Régime fiscal des droits d’auteur : la Cour constitutionnelle rend sa décision

Cela fait un certain temps que nous n’avons plus parlé de fiscalité des droits d’auteur depuis la réforme du régime en décembre 2022 et ses conséquences sur différentes professions, dont les architectes et les informaticiens, principales cibles/victimes du nouveau régime.

Rétroactes

Pour mémoire, la réforme avait abouti à la situation juridique suivante :

  • Le régime fiscal des droits d’auteur ne s’appliquera plus qu’aux revenus de cession ou de licences d’œuvres visées au Livre XI, titre 5, du Code de droit économique, ce qui restreindrait son champ d’application aux œuvres littéraires « classiques » et exclurait les programmes d’ordinateur (consacrés au titre 6) ainsi que les bases de données (titre 7) ;
  • Le produit de la cession devra faire l’objet d’une exploitation effective (sans que ce concept ne soit clairement défini) ;
  • À condition que le bénéficiaire soit titulaire d’une attestation de travail des arts ou, alternativement ;
  • Que dans le cadre de la cession ou de l'octroi d'une licence, le titulaire des droits transfère ou octroie en licence son œuvre protégée par le droit d'auteur ou les droits voisins à un tiers en vue de sa communication au public, de son exécution ou de sa représentation publique, ou de sa reproduction ;
  • Les droits ne pourront plus excéder un plafond de 30% du total des rémunérations, y compris la rémunération pour les prestations fournies. Une période d’adaptation sera toutefois prévue avec un plafond de 50% en 2023, 40% en 2024, 30% à partir de 2025 ;
  • Les forfaits de frais déductibles seront réduits de moitié.

Seul apport des débats parlementaires : une volonté d’exclure les programmes d’ordinateur du champ d’application du nouveau texte, bien que sur une base juridique contestable.

Une seule nuance concédée par le Ministre : le retrait des mots « interprétation restrictive » dans l’exposé des motifs, laissant entendre que le texte serait d’application large et pourrait malgré tout inclure le secteur IT.

L’administration a toutefois manifesté sa ferme intention d’appliquer une politique indépendante, fruit d’une interprétation autonome du texte de loi.

Face à ce risque juridique, un recours a été introduit devant la Cour constitutionnelle. Par son arrêt du 16 mai 2024, la Cour s’est finalement prononcée sur la question.

L’arrêt

La Cour estime, en substance, que :

  • En limitant le champ d’application du régime fiscal au Livre XI, titre 5, du Code de droit économique, le législateur a effectivement exclu les auteurs de programmes d’ordinateur de son bénéfice ;
  • Cette interprétation s’en trouverait renforcée par le fait que les programmes d’ordinateur seraient des œuvres « assimilées » à des œuvres littéraires et artistiques, se prévalant à cet égard de l’article XI.294 du Code de droit économique (considérant B.10, notamment) ;
  • Ce faisant, le droit fiscal s’écarterait clairement du droit commun (mais, ironiquement, tout en se reposant juridiquement sur celui-ci) ;
  • Retenir une autre interprétation reviendrait à vider la réforme de son sens (considérant B.1.3.3, page 15) ;
  • Les informaticiens percevraient des revenus réguliers contrairement aux autres bénéficiaires du régime ;
  • Le législateur dispose d’une forte autonomie en matière fiscale et la Cour ne peut censurer ses choix politiques et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou sont déraisonnables (considérant B.6)
  • Une différence de traitement entre les auteurs de programmes d’ordinateur et les autres serait dès lors justifiée ;
  • Cette évolution serait justifiée dès lors que la rémunération de la cession des droits d’auteur serait devenue un mode de rémunération à part entière dans le secteur informatique (ce qui n’augure rien de bon pour les auteurs, journalistes et …. les artistes eux-mêmes).

Conclusion, la Cour se range intégralement à l’avis du Gouvernement et confirme l’exclusion des informaticiens du bénéfice du régime fiscal favorable.

Conséquences et réflexions

Si le lecteur avisé ne sera qu’à moitié surpris par la décision de la Cour, il n’en demeurera pas moins sur sa faim s’agissant des questions juridiques centrales à la problématique et auxquelles l’arrêt n’apporte que peu de réponses. Les rares considérations juridiques présentes dans la décision se bornent à des déclarations de principe.

