
Face au poids de la taxation liée à l’impôt des personnes physiques et à la progressivité excessive frappant les revenus professionnels, certains économistes anglo-saxons plaident pour un glissement progressif de l'impôt sur les revenus vers la consommation. L'idée n'est pas neuve. L'impôt sur la consommation est le plus ancien, son ancêtre en vigueur au Moyen Âge s’appelait la gabelle, un impôt sur le sel.
Cette idée fut aussi largement théorisée dans les années cinquante. Bien sûr, elle est économiquement discutable en période de faible croissance telle que nous la connaissons lorsqu'il faut justement stimuler la consommation privée. Elle est, en outre, socialement injuste car taxer la consommation grève indistinctement la dépense, sans tenir compte du niveau de revenu. La TVA, qui en est le meilleur exemple, est un prélèvement relativement plus pénalisant pour les faibles revenus que pour les revenus élevés. En cela, c'est donc un impôt dégressif.
Mais en même temps la taxation de la consommation constitue un impôt de large base et de perception rapide qui capture l'inflation puisque la plupart de ces impôts sont « ad valorem », c’est-à-dire qu’ils sont calculés sur la valeur. Au reste, son caractère régressif doit être relativisé par une navrante réalité : la taxation sur les revenus professionnels a presque perdu toute progressivité car pour la plupart des Belges, l'impôt devient rapidement proportionnel, au même titre que la TVA.
En termes de conceptualisation fiscale, c'est l'économiste anglais Nicholas Kaldor (1908-1986) dans son traité, publié en 1955 : « An expenditure tax », qui fut le plus ardent défenseur d'une imposition de la dépense plutôt que des revenus. Singulièrement, Nicholas Kaldor était un travailliste keynésien alors que ses idées relèvent plutôt d’une vision moderne libérale de la politique économique. Nicholas Kaldor avait fait partie de la partie de la Commission Beveridge (1879-1963), du nom de l’économiste anglais qui a redéfini le système de l’Etat-providence du Royaume-Uni après la Seconde guerre mondiale.
Nicholas Kaldor avait proposé en 1955 un impôt personnel progressif, plafonné à 30 %, sur le montant total des décaissements (c’est-à-dire de la consommation et de l’investissement) d'une année fiscale, indépendamment de la source de ceux-ci (revenus, gains en capital, legs, successions, etc.).
Ses arguments s'articulaient autour de l'idée qu'il est plus équitable d'imposer les contribuables suivant ce qu'il retirent de la communauté en dépensant, plutôt que ce qu'ils en retirent en acquérant des revenus qui sont le produit de la mise à risque du travail et du capital. A cet égard, il ne faut pas oublier que les impôts sur la consommation sont toujours dérivés de la rétribution des facteurs de production que sont le travail et le capital.
De plus, Nicholas Kaldor avait identifié une propension naturelle des communautés à l'inflation. Selon l'économiste britannique, une taxation de la dépense aurait contribué à tempérer la consommation des biens disponibles et à contrarier l'inflation, assurant de ce fait une répartition raisonnable entre la consommation et les investissements. Derrière la taxation de la consommation, Nicholas Kaldor voyait une taxe d’inflation destinée à frapper les capitalistes puisque (sans indexation des salaires) cette inflation diminue le coût réel (donc après inflation) du travail.
L'idée de Nicholas Kaldor fut ultérieurement affinée par d'autres théoriciens qui préconisaient un impôt sur la consommation différencié selon la nature des biens et des services, les biens courants ou de luxe étant soumis à des taux de taxation différents. On en retrouve d'ailleurs l'écho contemporain dans le taux de TVA réduit pour les biens de première nécessité.
Les idées de Nicholas Kaldor ne rencontrèrent pourtant pas le succès escompté et sont désormais reléguées au rang des théories inabouties. Pourtant, l'impôt sur la consommation, et la TVA au premier titre, demeurent des prélèvements dont les avantages restent insuffisamment explorés. Parce qu’elle est indexée sur la consommation privée, la TVA fait figure de stabilisateur fiscal automatique de la performance de l’économie. L’impôt sur la consommation correspond donc bien aux besoins de l'Etat. Il est en phase avec la gestion des finances publiques et du PIB. C’est également un prélèvement utile en période inflationniste parce que, de manière quasiment immédiate, l’inflation se reflète dans la recette fiscale.
En revanche, on l’a souligné, c’est un impôt injuste en termes d’équité fiscale parce qu’il ne restitue pas la progressivité qui est le propre de l’impôt des personnes physiques. A travers ce dernier, l’État taxe la propension marginale à épargner, alors qu’avec la TVA, il taxe de manière proportionnelle la consommation. À mesure que les revenus augmentent, la part de ceux-ci consacrée à la dépense privée diminue de manière relative. Ceci étant, un impôt sur la consommation serait proche d’un impôt proportionnel (et non progressif) pour les contribuables qui dépensent tout leur revenu disponible. Et, pour atténuer le caractère inégalitaire d’un impôt sur la consommation, on pourrait imaginer un impôt à deux étages, avec une taxation croissante de la consommation en fonction du revenu. Il serait ainsi proche d’un impôt progressif sur la consommation. Mais ceci entraînerait la fiscalité dans des territoires inconnus, notamment administratives, sans doute peu propices à sa perception. Dans tous les sens du terme.