Une tolérance administrative réservée aux seules sociétés résidentes belges ?

Telle est la question pertinente posée par la Cour d’appel de Liège à Cour de justice de l’Union européenne, dans deux arrêts inédits du 4 décembre 2020.


Les faits sont les suivants ...


Une société Belge recours aux services d’une société Luxembourgeoise pour effectuer des prestations pour son compte.


La société Luxembourgeoise facture ses services à la société belge qui omet d’établir des fiches fiscales (281.50) alors que les dépenses étaient visées par l’article 57 du CIR/92.


L’administration fiscale refuse dès lors la déduction de ces frais à l’entreprise belge et soumet ces dépenses à la cotisation distincte visée à l’article 219, al.7 du CIR/92.


La société se pourvoit en justice. Si le tribunal conforte la position administrative, la Cour d’appel suit le raisonnement du conseil de la société et s’interroge quant à l’existence d’une discrimination entre les sociétés selon qu’elles œuvrent avec une société belge ou étrangère et peuvent, selon le cas, bénéficier ou non d’une tolérance administrative dans l’application de l’article 2019 du CIR/92.


Quelle tolérance administrative ?


1. L’article 219 du CIR/92 prévoyait, pour l’exercice fiscal en cause, que lorsque des dépenses visées à l’article 57 du CIR ne sont pas justifiées au moyen d’une fiche fiscale, une cotisation égale à 100% de ces dépenses sera infligée au contribuable malheureux, sauf s’il peut démontrer que le bénéficiaire de ces dépenses est une personne morale, auquel cas la cotisation est réduite à 50%.


La cotisation n’est pas applicable si le contribuable peut démontrer que le montant des dépenses est compris dans une déclaration introduite par le bénéficiaire conformément à l’article 305 ou dans une déclaration analogue introduite à l’étranger par le bénéficiaire.

Le contribuable peut encore échapper à la cotisation si le bénéficiaire est identifié de manière univoque dans un délai de 2 ans et 6 mois à dater du 1er jour de l’exercice concerné.


2. Cette règle n’est toutefois pas appliquée par l’administration fiscale dans certains cas.


Le Ministre des finances avait ainsi déclaré, dans une réponse à une question parlementaire du 8 mai 1992, que « l’obligation d’établir des fiches individuelles ne concerne que les sommes payées :

  • Soit à des personnes qui ne sont pas soumises à la Loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité ou aux comptes annuels des entreprises ;
  • Soit à des personnes visées par cette même loi, mais qui, en vertu du Code TVA, sont dispensées de délivrer des factures pour les prestations qu’elles effectuent ».

Aussi, si des honoraires sont payés à des sociétés soumises à la loi du 17 juillet 1975 et qui sont tenues de délivrer des factures, elles ne doivent pas faire l’objet de fiches individuelles.


Le commentaire administratif 57/62 confirme cette position.


Cependant, et c’est là que le bât blesse, cette tolérance ne s’applique pas aux paiements effectués au profit d’un non habitant du royaume.


C’est ainsi que notre société belge qui paye ses prestations facturées par une société belge ne doit pas remplir de fiche fiscale 281.50, alors qu’elle doit le faire dès lors qu’elle paye les mêmes prestations facturées par la société luxembourgeoise.


3. Le 8 décembre 2014, le Ministre des finances répondait à une question parlementaire du 22 octobre de la même année en confirmant l’obligation de principe de l’établissement d’une fiche individuelle lorsque la commission, le courtage ou l’honoraire est versé à une société établie en-dehors du royaume.


Le Ministre ajoutait cependant mettre à l’examen la question de la différence de traitement induite par la tolérance administrative notamment au regard du principe posé par l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de la libre circulation des services et de la directive relative à l’assistance administrative 2011/61/UE.


La tolérance administrative n’a cependant pas été étendue depuis cette date.


4. L’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne interdit les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union à l’égard des ressortissants des Etats membres.


Cette interdiction induit qu’un prestataire doit pouvoir fournir ses prestations dans n’importe quel Etat membre sans recevoir un traitement différent que les ressortissants de l’Etat membre dans lequel il effectue ses prestations.


C’est ainsi qu’aucune mesure nationale ne peut interdire, ou gêner ou rendre moins attrayante l’exercice de cette liberté, tant pour le prestataire que pour le destinataire.


Notre contribuable belge doit pouvoir recourir de manière indifférente à un prestataire belge ou résident européen sans qu’il ne soit pareillement gêné dans sa démarche.


La Cour d’appel de Liège a donc estimé que la tolérance administrative, limitée aux prestataires établis en Belgique, pouvait être une restriction interdite au sens de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.


En rendant le recours aux fiches individuelles obligatoire pour les seules entreprises situées à l’étranger, la tolérance est de nature à rendre moins attrayante pour son destinataire les services qu’il fournit et dissuader ainsi notre contribuable belge à aller voir au-delà de nos frontières si un prestataire ne ferait pas le travail de manière aussi voire plus efficace pour lui.


La question a ainsi été posée à la Cour de Justice de l’Union européenne le 4 décembre 2020.


Gageons qu’une fois encore, la Cour aura une vision large des libertés qu’elle procure à ses ressortissants et considérera qu’une tolérance administrative doit également suivre les principes dégagés par les directives européennes, au même titre que nos lois et règlements.


Anne-Thérèse Desfosses

atd@wbcj.be

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