La motivation, quant à elle, s’articule essentiellement autour de l’autonomie du droit fiscal et de l’entérinement de la volonté de l’Etat belge. La Cour adopte également la position de l’Etat en ce que le régime n’avait pas historiquement vocation à s’appliquer aux informaticiens, un argument qui reste plus que discutable.

En effet, si le Ministre des Finances a pu évoquer le caractère intermittent des revenus des supposés « vrais bénéficiaires » du régime fiscal devant la Chambre des représentants (ce qui n’aide guère à interpréter la volonté du gouvernement, le Ministre y disant une chose et son contraire), force est de constater que le nouvel article 17, §1er, 5° du CIR/92 ne l’érige pas en condition d’application. De plus, l’on perçoit mal comment l’argument serait opposable, par exemple, à un entrepreneur freelance en société unipersonnelle passant de mission en mission et dépendant de bons de commandes et/ou de statements of work (SOW) émis par un ou plusieurs clients en application de conventions cadres…

L’entérinement par la Cour que les programmes d’ordinateur ne seraient pas des œuvres littéraires à part entière mais simplement assimilées à celles-ci a également de quoi surprendre, tout particulièrement au regard de la motivation très succincte de ce point. Cette question est pourtant centrale dès lors qu’elle concerne le champ d’application effectif du titre 5 du Livre XI du Code de droit économique.

En effet, « l’assimilation » telle que visée par l’article XI.294 du Code de droit économique ne découle pas du texte européen d’origine. En l’espèce, la directive concernant la protection juridique du programme d’ordinateur qualifie bien celui-ci d’œuvre littéraire au sens de la Convention de Berne et le protège en tant que tel dès lors qu’un programme d’ordinateur est « original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer s’il peut bénéficier d’une protection » (art. 1er, §3, de la Directive 2009/24).

Or la Cour, malheureusement, se limite à une lecture au premier degré de l’article XI.294 sans toutefois l’interpréter conformément à la volonté du législateur européen. Ce faisant, la Cour maintient et étend les effets d’une transposition erronée de la directive et lui confère des conséquences fiscales substantielles.

La Cour affirme, de surcroît, que les auteurs de programmes d’ordinateur ne seraient pas affectés de manière disproportionnée par cette exclusion, ce qui ne manquera pas de faire sourire tout qui consulte les barèmes d’imposition à l’IPP et ses conséquences concrètes sur le contribuable et la viabilité de certains business models.

En somme, l’arrêt se concentre sur des considérations politiques et budgétaires et ne répond que très partiellement aux questions juridiques soulevées par le texte de la réforme.

De ces considérations peuvent être déduites les conséquences suivantes :

  • L’administration se retrouve confortée dans sa position hostile au secteur technologique et les redressements vont se poursuivre ;
  • L’espace d’interprétation négocié par le Mouvement Réformateur lors de l’adoption du nouveau régime apparaît bien avoir été anéanti ;
  • Dès lors que le texte fiscal renvoie toujours à la notion civile d’œuvre littéraire et artistique, la question de la compatibilité de ce texte avec le droit européen reste entière. La Cour constitutionnelle n’a pas apporté de réponse à cet égard ;
  • Les problèmes d’interprétation du texte sont dont loin d’être terminés ;
  • Confortée dans sa position, l’administration fiscale pourrait poursuivre sa politique d’application rétroactive de la loi nouvelle aux situations antérieures au 1er janvier 2023. Les contribuables se devront donc de rester vigilants ;
  • Les dégâts semblent cependant inévitables. En effet, on imagine mal une société de développement informatique prendre durablement le risque d’un redressement d’ampleur au gré d’une interprétation restrictive du Code des impôts et de cette nouvelle jurisprudence. L’attrait de talents dans le secteur IT belge n’a pas de beaux jours devant lui ;
  • Enfin, on ne peut que se désoler d’un résultat aussi défavorable à un secteur économique stratégique pour l’économie, la sécurité et la souveraineté du pays… et par ailleurs soumis à une forte concurrence internationale, à la fuite des cerveaux et à une guerre des talents.


Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 18 juin 2024.


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