la société recevra sur un plateau d’argent des liquidités de l’Etat ! Ensuite, et c’est assez logique, l’exonération résultant de cette déduction anticipée de la perte devra faire l’objet d’une reprise l’année suivante, de telle sorte que la perte de 2020 (déduite de manière anticipée) soit bien neutralisée et ne puisse pas être à nouveau déduite.


Rien n’empêche une société de choisir d’imputer la perte subie en 2021 (exercice d’imposition 2022) sur le bénéfice réalisé lors de l’exercice comptable clôturé le 31 décembre 2020. Elle pourrait y avoir particulièrement intérêt dans l’hypothèse où elle a subi les effets de la crise en 2021 (et non durant l’exercice 2020, qui s’est soldé par un bénéfice).


L’une des principales difficultés du dispositif réside dans le fait qu’au moment de l’introduction de la déclaration fiscale à l’impôt des sociétés, la perte fiscale de la période imposable suivante est encore incertaine.


Mon conseil aux dirigeants des entreprises désireuses de profiter au maximum du régime de « carry back » : ne surestimez pas le montant de la perte (soit le montant de 700.000€ dans l’exemple ci-dessus) ! En effet, un mécanisme de « sanction », prenant la forme d’une cotisation spéciale à l’impôt des sociétés, a été prévu pour le cas où les pertes déduites par anticipation dépasseraient finalement les pertes effectivement subies; à cet égard, une tolérance de 10% (d’écart des prévisions) est toutefois appliquée.


Il est frappant de constater que les pertes éligibles au régime du « carry back » ne doivent pas être directement ou spécifiquement liées à la crise du coronavirus. Par exemple, une société qui aurait subi une perte en 2020 pour des raisons étrangères à la pandémie (perte d’un litige, maladie grave du dirigeant principal de la société, chute du chiffre d’affaires étrangère à la crise,…), pourrait imputer le déficit en question sur les bénéfices de l’exercice comptable clôturé le 31 décembre 2019.


Certaines sociétés ne peuvent bénéficier du dispositif, notamment :


  • les sociétés qui auront effectué, au cours de la période du 12 mars 2020 (début du « lockdown ») jusqu’au jour de l’introduction de leur déclaration relative à l’exercice d’imposition 2021, une distribution de dividendes, un rachat d’actions propres, une réduction de capital, etc., ce qui est cohérent eu égard au but poursuivi de promouvoir la liquidité et la solvabilité des entreprises;
  • les sociétés qui, durant cette même période, détiennent une participation directe dans une filiale située dans un « paradis fiscal » (Bahamas, Abu Dhabi, Monaco, …) ou bien ont effectué des paiements à des sociétés établies dans un « paradis fiscal » (sous réserve de certaines justifications à ces paiements) ;
  • les sociétés qui au début de la crise étaient déjà des entreprises en difficulté, dès lors que la mesure est destinée à aider les entreprises qui sont en principe saines, mais qui font face à des problèmes temporaires de liquidités suite à la pandémie.


On ne peut que se réjouir de l’adoption de cette mesure de soutien aux entreprises qui subissent de plein fouet les conséquences économiques de la crise, même si sa mise en œuvre ne manquera pas de soulever des difficultés en pratique.


Denis-Emmanuel Philippe

Avocat-associé (Bloom Law)

Maître de conférences (ULiège)

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