Bienvenue à la maison et au bureau ! Vraiment ?

Une visite fiscale, qu’elle concerne un local purement professionnel, mixte ou privé, requiert toujours le consentement du contribuable. Et selon un arrêt très récent de la Cour de cassation, ce consentement peut être retiré en cours de visite.

Un enjeu démocratique

Dans tout état qui se veut démocratique, le respect des libertés fondamentales est essentiel. Et, au premier chef, celui du droit au respect de la vie privée et de l’inviolabilité du domicile.

Les perquisitions et autres visites domiciliaires sont des actes particulièrement attentatoires à la vie privée vu les procédés mis en œuvre et la nature des informations qu’ils permettent de récolter. Le droit au respect de la vie privée est protégé des ingérences policières et judiciaires abusives par la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».



Cet article est publié dans le cadre du Tax TV Show du 3 octobre 2023


Il ne peut y avoir d’exception à ce principe que pour autant que l’ingérence soit prévue par la loi et qu’elle poursuive un objectif légitime : ainsi, selon l’article 8.2 de cette Convention, la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense, la protection de la santé ou de la morale ou la protection des droits et libertés d’autrui sont autant de motifs qui pourraient autoriser des exceptions au principe de l’inviolabilité du domicile. La CEDH exige également que la mesure soit « nécessaire dans une société démocratique », c’est-à-dire qu’elle ne soit pas disproportionnée.

L’ordre juridique interne recèle également de dispositions tendant à garantir l’inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée. Ainsi, l’article 15 de la Constitution dispose que « le domicile est inviolable ; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit ». L’article 22, alinéa 1er, de la même Constitution dispose quant à lui que « chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi ».

Une atteinte à l’inviolabilité du domicile ou au respect de la vie privée ne peut donc se concevoir que dans un cas autorisé par la loi. Par ailleurs, l’autorité qui choisit d’exercer les pouvoirs spéciaux qui lui sont conférés par la loi doit respecter les modalités et formes prévues par celle-ci.

S’agissant d’une violation du droit au respect de la vie privée, la Cour européenne des droits de l’homme exige que toute perquisition soit fondée sur une loi claire, précise et prévisible justifiée par un des buts énoncés à l’article 8.2 de la CEDH. Si les États peuvent estimer nécessaire de recourir à certaines mesures, telles les visites domiciliaires pour établir la preuve matérielle de délits et en poursuivre les auteurs, encore faut-il que leur législation et leur pratique en la matière offrent des garanties suffisantes contre les abus.

La présence d’un juge autorisant ou non les visites domiciliaires est au cœur des préoccupations de la Cour de Strasbourg : en l’absence d’un mandat judiciaire, l’ingérence dans les droits du justiciable n’est en principe pas proportionnée au but légitime recherché par l’État.

En Belgique, plusieurs dispositions permettent aux autorités judiciaires et administratives de pratiquer tantôt des perquisitions, tantôt des « visites domiciliaires ».

Le Code d’instruction criminelle pose ainsi les conditions dans lesquelles une perquisition peut avoir lieu.

Les perquisitions ne peuvent en principe intervenir que sur la base d’une décision d’un juge d’instruction et supposent donc nécessairement un mandat de perquisition. Toutefois, les exceptions légales à ce principe ne font que croître ; on peut citer par exemple l’accès aux lieux ouverts au public, aux lieux notoirement livrés à la débauche ou aux maisons de jeux, les cas de flagrant délit (ou crime) ou le cas de la réquisition ou du consentement de la victime de violences conjugales.

L’ordonnance de perquisition doit être motivée : la personne visitée doit être en mesure de vérifier l’adéquation de la perquisition telle qu’elle est exécutée avec le mandat donné par le juge d’instruction. Pour la CEDH, l’élément déterminant est que la personne visée par la mesure dispose d’informations suffisantes sur les poursuites se trouvant à l’origine de l’opération pour lui permettre d’en dénoncer les abus dans le cadre d’un recours. Toute perquisition ou visite domiciliaire illégalement prescrite ou exécutée ne produit aucun effet : les juridictions d’instruction devront tenir pour nulles et inexistantes les preuves ainsi recueillies et toutes les preuves récoltées à la suite de la perquisition illégale.

