Cela fait un certain temps que nous n’avons plus parlé de fiscalité des droits d’auteur depuis la réforme du régime en décembre 2022 et ses conséquences sur différentes professions, dont les architectes et les informaticiens, principales cibles/victimes du nouveau régime.
Pour mémoire, la réforme avait abouti à la situation juridique suivante :
Seul apport des débats parlementaires : une volonté d’exclure les programmes d’ordinateur du champ d’application du nouveau texte, bien que sur une base juridique contestable.
Une seule nuance concédée par le Ministre : le retrait des mots « interprétation restrictive » dans l’exposé des motifs, laissant entendre que le texte serait d’application large et pourrait malgré tout inclure le secteur IT.
L’administration a toutefois manifesté sa ferme intention d’appliquer une politique indépendante, fruit d’une interprétation autonome du texte de loi.
Face à ce risque juridique, un recours a été introduit devant la Cour constitutionnelle. Par son arrêt du 16 mai 2024, la Cour s’est finalement prononcée sur la question.
La Cour estime, en substance, que :
Conclusion, la Cour se range intégralement à l’avis du Gouvernement et confirme l’exclusion des informaticiens du bénéfice du régime fiscal favorable.
Conséquences et réflexions
Si le lecteur avisé ne sera qu’à moitié surpris par la décision de la Cour, il n’en demeurera pas moins sur sa faim s’agissant des questions juridiques centrales à la problématique et auxquelles l’arrêt n’apporte que peu de réponses. Les rares considérations juridiques présentes dans la décision se bornent à des déclarations de principe.
La motivation, quant à elle, s’articule essentiellement autour de l’autonomie du droit fiscal et de l’entérinement de la volonté de l’Etat belge. La Cour adopte également la position de l’Etat en ce que le régime n’avait pas historiquement vocation à s’appliquer aux informaticiens, un argument qui reste plus que discutable.
En effet, si le Ministre des Finances a pu évoquer le caractère intermittent des revenus des supposés « vrais bénéficiaires » du régime fiscal devant la Chambre des représentants (ce qui n’aide guère à interpréter la volonté du gouvernement, le Ministre y disant une chose et son contraire), force est de constater que le nouvel article 17, §1er, 5° du CIR/92 ne l’érige pas en condition d’application. De plus, l’on perçoit mal comment l’argument serait opposable, par exemple, à un entrepreneur freelance en société unipersonnelle passant de mission en mission et dépendant de bons de commandes et/ou de statements of work (SOW) émis par un ou plusieurs clients en application de conventions cadres…
L’entérinement par la Cour que les programmes d’ordinateur ne seraient pas des œuvres littéraires à part entière mais simplement assimilées à celles-ci a également de quoi surprendre, tout particulièrement au regard de la motivation très succincte de ce point. Cette question est pourtant centrale dès lors qu’elle concerne le champ d’application effectif du titre 5 du Livre XI du Code de droit économique.
En effet, « l’assimilation » telle que visée par l’article XI.294 du Code de droit économique ne découle pas du texte européen d’origine. En l’espèce, la directive concernant la protection juridique du programme d’ordinateur qualifie bien celui-ci d’œuvre littéraire au sens de la Convention de Berne et le protège en tant que tel dès lors qu’un programme d’ordinateur est « original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer s’il peut bénéficier d’une protection » (art. 1er, §3, de la Directive 2009/24).
Or la Cour, malheureusement, se limite à une lecture au premier degré de l’article XI.294 sans toutefois l’interpréter conformément à la volonté du législateur européen. Ce faisant, la Cour maintient et étend les effets d’une transposition erronée de la directive et lui confère des conséquences fiscales substantielles.
La Cour affirme, de surcroît, que les auteurs de programmes d’ordinateur ne seraient pas affectés de manière disproportionnée par cette exclusion, ce qui ne manquera pas de faire sourire tout qui consulte les barèmes d’imposition à l’IPP et ses conséquences concrètes sur le contribuable et la viabilité de certains business models.
En somme, l’arrêt se concentre sur des considérations politiques et budgétaires et ne répond que très partiellement aux questions juridiques soulevées par le texte de la réforme.
De ces considérations peuvent être déduites les conséquences suivantes :
Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 18 juin 2024.