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Quel est l'impact décisif du nouvel article 6.3 du Code civil sur la responsabilité civile?

En vigueur depuis le 1er janvier 2025, le Livre 6 du nouveau Code civil, consacré à la responsabilité extracontractuelle, bouleverse le régime de la responsabilité en droit belge.

L’article 6.3 constitue l’une des réformes les plus marquantes, tant par l’instauration du concours des responsabilités que par la fin de la quasi-immunité de l’auxiliaire.

Dans cet article, vous découvrirez les principales implications pratiques de cette disposition pour les cocontractants, les sous-traitants et les auxiliaires.


Le concours des responsabilités : la fin d’une exclusion historique

Auparavant, la jurisprudence excluait toute action en responsabilité extracontractuelle lorsqu’un contrat liait les parties.

Deux exceptions étaient toutefois admises :

  • la faute mixte, combinant violation contractuelle et manquement au devoir général de prudence ;
  • le dommage constituant une infraction pénale.

Depuis le 1er janvier 2025, ce principe est abandonné au profit d’une approche nouvelle : le concours des responsabilités. En effet, l’article 6.3, §1er du nouveau Code civil consacre désormais, en faveur de la victime, la liberté de choix entre l’action contractuelle et l’action extracontractuelle, sauf clause ou disposition légale contraire : « sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement, les dispositions légales en matière de responsabilité extracontractuelle sont applicables entre cocontractants ». Concrètement, pour tout fait générateur postérieur au 1er janvier 2025, il est désormais possible d’agir en responsabilité quasi-délictuelle contre son propre cocontractant. Ce dernier peut néanmoins invoquer les moyens de défense issus du contrat, notamment les clauses limitatives de responsabilité, de la législation en matière de contrats spéciaux et des règles particulières de prescription applicables au contrat, sauf en cas d’atteinte à l’intégrité physique/psychique ou de faute intentionnelle.

Cette réforme suscite toutefois une interrogation car le texte ne précise pas si les conditions propres à la responsabilité extracontractuelle doivent être remplies pour exercer cette option. La jurisprudence devra prochainement trancher cette question.

Enfin, le régime est supplétif : les parties peuvent prévoir, par clause contractuelle expresse, l’exclusion du recours à la responsabilité délictuelle. Il conviendra toutefois de vérifier la validité de telles clauses au regard de l’article VI.83 du Code de droit économique (B2C) et de l’article 5.89 du Code civil (entre particuliers), qui prohibent les clauses abusives.

Vers la fin de la quasi-immunité de l’auxiliaire

Dans le passé, en vertu du principe de la relativité des conventions, l’action contre les auxiliaires ou agents d’exécution était exclue, ceux-ci n’étant pas parties au contrat. La jurisprudence avait d’ailleurs consacré une quasi-immunité en considérant qu’ils ne pouvaient être qualifiés de tiers.

Désormais, en vertu de l’article 6.3, § 2, la personne lésée peut agir directement contre l’auxiliaire de son cocontractant sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle : « sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement, les dispositions légales en matière de responsabilité extracontractuelle sont applicables entre la personne lésée et l'auxiliaire de ses cocontractants ». Mais qui est, en définitive, « auxiliaire » ? Il s’agit de toute personne – physique ou morale – chargée, par le débiteur d’une obligation contractuelle, d’exécuter tout ou partie de cette obligation, en son nom propre et pour son propre compte mais aussi au nom et pour le compte du débiteur[1]. On parle aussi d’« agent d’exécution » (ex. : sous-traitant, travailleur salarié, collaborateur indépendant).

Qu’en est-il de l’administrateur de société ? Selon les travaux préparatoires de la loi, les organes des personnes morales doivent être considérés comme des auxiliaires. En effet, « sont considérés comme des auxiliaires principalement les travailleurs, les autres préposés et les organes des personnes morales ».[2]Cette assimilation de l’administrateur à un auxiliaire, au sens de la loi, nous semble cependant réductrice de la fonction d’organe, qui incarne la société.