Les visites domiciliaires fiscales et l’intervention du juge de police

Parallèlement aux pouvoirs d’investigation évoqués ci-avant, réservés aux infractions pénales, un nombre croissant de dispositions légales autorisent certaines administrations à mener des visites domiciliaires. Il en va ainsi de l’inspection sociale ainsi que des différents départements de l’administration fiscale. Tous les codes fiscaux reconnaissent à l’administration fiscale un certain nombre de pouvoirs de contrôle.

L’administration fiscale dispose d’un droit de visite domiciliaire qui lui permet de réclamer l’accès à tout local ou terrain où une activité est exercée ou présumée exercée. L’habitation privée du contribuable peut également être visitée si l’administration fiscale a des raisons de croire qu’il y exerce l’une ou l’autre activité professionnelle. La loi a toutefois posé des conditions à l’exercice de ce pouvoir d’investigation : s’agissant de lieux habités, les fonctionnaires fiscaux doivent avoir été préalablement autorisés par le juge de police à y pénétrer et doivent respecter un horaire strict, soit de 5 heures du matin à 21 H.

L’intervention préalable d’un magistrat indépendant et impartial constitue une garantie importante contre les risques d’abus ou d’arbitraire. Le juge de police dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation afin de déterminer si les circonstances qui lui sont soumises justifient une atteinte au principe constitutionnel de l’inviolabilité du domicile. L’autorisation qu’il délivre est spécifique : elle concerne une enquête précise, une habitation déterminée et ne vaut que pour les personnes au nom desquelles l’autorisation est accordée.

Toutefois, le simple fait que l’autorisation de pénétrer dans les locaux habités soit délivrée par un juge ne peut être considéré comme une garantie suffisante au sens de la CEDH dès lors que la personne visée par la visite domiciliaire qui ignore à ce stade l’existence de cette mesure ne peut se faire entendre. En effet la procédure n’est pas contradictoire : lorsque l’administration sollicite du juge de police une autorisation de visite domiciliaire, elle fait parfois oralement état de faits et de documents qui ne sont pas consignés dans le dossier de procédure.

Lorsque l’autorisation du juge de police est donnée sans communication de documents ni explications verbales ou motivation circonstanciée ou si elle ne se fonde que sur des explications verbales non jointes au dossier, un tel procédé rend impossible tout contrôle a posteriori de la légalité de la procédure et de l’autorisation donnée.

En outre, à la différence de la perquisition autorisée par un juge d’instruction, l’autorisation de visite domiciliaire accordée par le juge de police n’est pas susceptible de recours. En d’autres termes, l’autorisation de visite domiciliaire ne peut être contrôlée par un autre juge.

Ces spécificités procédurales ont été pointées du doigt par la Cour constitutionnelle, qui y a vu une atteinte disproportionnée aux droits de la défense. Les documents et déclarations sur lesquels se fonde le juge de police pour donner l’autorisation de pénétrer dans les locaux doivent être soumis au principe du contradictoire. Ce principe implique le droit pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée devant le juge et d’en discuter. Il faut donc en conclure que les droits de la défense seraient restreints de manière disproportionnée si les documents et déclarations sur lesquelles est fondée l’autorisation du juge de police de pénétrer dans les locaux habités n’apparaissaient pas dans le dossier et sont ainsi entièrement soustraits au principe du contradictoire.

Par ailleurs, le simple fait que l’autorisation de pénétrer dans les locaux habités soit délivrée par un juge ne peut être considérée comme une garantie suffisante au sens de l’article 6.1 de la CEDH dès lors que la personne visée par la visite domiciliaire - qui ignore à ce stade la demande qui la vise - ne peut se faire entendre. Rendre le débat contradictoire à ce stade risquerait évidemment de rendre toute visite domiciliaire infructueuse. Toutefois, un contrôle juridictionnel a posteriori de l’autorisation donnée par le juge de police doit être possible, à peine de violer ledit article 6.1 de la CEDH et la Constitution.

