Le 17 décembre 2019, la Cour d’appel d’Anvers a rendu un arrêt tant attendu en matière de QFIE applicable aux dividendes français, confirmant ainsi ce que la Cour de cassation avait défendu 2 ans plus tôt.
Pour rappel, le 16 juin 2017, la Cour de cassation avait rendu un arrêt où elle condamnait la position de l’Administration fiscale belge en matière d’imposition des dividendes de source française perçus par des résidents particuliers belges, laquelle entraînait in fine une double imposition desdits dividendes.
En effet, malgré le fait que le pouvoir d’imposition sur ces dividendes versés à des résidents fiscaux belges appartient à la Belgique (pays de résidence des bénéficiaires des dividendes), la France procède à un prélèvement à la source de 15%. La Belgique applique ensuite son précompte mobilier (en principe 30%) sur le montant net frontière. Juste que là, rien d’étonnant, étant donné que ces règles sont prévues par la Convention préventive de la double imposition entre la Belgique et la France (à l’instar finalement de nombreuses conventions préventives de la double imposition). La Convention précise cependant que toute double imposition doit être évitée : ainsi, un crédit d’impôt (appelé « quotité forfaitaire d’impôt étranger – QFIE ») doit être octroyé par la Belgique pour remédier à la double taxation des dividendes.
Et c’est là que le bât blesse. La législation belge contenait effectivement une telle possibilité. Toutefois, suite à une modification il y a quelques années des règles en la matière, ne permettant plus aux investisseurs « privés » de pouvoir bénéficier de cette QFIE, la plupart des résidents belges ne pouvaient plus se voir octroyer ce crédit d’impôt. Par conséquent, le contribuable particulier résident fiscal belge était soumis à une double imposition, en totale violation des règles internationales pourtant impératives.
Les contribuables concernés n’ont pas manqué ces dernières années de contester cette position, très souvent malheureusement sans succès, jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017. Dans ce dernier, la Cour a finalement donné raison à la logique qui devait s’appliquer depuis de nombreuses années eu égard aux dividendes de source française: l’absence d’octroi d’un crédit d’impôt par la Belgique méconnait les termes de la Convention et représente une violation indubitable de la primauté du droit international sur le droit interne. La Convention prévoyant clairement que la Belgique doit remédier à toute double imposition par l’attribution d’un tel crédit d’impôt, le législateur belge ne pouvait, par une modification unilatérale de règles internes, ne pas respecter ses obligations conventionnelles. Les particuliers résidents fiscaux belges sont donc en droit de bénéficier de ce crédit d’impôt (de 15%).
Suite à cet arrêt, les contribuables étaient vivement encouragés à entamer des procédures à l’égard de l’Administration fiscale belge afin de récupérer ce trop-payé d’impôt, que ce soit via une procédure classique de réclamation (si le délai le permettait encore) ou via une procédure de dégrèvement d’office.
Malgré cet arrêt pourtant limpide, l’Administration fiscale ne s’avouait pas vaincue et disait attendre la position de la Cour d’appel d’Anvers vers laquelle l’affaire avait été renvoyée après cassation. Cette position laissait toutefois perplexe : non seulement elle était illogique juridiquement parlant, étant donné que la Cour de cassation confirmait une position légale indubitable, mais elle était également illogique d’un point de vue procédural : en effet, le juge de renvoi, sur la base de la loi dite « Pot-pourri V » – devait désormais être lié par l’arrêt de la Cour de cassation qui « casse » la première décision sur le point de droit jugé par cette Cour.
Quoi qu’il en soit, la Cour d’appel d’Anvers a pris ses responsabilités en suivant la position de la Cour de cassation.
La Cour d’appel d’Anvers a tout d’abord examiné cette question relative à l’application de « Pot-pourri V », l’Administration considérant (sans surprise) que celle-ci n’était selon elle pas applicable en l’espèce. La Cour estime à l’inverse que ces nouvelles dispositions judiciaires doivent bien être utilisées. Validant cette position, la Cour d’appel décide donc de logiquement se conformer à la décision de la Cour de cassation : la primauté du droit international sur le droit national impose que la Belgique accorde le crédit d’impôt dont peuvent bénéficier les contribuables personnes physiques belges. La Cour fait donc droit aux demandes de dégrèvement du trop-perçu relatif aux dividendes français reçus.
La messe est-elle donc dite ? La réponse devrait logiquement être positive : pour rappel, l’un des arguments de l’Administration pour ne pas faire droit aux demandes de dégrèvement des contribuables était d’attendre la position de la Cour d’appel d’Anvers (même si elle allait logiquement être conforme, tel qu’indiqué supra).
Le doute plane cependant quant à la manière dont réagira l’Administration fiscale : après l’arrêt de 2017 de la Cour de cassation, de la jurisprudence en sens divers fut en effet rendue, faisant tantôt droit aux arguments des contribuables, tantôt droit aux arguments de l’Administration. En outre, la position récente du Ministre des Finances laisse penser que les discussions vont se poursuivre : ce dernier a en effet récemment fait référence à un nouveau pourvoi en cassation introduit contre un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles relatif à la QFIE applicable aux dividendes français, arrêt qui faisait droit aux arguments des contribuables validés par la Cour de cassation en 2017. L’Administration a donc fait savoir qu’elle attendrait (une nouvelle fois) la décision de la Cour de cassation…
Il nous semble toutefois que les expériences du passé devraient plutôt pousser l’Administration à « arrêter les frais ». Un des exemples les plus parlant en l’espèce est assurément la saga relative à la clause de la maison mortuaire : pendant des années, l’Administration s’est entêtée à ne pas accepter la position (pourtant limpide juridiquement) favorable aux contribuables soutenue tant par la jurisprudence et la doctrine, pour finalement adapter sa législation dans un sens qui validait in fine cette position doctrinale et jurisprudentielle. Ne faut-il pas parfois accepter la réalité d’une situation (juridique) incontestable, plutôt que de s’entêter de manière déraisonnable ? Cette question, qui s’applique à la vie de tous les jours, est également transposable juridiquement. Reste à savoir si l’Administration pourra faire preuve de bon sens…