En pratique, la jurisprudence définira les conditions précises dans lesquelles un administrateur perdra l’immunité liée à la transparence de l’organe. Dans les cas les plus fréquents (grandes sociétés, organe collégial), où l’organe de gestion ne peut pas être purement et simplement assimilé à un simple auxiliaire/agent d’exécution, on pourrait estimer que c’est néanmoins sous son contrôle, plus ou moins rapproché selon la nature de l’obligation et la structure de gouvernance, que les préposés ou les autres agents contribuant à l’exécution effectueront leurs tâches. En tenant compte de cette situation d’implication « en seconde ligne », il faudra apprécier, au cas par cas, si l’organe a manqué à la diligence et à la vigilance légitimement attendues quant à la surveillance/supervision qu’il pouvait/devait exercer ou s’il a fait preuve de négligence quant aux moyens qu’il était censé mettre à disposition des véritables auxiliaires pour leur permettre de veiller à l’exécution des obligations de la société.

L’auxiliaire bénéficie de deux protections : si, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, la personne lésée demande à l'auxiliaire de son cocontractant la réparation d'un dommage causé par une inexécution contractuelle, cet auxiliaire peut invoquer :

  • les mêmes moyens de défense que son donneur d'ordre peut invoquer, sur la base de l’article 6.3, § 1er, quant à l'exécution des obligations auxquelles il collabore ;
  • les moyens de défense qu'il peut lui-même invoquer contre son cocontractant sur la base de l’article 6.3, § 1er.

Cette ouverture constitue une avancée importante pour le créancier principal, souvent privé jusque-là de recours effectif contre le véritable exécutant fautif.

Cela étant, comme pour le concours de responsabilités, ce régime est supplétif : il faut donc être attentif à la rédaction des clause contractuelles qui pourraient valablement en limiter ou en écarter l’application.

La faute extracontractuelle redéfinie par l’article 6.6

Si l’article 6.3 repense les frontières de la responsabilité, l’article 6.6 en affine le contenu même, en clarifiant ce qu’il faut entendre par « faute extracontractuelle ». Sans modifier la définition traditionnelle – violation d’une règle de droit ou manquement à la prudence et à la diligence requises – le nouveau texte précise les éléments concrets que le juge peut prendre en compte pour apprécier cette faute.

Il est désormais expressément prévu que l’évaluation de la prudence s’effectue à la lumière de plusieurs critères non exhaustifs, parmi lesquels :

  • la proportionnalité entre le risque et les moyens de prévention: une personne ne saurait être tenue responsable d’un dommage dont la survenance était très improbable ou dont la prévention aurait nécessité des efforts disproportionnés (équilibre économique dans la responsabilité) ;
  • l’état des connaissances et des techniques au moment des faits : l’auteur d’un dommage ne peut être déclaré fautif si, au regard du savoir scientifique ou technique disponible à l’époque, le risque ne pouvait raisonnablement être anticipé.

Ces éléments n’ont pas vocation à figer la notion de faute, mais à guider l’interprétation du juge, tout en offrant aux praticiens des repères concrets pour argumenter leurs positions. Pour la victime, ils fournissent une grille d’analyse utile pour démontrer un comportement fautif ; pour le défendeur, ils permettent de justifier le caractère inévitable ou non fautif du dommage.

Conclusion

L’article 6.3 du nouveau Code civil, lu conjointement avec l’article 6.6, consacre un véritable changement de paradigme en matière de responsabilité civile :

  • il met fin à l’exclusion du cumul des responsabilités, offrant à la victime une liberté d’action accrue ;
  • il ouvre la voie à des recours directs contre les auxiliaires, rompant avec leur quasi-immunité ;
  • et il précise la manière d’apprécier la faute extracontractuelle, dans une logique de réalisme et de proportionnalité.

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Me David BLONDEEL et Me Chiara RINALDI



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[1] Cass., 12 mars 2020, C.190.408.N, www.juridat.be

[2] Doc. Parl., Chambre. 55-3213/001, p.32.

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