Enfin, le contrôle juridictionnel effectif de l’autorisation de procéder à une visite domiciliaire et l’exercice effectif des droits de la défense impose que le juge de police motive l’autorisation qu’il donne. Il convient également que les modalités qu’il a fixées figurent dans la motivation de l’autorisation.

Permettre à l’administration de procéder à des perquisitions sans aucun contrôle judiciaire poserait évidemment la question de sa conformité à la CEDH. L’inviolabilité du domicile et le droit à un procès équitable sont des principes garantis et protégés.

Une telle mesure se heurterait immanquablement aux contours dessinés tant par la CEDH que par la Cour constitutionnelle : les deux instances placent en effet l’intervention préalable d’un magistrat indépendant et impartial au cœur du système de garantie d’un procès équitable. En outre, comme on l’a vu ci-dessus, l’intervention d’un magistrat impartial et indépendant n’est pas en elle-même suffisante. La procédure doit aussi permettre un recours a posteriori et un débat contradictoire. Pour ce faire, les documents et éléments dont il a été fait mention devant le juge donnant l’autorisation doivent être conservés dans le dossier de procédure ».

Rappelons que lorsqu’il apparaît qu’au cours d’une visite sur place dans une habitation privée, l’administration ne souhaite pas seulement demander la production de livres et de documents, mais veut également, par la même occasion, vérifier sur place la nature et l’importance des activités, il lui faut une autorisation du tribunal de police. À défaut, la cotisation est annulée.

Un juge de police ne peut autoriser l’administration à procéder à une visite dans l’habitation d’un contribuable que s’il peut, à tout le moins, présumer que des activités sont exercées dans cette habitation.

Les travaux parlementaires à l’origine des articles 319, alinéa 2, du C.I.R. 1992 et de l’article 63, alinéa 3, du Code TVA, énoncent qu’en ce qui concerne l’accès [de l’administration] aux bâtiments ou locaux habités, il ne sera fait usage de cette possibilité que dans des cas exceptionnels. Cette possibilité est subordonnée à l’autorisation du juge de police. Les cas exceptionnels visés sont ceux pour lesquels il existe des raisons sérieuses de présumer que du travail au noir est effectué dans une habitation. L’autorisation est nulle à défaut d’une telle présomption.

En outre, l’autorisation de police doit être motivée. Cette motivation est, en effet, nécessaire pour permettre a posteriori un débat contradictoire devant le juge concernant la régularité et la proportionnalité de la visite. La Cour constitutionnelle a confirmé ce principe de la motivation.

La Cour a souligné qu’il doit ressortir de l’autorisation du juge de police, qu’il s’agit d’une investigation spécifique et d’une habitation spécifique. En outre, cette autorisation ne s’applique qu’aux personnes au nom desquelles l’autorisation est accordée. L’autorisation doit également indiquer en quoi elle s’avère nécessaire, mais cela peut l’être de manière succincte. Il peut y être fait référence à la demande d’autorisation de l’administration elle-même, et le juge de police peut simplement copier ces mentions à partir de la demande ou simplement reprendre les pièces jointes. De cette manière, un contrôle judiciaire efficace est possible a posteriori.

La Cour de cassation a également souligné l’importance de la motivation de l’autorisation du juge de police, en ce sens que l’autorisation doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif.

Relevons qu’un juge anversois a pris ce qui précède à contre-pied.

Si l’administration ne peut pas présumer qu’un local professionnel de société est aussi utilisé comme habitation, il ne peut pas lui être reproché que les règles d’investigation ont été violées lors d’une visite de l’habitation. Il n’est dès lors pas question d’une violation de l’article 319 du C.I.R. 1992 lorsque l’administration, sans avoir procédé aux formalités préalables, a eu accès à un appartement, à l’intervention de la femme d’ouvrage, et n’a pu qu’à ce moment constater qu’il s’agissait d’une habitation.

Lorsque des fonctionnaires fiscaux procèdent, dans le cadre de leur droit de visite, à la visite sur place d’un bureau en vue d’y examiner les documents comptables d’un contribuable et qu’ils constatent de manière inattendue que le bureau héberge également les documents comptables d’un autre contribuable, ils ne peuvent décider sur place d’étendre leur droit de visite aux documents de cet autre contribuable.

