Une « décision anticipée » (également dénommée « ruling ») reflète la position du « Service des Décisions Anticipées » quant au traitement fiscal d’une opération envisagée. Son principal atout : la sécurité juridique qu’il offre au demandeur. Le projet de réforme fiscale ambitionne à présent de réformer le fonctionnement du SDA.
Il y est notamment question d’instaurer une « concertation préalable renforcée » entre le SDA (qui serait renommé Administration générale du Ruling) et les autres services opérationnels (Administration générale de la Fiscalité, Administration générale de l’Inspection Spéciale des Impôts,…), ce qui pourrait porter un coup de canif à la sacro-sainte autonomie du SDA. Le moment est venu de rappeler l’utilité du SDA pour les contribuables et leurs conseillers (avocats, conseillers fiscaux, comptables,...).
Le SDA est devenu, sur le terrain de la transparence, un élève modèle. En effet, toutes les décisions anticipées sont publiées de manière anonyme; les faits, l’argumentation juridique et la décision du SDA sont publiés in extenso. Leur analyse est précieuse: les contribuables (et leurs conseillers) peuvent ainsi savoir à quelle sauce fiscale ils devraient être mangés s’ils mettent en place une opération telle que décrite dans la décision anticipée.
Le rapport annuel du SDA relatif à l'année 2022, publié il y a quelques jours, est une mine d'or. La section relative aux opérations soumises au SDA mais non acceptées est incontournable, car elle trace la ligne rouge à ne pas franchir lorsqu'on introduit un dossier auprès du SDA. Prenons quelques exemples d’opérations dont les lecteurs de La Libre devraient être familiers.
Le rapport annuel rappelle que le risque de taxation des plus-values sur cryptomonnaies au titre de revenus divers (au taux de 33 %) n’est jamais loin, par exemple lorsque (i) le contribuable investit plus de 40 % de son patrimoine mobilier dans des cryptomonnaies, ou qu’(ii) il effectue des opérations d’achat et de vente plusieurs fois par jour (même si le montant investi est relativement faible !).
On sait qu’en vertu de la législation fiscale actuelle, la Belgique est un « mini-paradis fiscal » pour ce qui concerne les plus-values sur actions. Il est en effet généralement admis que celles-ci sont exonérées à l’impôt des personnes physiques, dès lors qu’elles relèvent de la « gestion normale du patrimoine privé ». Ainsi, les plus-values sur actions réalisées par (i) un entrepreneur qui cède les actions de sa société à un tiers ou par (ii) un boursicoteur qui opère en ligne sur internet, échappent en principe à l’impôt.
Le rapport annuel rappelle toutefois que le risque de taxation au titre de revenus divers ne peut être écarté, notamment en présence d’une opération dite de « plus-value interne », c’est-à-dire une vente d’actions d’une société opérationnelle à une société holding contrôlée par le cédant. C’est ainsi que, selon le SDA, une plus-value réalisée lors de la vente d'une participation -même minoritaire (30%) ! – dans une société opérationnelle par un particulier à sa holding personnelle doit être taxée, dans la mesure où une telle opération ne relève pas de la gestion normale du patrimoine privé.
Ce qui heurte le fisc dans ce type de montages, c’est la « transformation » ou la « conversion » de revenus imposables (les dividendes qui auraient été passibles du précompte mobilier, s’ils avaient été distribués par la société opérationnelle à la personne physique) en revenus exonérés (plus-value sur actions).
Le rapport annuel fait également état du point de vue du SDA par rapport à certaines structures de démembrement de propriété.
Une personne physique pensionnée était actionnaire et dirigeant d’une société, au sein de laquelle elle exerçait autrefois sa profession libérale. La société envisageait d’octroyer à la personne physique un droit de superficie à titre gratuit sur un immeuble qu’elle avait récemment acquis, dans l'optique de (i) la réalisation par la personne physique d'un projet de construction suivie par (ii) la vente d'unités d'habitation par la personne physique à des tiers. Selon le SDA, cette opération, qui était guidée par des considérations purement fiscales, était constitutive d’« abus fiscal » (article 344,§1er du CIR) car elle avait pour but précis d'éviter (i) l'impôt des sociétés sur la plus-value et (ii) le précompte mobilier lors du rapatriement de celle-ci par la société à son actionnaire personne physique.
Denis-Emmanuel Philippe
Avocat associé (Bloom Law)
Maître de conférences ULiège