La prise en compte de personnes à charge par les allocations sociales ne répond à aucune logique, aucune cohérence. Le groupe de travail chargé d'un rapport pour réformer en profondeur l'IPP propose d'abattre quelques tabous.
On n'associe pas spontanément sécurité sociale et IPP (impôt des personnes physiques). Et, il vrai, ces deux ordres de préoccupations évoluent séparément, mais tous les deux vers plus de complexité et moins de cohérence. C'est une erreur, et cela montre à quel point sont rares les analyses et propositions de réformes qui articulent ces deux dimensions de la (re)distribution des revenus.
La familialisation progressive de la sécurité sociale a conduit, notamment, à créer le statut de chef de ménage. Deux exemples. Le pensionné dont le conjoint n'a pas ou peu de revenus propres bénéficie d'une pension augmentée de 25%. Dès le premier jour de chômage, le minimum pour un "chef de ménage" est supérieur à celui d'un isolé.
La prise en compte de personnes à charge par les allocations sociales ne répond à aucune logique, aucune cohérence: la hauteur des revenus du conjoint/co-habitant qui détermine le droit à une allocation majorée dépend d'une législation à l'autre, il en va de même de la hauteur de la majoration, qui en outre, pour le chômage, varie avec la période de chômage ; pour les pensions il faut être marié, pour d'autres allocations, c'est la vie en ménage qui vaut.
Un premier changement de paradigme, fondamental, consisterait à calculer les allocations sociales (chômage, indemnités, pensions) sur une base strictement assurancielle, revenant ainsi aux principes d'origine de la sécurité sociale, et à confier à l'IPP la prise en compte de la charge de personnes adultes sans ou à petits revenus.
L'idéal serait de le faire sur base d'un forfait, accordé sous la forme d'un crédit d'impôt. Cela permettrait de mettre tous les ménages concernés sur pied d'égalité et, par là même, d'améliorer la situation des petits salariés/indépendants, qui, étonnamment, reçoivent moins de soutien que des allocataires sociaux quand ils vivent avec un partenaire sans revenus. Il y a les adultes à charge, il y a aussi les enfants à charge. Le constat est ici accablant.
En résumé: ce sont les petits revenus qui reçoivent le moins de soutien de la collectivité. L'explication est simple: ces ménages ne bénéficient en général pas de la réduction fiscale pour enfant(s) à charge. Et cette "perte" n'est pas entièrement compensée par les allocations familiales majorées. Alors que les trois régions ont décidé de forfaitariser les allocations familiales, l'IPP continue, imperturbable, sans même se poser la question, à accorder des réductions fiscales qui augmentent avec le nombre d'enfants.
Un deuxième changement majeur consisterait, dans un premier temps, à forfaitariser les réductions fiscales pour enfant(s) à charge – le même montant donc pour chaque enfant – et à les transformer en crédit d'impôt, immédiatement et intégralement remboursable. Dans un second temps, il serait bienvenu d'additionner allocations familiales et crédits d'impôt pour enfant(s) à charge.
Compliqué dans un pays où ces deux compétences relèvent de niveaux de pouvoir différents? Oui, mais plus politiquement que techniquement. Il est normal que les allocations sociales soient taxées à l'IPP, comme tous les revenus professionnels. Si les pensions ont depuis longtemps un barème propre, ce n'est pas le cas pour les autres revenus de remplacement. On a bien vu durant la crise qu'on a fait tout et son contraire dans ce domaine.
Une troisième réforme consisterait à barémiser tous les revenus de remplacement avec un objectif simple, le même que celui qui vaut en matière de revenus professionnels: minimiser, à l'enrôlement, les remboursements (les ménages à petits revenus n'ont pas vocation d'avancer de l'argent au Trésor) mais aussi les suppléments d'impôt. Cela est d'autant plus important pour les contribuables à revenus modestes que sont beaucoup d'allocataires sociaux.
Ces trois réformes permettraient de reconcilier le couple qui s'occupe de la redistribution des revenus. Chacun aurait son rôle, clairement défini.
Le groupe de travail chargé d'un rapport pour réformer en profondeur l'IPP propose d'abattre quelques tabous. Tant qu'à faire il pourrait se saisir des propositions qui précèdent et aussi proposer de taxer de manière équitable tous les revenus professionnels... Pourquoi en effet, un pensionné devrait-il payer moins d'IPP qu'un salarié qui a le même revenu imposable?
Ces trois réformes permettraient de réconcilier le couple qui s'occupe de la redistribution des revenus. Chacun aurait son rôle, clairement défini. Simplification, fluidité, équité en découleraient, au bénéfice des allocataires sociaux et des salariés et indépendants qui ne disposent que de petits revenus.
Reste une réforme administrative, sans laquelle ce qui précède n'atteindrait pas tous les objectifs recherchés. Il s'agirait de faire en sorte que, pour les personnes qui l'accepteraient (on peut supposer que le feraient les ménages qui en profiteraient directement), les revenus soient suivis et consolidés en permanence, à charge pour le Trésor de verser mois par mois les crédits d'impôt qui seraient dus. Comme le conseillait un récent éditorial de The Economist, "les aides en matière de revenus des ménages devraient être automatisées dans la mesure du possible, à mesure que le secteur financier se numérise."