En l’espèce, le fisc a invoqué la doctrine dite Antigone, suivant laquelle la législation fiscale ne comprend pas de disposition interdisant d’utiliser une preuve obtenue illicitement en vue de constater une dette fiscale et de fixer un accroissement ou une amende. Il ne convainc pas la Cour : la preuve obtenue en violation de la loi qui définit le moyen de contrôle dont le fisc dispose pour obtenir cette preuve, en ce compris les articles 61 et 63 du Code TVA, ne peut être admise par le juge, puisque l’admissibilité de cette preuve illégale est contraire à l’article 8 de la CEDH.

L’accès aux locaux professionnels ou présumés tels

Conformément à l’article 319, alinéa 1er, du C.I.R. 1992, les contribuables sont tenus d’accorder aux agents de l’administration chargée de l’établissement des impôts sur les revenus, munis de leur commission et chargés d’effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l’application de l’impôt sur les revenus, le libre accès aux locaux de l’entreprise, à toutes les heures où une activité s’y exerce.

L’article 319 du C.I.R. 1992, par son alinéa 2, donne également accès à l’administration à tout autre lieu où des activités sont effectuées ou sont présumées être effectuées. Toutefois, ils ne peuvent pénétrer dans les bâtiments ou les locaux habités que de cinq heures du matin à neuf heures du soir et uniquement moyennant l’autorisation du tribunal de police. Dans ce contexte, il a été jugé que si aucune heure de fin de la visite d’une habitation privée n’avait été mentionnée dans le procès-verbal, cela ne signifiait pas que la visite ait violé les prescriptions légales.

La Cour constitutionnelle a jugé que l’article 319, alinéa 2, du C.I.R. 1992, interprété en ce sens que l’autorisation donnée par le juge de police ne doit pas être motivée, viole les articles 15 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 8 de la CEDH. La même disposition, interprétée en ce sens qu’elle ne dispense pas le juge de police de l’obligation de motiver expressément l’autorisation de procéder à une visite, ne viole pas les articles 15 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 8 de la CEDH.

Rappelons les deux dernières modifications apportées audit article 319 du C.I.R. 1992.

Il a été modifié, en avant-dernier lieu, par la loi du 19 mai 2010 portant des dispositions fiscales et divers, qui en a remplacé l’alinéa 1er par : « Les personnes physiques ou morales sont tenues d’accorder aux agents de l’administration des contributions directes, munis de leur commission et chargés d’effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l’application de l’impôt sur les revenus, le libre accès, à toutes les heures où une activité s’y exerce, aux locaux professionnels ou aux locaux où les personnes morales exercent leurs activités tels que bureaux, fabriques, usines, ateliers, magasins, remises, garages ou à leurs terrains servant d’usine, d’atelier ou de dépôt de marchandises, à l’effet de permettre à ces agents d’une part de constater la nature et l’importance de ladite activité et de vérifier l’existence, la nature et la quantité de marchandises et objets de toute espèce que ces personnes y possèdent ou y détiennent à quelque titre que ce soit, en ce compris les moyens de production et de transport et d’autre part d’examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux précités ».

Il existe depuis longtemps un droit d’accès aux locaux professionnels, tant en matière de contributions directes qu’en matière de TVA.

Cependant, il existait, selon l’Exposé des motifs de la loi, des possibilités d’interprétation divergentes au niveau de la portée de ces droits d’investigation.

Ainsi, dans son arrêt du 16 décembre 2003 sur la portée de l’article 63 du Code de la TVA, la Cour de cassation a estimé que les agents compétents pour contrôler l’application de la TVA ont non seulement « le droit de vérifier quels livres et documents sont conservés dans les locaux où l’activité est exercée, mais également d’examiner les livres et documents qui s’y trouvent sans devoir demander préalablement la production de ces livres et documents, et ce, à la différence de l’article 319, alinéa 1er, du C.I.R. 1992, qui n’accorde pas aux agents de l’administration des contributions directes le libre accès aux locaux professionnels afin de leur permettre d’examiner les livres et documents qui s’y trouvent ».

