Taxer les surprofits des banques italiennes: populisme ou nationalisation?

Cette décision est, pour partie, populiste et aveugle, oubliant que les banques sont sous la tutelle de la BCE. Mais, elle illustre les prémices d’un phénomène plus large, à savoir un contrôle étatique croissant des banques.

Le gouvernement italien vient de décider de taxer ce qu’il qualifie de surprofit réalisé par les banques à la suite de l’augmentation récente des taux d’intérêt. La mesure peut paraître légitime: les banques peuvent désormais placer leurs excédents de liquidité à des taux d’intérêt positifs, tout en augmentant seulement faiblement le taux d’intérêt attribué aux déposants.

Si la matière première des banques, c’est-à-dire les dépôts des clients, est gratuite, comment les banques seraient-elles autorisées à tirer profit de l’effet d’aubaine de pouvoir replacer ces dépôts à un taux d’intérêt largement supérieur, au bénéfice de leurs actionnaires et au détriment de leurs déposants? Cette interrogation est d’autant plus légitime que la monnaie est un bien public, garanti par les États, et qu’il est donc indécent que les banques privatisent des bénéfices sur ce bien collectif qu’est la monnaie.

Le même débat a d’ailleurs animé les autorités belges, qui ont sommé les banques d’augmenter les taux d’intérêt associés aux carnets de dépôts, mettant même les banques en concurrence avec l’État qui envisage de lancer des bons d’État au taux de précompte mobilier réduit.

La question est donc de savoir si les banques réalisent vraiment des surprofits associés à cet effet d’aubaine d’augmentation des taux d’intérêt que toutes les banques centrales mettent en œuvre afin de brider l’inflation. La réponse est probablement positive, puisque certaines banques étrangères procèdent même à des rachats de leurs propres actions avec les bénéfices qu’apportent ces hausses d’intérêts.

Retour en arrière

En même temps, il faut grandement nuancer les choses. Cela nécessite de remonter dans le temps, c’est-à-dire après la terrible crise bancaire de 2008 associée aux subprimes. Cette crise fut d’une exceptionnelle gravité et se prolongea avec la crise des dettes souveraines en 2011-13. Certains pays du sud de l'Europe virent leurs taux d’intérêt augmenter au motif que leur solvabilité était mise en question par les marchés financiers. La Grèce dut bénéficier d’un gigantesque sauvetage financé par l’ensemble des citoyens de la zone euro. Derrière cette crise des dettes souveraines, c’est évidemment l’euro qui était mis en jeu, puisque des fissures apparurent dans la cohésion de la zone monétaire.

À ce moment-là, la BCE dut, en totale contradiction avec ses principes fondateurs, refinancer des États dont la dette publique commença à s’embraser. Ce refinancement consista à l’acquisition, par la BCE, de dettes souveraines en contrepartie d’une émission de monnaie inimaginable à l’aune de l’histoire numismatique.

On fit donc tourner la planche à billets, en référence au procédé technique ancien permettant d’imprimer les billets de banque. Cette création monétaire fit chuter les taux d’intérêt, mais la BCE alla plus loin en imposant destaux d’intérêt négatifs aux excédents de monnaie que les banques n’arrivaient pas à prêter. Cependant, les banques ne furent pas autorisées à imposer des taux d’intérêt négatifs aux dépôts réglementés. En Belgique, toutes les banques ramenèrent donc les taux d’intérêt sur les dépôts de leurs clients au taux minimum, soit 0,11 %. Il en résulta d’incontestables pertes comptables pour les banques.

Transformation des échéances

Mais cette baisse des taux d’intérêt permit aussi aux banques d’octroyer des crédits à des taux d’intérêt extrêmement faibles, tant aux particuliers qu’aux entreprises. Il suffit de penser au fait que certains crédits hypothécaires furent négociés à un taux d’intérêt inférieur à 1%. Cette transformation des échéances, c’est-à-dire que les banques octroient des crédits à plus longue échéance que celle des dépôts de leurs clients, ne fut pas anodine. Elle fut d’ailleurs particulièrement favorable aux États eux-mêmes qui purent se financer à des taux d’intérêt homéopathiques, non seulement auprès de la BCE, mais aussi des banques et des compagnies d’assurances.

La hausse des taux d’intérêt modifie cette situation puisque les banques peuvent désormais prêter à des taux d’intérêt plus élevés, mais cette réalité ne s’applique qu’à la production de nouveaux crédits. En effet, cette hausse de taux d’intérêt ne s’impose pas rétroactivement aux crédits anciens assortis d’un taux d’intérêt faible. Les banques ne transforment donc pas leurs bilans instantanément, mais au rythme du renouvellement de leurs crédits. Le rythme des modifications de crédit de leurs actifs est plus lent que la possibilité de modifier les conditions d’intérêt de leurs déposants.

Cette dynamique est essentielle, car elle explique que s’il y a un effet d’aubaine, il n’est que partiel. De surcroît, il disparaît au rythme de la normalisation du niveau des taux d’intérêt.

Étatisation rampante

Alors que penser de la taxation des banques italiennes? C’est une taxation qui frappe ces entreprises, et donc leurs actionnaires. La meilleure illustration est que le cours de bourse de ces banques, mais aussi de toutes les banques européennes, a chuté par effet de capillarité. Mais comme c’est une taxation qui frappe la marge d’intérêt de ces banques, une manière de l’éviter serait d’augmenter le taux d’intérêt offert aux déposants. Ces banques italiennes ont apparemment le choix de verser une taxation ou d’augmenter la rémunération de leurs déposants.

Est-ce une mesure saine? Elle est, pour partie, populiste et aveugle. Elle oublie que les banques sont sous la tutelle des décisions, bonnes ou mauvaises, de la BCE. Mais, à mes yeux, elle illustre l’amorce d’un phénomène plus large, à savoir un contrôle étatique croissant des banques.

Cette étatisation larvée s’imposera tant par nécessité que par choix idéologique. Elle ne s’effectuera pas par une expropriation des actionnaires privés de ces institutions financières, mais par l’affectation autoritaire de leurs actifs, dont l’origine provient des dépôts des épargnants, émanant eux-mêmes de la création monétaire des banques centrales, vers le financement de la dette publique.

Il en résultera, bien sûr, une réduction structurelle de la rentabilité de ces institutions, puisqu’elles deviendront perméables à la rémunération que les États voudront leur octroyer. Est-ce un scénario plausible? Je le crois, car il est impossible qu’un tel niveau d’endettement public, de surcroît fragmenté selon les États membres de la zone euro, ne conduise pas à une étatisation accentuée du secteur bancaire.

Rien d'étonnant

La confrontation monétaire entre un accroissement vertigineux du crédit– dont le financement ne peut plus être assuré que par la création monétaire, en repoussant toujours plus loin sa dynamique – ne peut d’ailleurs que conduire à une modification structurelle des circuits de l’épargne.

Faut-il s’en étonner? Aucunement. La monnaie est consubstantielle à l’autorité des États. Elle fait écho au paiement de l’impôt, les deux droits régaliens – à savoir celui de battre monnaie et de lever l’impôt – étant l’avers et l’envers de la même réalité, reflétés par la locution «Monetandi jus principum ossibus inhæret» (le droit de battre monnaie inséparable de la souveraineté) qui rappelle la tutelle étatique de la monnaie sur toutes les dettes et créances des citoyens.

En conclusion, le gouvernement italien aurait été mieux inspiré de négocier avec son secteur bancaire son apport au financement de la dette publique italienne dont le niveau est excessif plutôt que d’imposer une mesure à court terme et probablement contre-productive.

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