Pertes fiscales et activités complémentaires : heureux rappel à l'ordre de la Cour d'appel de Bruxelles

L’administration fiscale n’a jamais aimé les professions libérales qui se livrent à une activité complémentaire, souvent un hobby , et qui régulièrement déclarent des pertes relatives à cette activité qui viennent ensuite s’imputer sur les revenus de l’activité libérale principale.


Dans cette affaire soumise à la cour d’appel de Bruxelles (arrêt du 24 mars 2021, courrier fiscal 2021/171), le cas classique concernait un dentiste qui exploitait un manège, dont la situation était systématiquement déficitaire.

Se basant sur l’article 53,10 ° du CIR, l’administration fiscale jugea déraisonnable la compensation de ces pertes chaque année avec l’activité principale et a mis « les pertes à zéro ».


Le juge de première instance de Bruxelles (Civ. 18 mars 2016) écarta l’argumentation de l’administration fiscale, considérant que la persistance d’une activité déficitaire ne fait pas la preuve du caractère déraisonnable des frais. Ce faisant, le fisc commet un vice de procédure. Elle ne peut rejeter de manière systématique l’ensemble des frais assumés par le contribuable mais doit s’attacher à prouver le caractère déraisonnable de chacun des frais spécifiques.


Comme on pouvait s’y attendre, l’administration décida d’aller en appel et changea brusquement son argumentation, considérant à présent qu’il fallait se baser sur l’article 49 du CIR, et dès lors frais supportés par le contribuable dans le cadre de la gestion de son manège ne répondent pas à la condition de conservation de revenus professionnels.


La cour d’appel de Bruxelles s’interroge d’abord sur le point de savoir si l’administration peut de la sorte substituer une nouvelle argumentation juridique au stade de la procédure d’appel, car l’administration qui avait fait application de l’article 53,10° et sans aucune vergogne se met à "​ glisser"​ vers l’article 49 du CIR.


La cour d’appel de Bruxelles va d’abord rappeler que la substitution de motifs ne peut être sa faire que durant la phase administrative jusqu’à la décision directoriale, mais certainement pas au stade de la procédure fiscale judiciaire.


Sur le fond à présent, la cour a également donné raison au contribuable, rappelant d’une part que si l’administration avait jugé déraisonnables certaines dépenses, c’est que dans son principe elle admettait le caractère professionnel des frais. La philosophie qui régit l’application de l’article 53,10° ne vise qu’à écarter certaines dépenses (déraisonnables) par rapport à d’autres (raisonnables).


Et la cour de rappeler que ce n’est pas parce que les dépenses professionnelles sont plus élevées que les revenus de l’activité qu’il y a forcément absence de lien de causalité avec l’activité professionnelle : glissement sémantique dangereux . D’ailleurs, l’application de l’article 49 du CIR ne peut être invoqué pour rejeter purement et simplement des pertes fiscales.

Il incombait à l’administration, faisant une interprétation respectueuse de l’article 53,10° de dénoncer telle ou telle dépense jugée inutile ou exagérée et de prouver que ces dépenses ne visaient nullement à une amélioration de la situation financière de l’activité équestre.

À défaut d’avoir réalisé cet exercice avec succès, le juge d’appel considère que l’administration a donc appliqué de manière erronée l’article 53,10° .


Le premier intérêt de cette jurisprudence est qu’elle conforte le principe qu’une activité déficitaire sur une longue période ne démontre nullement que les dépenses occasionnées sont déraisonnables. La cour condamne la pratique qui consiste à mettre à zéro les pertes, qu’ils considèrent comme arbitraire. Certains juges n’avaient pas suivi ce raisonnement, il faut le reconnaître, mais il importe de préciser que cet arrêt du 24 mars 2021 présente l’avantage en d’être très récent et offre l’espoir d’un revirement jurisprudentiel.


L’autre grand intérêt de cet arrêt est qu’il rappelle que l’administration ne peut pas changer les règles du jeu en cours d’instance judiciaire mais doit respecter la position qu’elle a tenue au cours de la procédure administrative jusqu’à la décision directoriale.

Seul le contribuable peut substituer d’autres motifs.


Il s’ensuit que les points litigieux ont été tranchés par le directeur régional ne peuvent plus être remis en question au stade de la procédure judiciaire.

Cela n’exclut pas bien entendu le droit pour l’administration de soumettre au juge une cotisation subsidiaire (article 356 du CIR), mais à tout le moins cela donne une garantie offerte à tout justiciable qui ne doit pas subir des prises de positions successives et parfois contradictoires au cours d’un procès fiscal.

En cette période où l’administration fiscale ne cesse de remettre en question les prises de position adoptées antérieurement et de modifier sans cesse les règles du jeu avec effet rétroactif (ces revirements soudains sont le cauchemar des fiscalistes), cet arrêt important de la cour d’appel de Bruxelles constitue un rappel à l’ordre nécessaire au nom du respect des principes du droit à la sécurité juridique et d'interprétation stricte des lois fiscales.


Source: Linkledin, Pierre-François COPPENS, Conseil fiscal ITAA; Président et Fondateur de l'ADFPC, juin 2021


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