La Cour de cassation a donc considéré dans cet arrêt que les modalités du pouvoir d’investigation offertes aux agents contrôleurs en matière de TVA étaient beaucoup plus étendues que celles attribuées aux agents contrôleurs en matière de contributions directes bien qu’elle ait reconnu dans un autre arrêt que les agents de l’administration des contributions directes avaient également le droit de contrôler les documents d’une comptabilité parallèle se trouvant à « leur disposition » dans les locaux professionnels.

On relèvera que c’est dans cet arrêt que la Cour de cassation avait aussi jugé que si le contribuable a accordé l’accès à ses locaux professionnels aux agents du fisc sans exiger la présentation de leur commission et qu’il a donc consenti à la visite, la circonstance que les agents n’ont pas produit d’office ladite commission ne peut être invoquée ensuite pour conclure à l’irrégularité de la visite. En d’autres termes, il était possible de refuser l’accès aux contrôleurs, mais si on les a laissé entrer, il est trop tard pour invoquer qu’ils n’en avaient pas le droit !

Aussi, afin d’une part d’éviter des pratiques divergentes et d’autre part afin d’harmoniser les droits d’investigation des agents du fisc, il s’est avéré nécessaire d’apporter plus de clarté à la base légale des droits d’investigation qui sont accordés auxdits agents.

La modification apportée à l’article 319 du C.I.R. 1992 visait donc seulement à harmoniser les pouvoirs d’investigation de l’administration des contributions directes avec ceux de l’administration de la TVA.

La dernière modification apportée à l’article 319 du C.I.R. 1992 est l’œuvre de la loi du 25 avril 2014 adaptant dans la législation fiscale les dénominations des administrations du Service public fédéral Finances et portant diverses autres modifications législatives, entrée en vigueur le 16 mai 2014.

La modification consiste uniquement à remplacer les mots « l’administration des contributions directes » par les mots « l’administration en charge de l’établissement des impôts sur les revenus ».

Il n’y a plus eu de modifications depuis, et donc, rien n’a changé en la matière depuis bien longtemps.

Mais on doit constater, curiosité de notre temps qui remet tout en cause, qu’un même texte peut soudainement être compris, interprété, différemment, par certains fonctionnaires et par la jurisprudence ou une partie de la jurisprudence. On dit que le droit évolue. Nous y voyons plutôt l’analyse de fonctionnaires peu instruits car peu formés.

Les limites au droit de visite du fisc

Le droit de visite ou de l’accès à divers locaux par les agents du fisc connaît des limites.

N’en déplaise à certains, le droit d’accès de l’administration n’est pas un droit de perquisition tel qu’il existe en droit pénal. La Cour d’appel de Bruxelles l’a confirmé. La finalité d’une visite fiscale et d’une perquisition criminelle est fondamentalement différente : les agents chargés du contrôle disposent d’un pouvoir d’investigation administrative qui est lié à un objectif qui ne peut être exercé qu’en vue de déterminer la régularité de la déclaration fiscale à l’impôt sur les revenus.

Les agents chargés du contrôle n’ont aucun pouvoir d’enquête judiciaire. Ils portent en revanche à la connaissance des autorités judiciaires, dans les conditions prévues par la loi, les faits pénalement punissables aux termes des lois fiscales et des arrêtés pris pour leur exécution dont ils ont eu connaissance. Il appartient à ces autorités d’apprécier les suites qu’il convient d’y donner. Il ne doit pas non plus y avoir de présomption de fraude pour justifier une visite fiscale.

Depuis la modification apportée à l’article 319 du C.I.R. 1992 par la loi du 19 mai 2010 précitée, les fonctionnaires chargés de l’établissement des contributions directes peuvent donc, comme en matière de TVA, examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux professionnels du contribuable. Selon une partie de la jurisprudence, la notion de « locaux professionnels » doit être comprise au sens large. Ainsi, un conteneur de déchets pris en location doit également être assimilé à un local professionnel.

