
En Belgique, la lutte contre les infractions routières se transforme peu à peu en machine fiscale. Le pays s’enorgueillit d’un record : plus de 9,2 millions d’infractions constatées en 2024, soit +13 % en un an et deux fois plus qu’en 2018¹. Mais derrière ce chiffre, présenté comme une victoire de la sécurité routière, se cache une réalité plus triviale : la recherche effrénée de recettes publiques. Car près de trois quarts des amendes concernent de petits dépassements de vitesse (moins de 10 km/h après correction)², loin des comportements réellement mortels que la répression routière prétend cibler.
La Flandre illustre cette dérive. À l’issue de son conclave budgétaire, le gouvernement régional a décidé d’activer 100 % de son réseau de radars, jour et nuit, en confiant le traitement des données à sa propre administration pour capter la totalité des recettes. Mise de départ : 5 millions d’euros pour les serveurs et le support informatique. Rendement attendu : 50 millions d’euros par an, soit un retour sur investissement multiplié par dix³. Officiellement, les nouvelles rentrées alimenteront en partie le Fonds pour la sécurité routière. Mais l’accord budgétaire, noir sur blanc, vise avant tout à combler le déficit public flamand. La sécurité routière devient ainsi une source de financement quasi garantie.
Cette logique n’est pas propre à la Flandre. Avec 4 647 radars fixes pour 11 millions d’habitants, la Belgique détient le record mondial de densité, soit 422 radars par million d’habitants⁴. À titre de comparaison, le Brésil, qui compte 21 575 radars, n’en affiche que 101 par million. Les Émirats arabes unis en comptent 283, l’Italie 235, la France seulement 50.
Ce maillage serré – sans équivalent – démontre qu’au-delà du discours sécuritaire, notre pays a fait le choix d’une fiscalité routière systémique, avec une intensité que peu d’États assument.
Certes, la répression a un impact. Le nombre de décès sur les routes belges est tombé à 470 en 2024, son plus bas niveau historique¹. Mais la corrélation mérite nuance : les radars attrapent surtout les infractions mineures, tandis que les comportements réellement létaux – vitesse excessive importante, alcool, drogue, inattention – restent moins facilement détectés. Le gain en vies sauvées n’est donc pas proportionnel à l’explosion des sanctions. La Wallonie, qui prévoit 150 nouveaux radars pour rattraper son retard, parie sur le même levier, sans garantie d’efficacité.
Le problème n’est pas de taxer les conducteurs dangereux. Il réside dans l’absence de réciprocité.
Si ces milliards prélevés servaient directement à réduire d’autres impôts liés à la voiture – taxe de circulation, TVA sur le carburant – ou à financer un fonds fléché vers les transports publics et la mobilité douce, la logique serait transparente et défendable. Or, rien de tel n’apparaît dans les budgets fédéraux ou régionaux. Le dossier du métro Nord bruxellois, enlisé depuis des années, illustre ce décalage : on sanctionne le conducteur à 33 km/h, mais on ne livre ni métro ni RER.
Au lieu de multiplier les radars et de raffiner les amendes, la Belgique gagnerait à assumer clairement ses choix.
Si l’objectif est la sécurité, il faut lier les recettes routières à des investissements massifs en infrastructures sûres et en transport collectif. Si l’objectif est budgétaire, il faut le dire et réduire d’autres prélèvements en conséquence. Continuer à entretenir l’ambiguïté nourrit un sentiment d’injustice qui mine la confiance dans l’action publique.
La Belgique peut être fière d’avoir réduit la mortalité routière. Mais transformer la route en guichet fiscal permanent n’est pas une politique durable. L’impôt, pour être accepté, doit être lisible, proportionné et réinvesti. Tant que ces principes ne seront pas respectés, les radars resteront le symbole d’une fiscalité punitive qui préfère sanctionner que convaincre.
¹ SPF Justice, Rapport sur la sécurité routière 2024.
² Partena Professional, Étude sur les excès de vitesse en Belgique, septembre 2025.
³ Gouvernement flamand, Accord budgétaire 2025.
⁴ SCDB Global Speed Camera Database, classement mondial 2025.