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Administrateurs: responsabilité extracontractuelle, fin de l’immunité et nouvelles lignes de faille — ce que dit (vraiment) le ministre de la Justice

Depuis le 1er janvier, la réforme du Code civil en Belgique a modifié en profondeur le régime de responsabilité extracontractuelle des administrateurs. Une protection quasi-totale leur était autrefois assurée en tant qu’agents d’exécution. Cette quasi-immunité a désormais disparu, ouvrant la voie à une relecture complète du droit applicable, notamment en lien avec les dispositions du Code des sociétés et des associations (CSA).

Dans une interpellation parlementaire particulièrement éclairante, le député Steven Matheï a interrogé le ministre de la Justice sur les conséquences concrètes de cette réforme. Les questions soulevées – et les réponses apportées – sont capitales pour les administrateurs, mais aussi pour les juristes d’entreprise, les tiers contractants, les ASBL, et plus largement pour toute personne concernée par la gouvernance d’entités juridiques.


La question centrale : peut-on limiter la responsabilité extracontractuelle ?

Le débat porte essentiellement sur deux axes :

  1. Peut-on limiter, voire exclure, la responsabilité extracontractuelle des administrateurs dans leurs relations avec les tiers ?
  2. Les statuts d’une société ou d’une ASBL peuvent-ils prévoir une telle clause limitative ?


La réponse nuancée du ministre : entre CSA, droit commun et liberté statutaire

Dans sa réponse, le ministre de la Justice procède à un exercice d’équilibrisme juridique :

  • Il confirme d’abord que la possibilité de limiter la responsabilité des administrateurs est encadrée par le CSA, qui autorise une limitation dans certaines conditions, notamment en faveur de la société elle-même.
  • Il précise ensuite que l’exonération anticipée de responsabilité à l’égard des tiers est prohibée. Il n’est donc pas possible de prévoir statutairement une immunité absolue vis-à-vis de tiers lésés par une faute extracontractuelle.
  • Enfin, il rappelle que le Livre 6 du Code civil, entré en vigueur le 1er janvier 2025, s’applique à titre supplétif en matière extracontractuelle. Il devient ainsi la nouvelle source principale du régime applicable aux administrateurs, en l’absence de règles spécifiques ou dérogatoires.

En d’autres termes : la limitation de responsabilité existe… mais elle n’est ni automatique, ni absolue, et surtout fortement conditionnée par le droit commun.


Une “soft law” gouvernementale, mais un pouvoir judiciaire souverain

La position du ministre, aussi précise que nuancée, s’apparente à ce que l’on pourrait qualifier de soft law. Elle éclaire le droit, sans pour autant lier les juridictions, qui restent libres dans leur interprétation des textes et de leur articulation.

Ce point de vue gouvernemental, bien qu’intéressant et potentiellement utile dans un raisonnement juridique ou un contentieux, ne préjuge pas de la position des cours et tribunaux. Le droit de la responsabilité reste en effet essentiellement casuistique, évoluant au gré de la jurisprudence et des contextes particuliers.


Conclusion

Cet échange parlementaire, bien qu’il ne règle pas tout, constitue une lecture indispensable pour qui s’intéresse au nouveau droit de la responsabilité des administrateurs. Il balise les enjeux, délimite les marges de manœuvre statutaires, et rappelle les limites imposées par le droit commun.

Pour les praticiens du droit, les gestionnaires d’entreprise ou les administrateurs d’ASBL, cette nouvelle configuration impose de réexaminer les statuts, les clauses d’exonération, mais aussi les assurances responsabilité souscrites dans le cadre de leur mandat.

Car désormais, naviguer dans le droit des sociétés belges, c’est évoluer sur une ligne de crête entre protection et responsabilité, où la vigilance est plus que jamais de mise.

  • CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS DE BELGIQUE - Questions et réponses écrites – du 27-03-2025 - QRVA 56 008.pdf

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