Cette Brève de l’Institut pour un développement durable (IDD) a pour objectif d’éclairer divers débats en matière de redistribution des revenus, au travers de trois questions.
Le président du MR répète souvent qu’« Aujourd’hui, chez nous, quelqu’un qui gagne plus de 41.000 euros bruts par an de revenu est taxé à 50 %. »
Très concrètement, le taux marginal de 50% est d’application dès que le salaire atteint 3.918 € bruts/mois ; si on tient compte des 13ième mois et double pécule de vacances, ce salaire mensuel brut correspond à un salaire annuel brut de 54.538 €, soit 4.545 € bruts/mois (salaire égal à 2,5 fois le salaire minimum).
A ce niveau de salaire, le taux de taxation moyen (impôt final / revenu annuel brut) est de 28,4% pour un isolé, ce qui constitue un maximum à ce niveau de salaire ; il est par exemple de 24,3 % pour un parent seul avec deux enfants.
Certes, le taux de taxation marginal de 50% « impressionne » mais concerne quand même des contribuables déjà relativement aisés ; on peut aussi se demander si on n’arrive pas trop vite au taux marginal de 40% – un salarié payé strictement au salaire minimum (sans 13ième mois ni double pécule de vacances) a déjà une partie de son salaire taxée à 40% – et/ou au taux marginal de 45% auquel on arrive à un salaire de 2.327 € bruts/mois pour un temps plein, ce qui est un salaire du premier décile.
Plus récemment, le président du MR a réitéré une autre proposition, à savoir de porter la quotité exonérée d’impôt propre au contribuable à 12.000 € (9.270 € aujourd’hui). Faut-il rappeler que c’est une proposition qui ne profite pas ou moins aux salariés à petits revenus. Illustration : une maman seule avec deux enfants travaillant à 4/5ièmes pour un salaire mensuel brut de 1.760 €/mois (= 2.200 € pour un temps plein) ne gagnerait pas un seul euro avec cette réforme.
Précisons d’abord ce qu’on appelle ici niveau de vie : il s’agit des revenus monétaires, additionnés des revenus imputés découlant de l’accès à un logement social et du bénéfice du tarif social pour l’électricité et le gaz et déduction faite, pour la personne salariée, des dépenses liées à l’emploi (garde d’enfants et dépenses professionnelles) ; pour le logement, le revenu imputé est la différence entre un loyer sur le marché locatif et le loyer social ; pour l’énergie il s’agit de l’écart entre une facture « normale » et une facture au tarif social.
Si on considère des frais professionnels de l’ordre de 150 €/mois, la réponse à cette question est la suivante : environ 2.200 € bruts/mois pour un temps plein.
Attention : il n’y a donc pas de réponse absolue à cette question ; la réponse dépend en effet de la hauteur de la consommation d’énergie et de la localisation de l’exercice de comparaison puisque les revenus imputés dépendent des loyers et des tarifs de l’énergie proposés localement.
Certes, le parent seul salarié pourrait aussi avoir accès à un logement social (à un coût plus élevé cependant) ; le but de cet exercice de comparaison n’est donc pas de stigmatiser implicitement celui qui est bénéficiaire d’un logement social mais bien de confirmer toute l’importance de tenir compte des revenus imputés, à la fois dans l’analyse des écarts de niveaux de vie et des mesures politiques à prendre pour les modifier.
L’exercice de simulation de l’IDD (on trouvera dans la note les hypothèses) montre qu’une maman seule perd le bénéfice du tarif social quand son salaire dépasse 2.300 € bruts/mois ; une fois ce seuil dépassé, son niveau de vie baisse de plus de 200 €/mois ; pour retrouver son niveau de vie qui était celui atteint avec un salaire de 2.300 €, il faudrait que le salaire passe à 2.900 € bruts/mois, soit une augmentation de 600 €/mois. Notons au passage que 2.900 €/mois c’est aussi, à quelques euros près, le seuil à partitr duquel il n’y a plus de bonus emploi/fiscal.
Le graphique suivant montre cela en détail:
D’autres catégories de personnes sont concernées par ce très important piège à l’emploi. Par exemple, un isolé au chômage perdra très vite le bénéfice du statut BIM et donc le tarif social s’il (re)trouve un job à temps plein.Même en supposant une maîtrise complète de tous les paramètres en cause, une personne qui souhaiterait faire de l’ingénierie sociale n’aurait pas facile parce qu’il n’est pas possible de prévoir avec précision ce qui peut se passer en cours d’année ; pourtant, il est incontestable que des ménages auraient un grand intérêt à demeurer en-dessous du seuil d’accès au statut BIM ; illustration : une personne dans la situation sus-mentionnée avec un salaire de 2.600 € bruts/mois gagnerait aujourd’hui environ 100 € de niveau de vie si son salaire était ramené à 2.300 € bruts/mois, du fait qu’elle récupère – à ce niveau de salaire – le tarif social ! En quelques mots, gagner plus pour gagner moins ou gagner moins pour gagner plus.
On peut d’abord l’atténuer en prévoyant un ou plusieurs seuils intermédiaires ; ce n’est pas l’idéal, mais évite en tout cas de passer de tout à rien. Le fait de prolonger l’accès à un droit permet aussi au ménage de se préparer, pour autant qu’il ait bien conscience de toutes les conséquences des changements qui vont s’opérer dans son niveau de vie.
Pour éviter totalement les effets de seuil, il faudrait passer par des interventions lissées qui modulent le revenu net, ce qui passe inévitablement par trois conditions non remplies aujourd’hui, mais qui peuvent constituer un horizon de réformes souhaitables :
Trois compléments – à portée générale – pour conclure :
Plus dans la note ici que vous trouverez également en annexe.
Source : IDD n° 61 - Mai 2022