Pour qu’une responsabilité soit engagée, il faut qu’il y ait d’abord un dommage subi. Une évidence parfois oubliée par certains contribuables. Telle est la conclusion à laquelle aboutit en 2018 la Cour d’appel de Gand dans un arrêt fort intéressant.
Dans cette affaire portant sur un montage de démembrement de propriété classique, un couple (dont Mr est le gérant) acquiert la nue-propriété d’un bien immobilier (20 % du prix d’achat) tandis que la société achète l’usufruit (80% du prix). Le fisc modifie cette clé de répartition (55 % pour l’acquisition de l’usufruit et 45 % pour l’acquisition de la nue-propriété). Un accord est signé et le « surprix » est taxé » sous forme d’avantage de toute nature dans le chef du gérant.
Le couple met en cause le travail du comptable qui aurait donné un mauvais conseil et serait à l’origine de cette division 80/20.
Le tribunal de première instance donne raison au couple. Et le comptable est condamné à verser une indemnité égale à ce redressement fiscal (Civ. Bruges 24 janvier 2017, non publié).
Le comptable n’est pas d’accord avec ce jugement et a été bien inspiré d’aller en appel.
Il argumente qu’il n’a fait que suivre les directives et les pratiques applicables à ce moment-là et ne pouvait anticiper une nouvelle position du fisc pour les constructions d’usufruit.
Et de rappeler aussi que le couple n’a pas subi de dommage car la taxation s’avère en fin de compte inférieure à l’avantage que représentait le fait qu’une plus grande partie du prix d’achat ait été payée par l’entreprise.
La Cour d’appel de Gand abonde dans le sens du comptable. Dans son arrêt du 24 avril 2018 (Courriel fiscal, 2018/08, 951 à 953), la Cour ne voit nulle raison d’engager la responsabilité du comptable dans cette affaire.
En effet, pour examiner si un dommage a été subi, il faut se replacer dans la situation dans laquelle la personne qui se prétend lésée se trouverait si l’(éventuelle) faute n’avait pas été commise.
Il se trouve que dans ce dossier, on ne constate aucun appauvrissement car le couple a acquis la nue-propriété pour un prix considérablement inférieur à celui qui aurait dû être payé. En effet, le contrôleur n’a taxé que la moitié de l’avantage car aucune taxation n’était possible dans le chef de l’épouse (seul l’époux était dirigeant d’entreprise de la société).
La Cour d’appel met donc en balance d’une part la taxation payée et l’avantage obtenu. Cet avantage est plus important et la Cour en conclut : si le couple avait dû payer de sa propre poche le prix (total) qui a finalement été pris en compte pour la nue-propriété, les époux auraient dépensé plus que la somme finalement retenue.
Cet arrêt est intéressant car il démontre qu’un redressement fiscal ne donne pas forcement lieu à une perte globale d’un avantage fiscal.
Il indique aussi qu’un comptable n’est pas nécessairement tenu d’indemniser le préjudice de son client à concurrence de l’impôt payé, mais qu’une balance doit toujours être opérée entre cet impôt payé et la charge fiscale qui eut été celle sans que le montage proposé par le professionnel fiscal n’ait été réalisé.
D’ailleurs, bien souvent, seul le dommage est formé par les amendes et accroissements d’impôts (en cas d’erreur commise ou de mauvais conseil), car on ne peut prétendre à être indemnisé d’un impôt qui est d’ordre public.
Ce jugement révèle aussi combien il devient difficile de conseiller un client quand l’administration, à sa guise et rétroactivement, change les règles du jeu.