Le ministre a confirmé qu’un coffre-fort ou le coffre bancaire d’une entreprise relève également de la définition de « locaux professionnels » au sens de l’article 319 du C.I.R. 1992. Ce n’est donc pas parce que les documents sont conservés dans un coffre-fort bancaire qu’ils sont, d’une manière ou d’une autre, protégés par le secret bancaire. Toutefois, si un contribuable refusait d’ouvrir le coffre, l’administration ne peut pas utiliser la contrainte pour y avoir accès.

On peut quand même s’autoriser à penser que si la visite répond à toutes les conditions mises pour qu’elle soit légale, elle doit rester dans certaines limites. Ainsi, dès lors que son but est de déterminer le montant des revenus imposables, aucune donnée privée ne peut être emportée. D’autre part, elle doit être proportionnelle au but d’intérêt public poursuivi. La jurisprudence a condamné la pratique du « fishing expedition » lorsqu’il fut établi que la visite chez un contribuable (par l’ISI) avait pour seul objectif de réaliser des régularisations fiscales dans le chef des clients du contribuable ‘visité’.

L’attitude de quelques (rares) fonctionnaires du fisc a rapidement mener à la question de savoir si le droit de visite (en matière fiscale) permettait un droit de perquisition, plus ou moins actif.

Autrement dit, les fonctionnaires peuvent-ils ouvrir eux-mêmes les armoires, les tiroirs et s’emparer des systèmes informatiques afin d’emporter des documents ?

Une certaine jurisprudence (flamande) accepte cette attitude.

Ainsi, il a été jugé que le droit au libre accès de l’article 63 du Code TVA autorise l’administration à vérifier quels livres et documents s’y trouvent, à les consulter et à les copier. Une présentation préalable de ces livres et documents par le contribuable n’est pas exigée, pas plus que son autorisation.

Même verdict concernant l’ISI auquel aucun comportement illégal ne peut être reproché dans le cas d’espèce.

Ou encore que l’administration ne doit aucunement prouver que la visite a été effectuée régulièrement.

Le tribunal invoque en l’espèce la jurisprudence de la Cour de cassation qui a décidé que l’administration, sur la base de l’article 63 du Code TVA, dispose d’un droit de recherche actif lors d’une visite de l’habitation privée d’un assujetti.

Cet arrêt de cassation est bien malheureux car c’est sur celui-ci que certains taxateurs, en particulier ceux de l’ISI, s’appuient pour continuer à prétendre que l’administration bénéficie d’un (très) large droit actif d’investigation. Or la Cour de cassation a confirmé que la visite fiscale doit être liée à un objectif.

Dans l’espèce suivante, les fonctionnaires de l’ISI disposaient d’une autorisation du juge de police d’accéder à l’habitation particulière du précédent gérant de la société. Les fonctionnaires compétents pouvaient à cette occasion procéder à une recherche active des livres et documents et pouvaient, de leur propre initiative, ouvrir armoires et étagères, pour vérifier qu’aucun livre ou document utile ne s’y trouvait, et ne devaient pour ce faire pas demander la production ou l’autorisation préalable du gérant précédent ou de l’épouse dudit gérant.

Un cas phénoménal reste quand même cette affaire liégeoise, que nous résumons ci-après.

Lors d’un contrôle dans un local dont l’administration savait ou aurait dû savoir qu’il était aussi utilisé en partie comme habitation privée, l’administration doit disposer d’une autorisation du juge de police pour pouvoir pénétrer dans ce local. Il en va de même lorsque seul un examen des livres y est effectué. En l’espèce, les agents contrôleurs ne pouvaient ignorer qu’il s’agissait d’un immeuble d’habitation dans lequel un magasin avait été installé au rez-de-chaussée et qui disposait d’un atelier attenant. Si les contrôleurs pouvaient accéder à l’atelier, il n’était pas question qu’ils accèdent, à cette heure (2 h 00 du matin), sans autorisation, dans la pièce attenante.

Il importe peu que des livres comptables aient été rangés dans cette pièce. Il n’en reste pas moins que ce local, séparé du magasin par le hall, était considéré par les requérants comme une pièce à vivre, dans laquelle ils se retiraient. L’usage mixte de ce local, compte tenu de l’activité de boulanger des requérants, exercée en personne physique, à leur domicile, est tout à fait plausible. Dans la mesure où les contrôleurs ne disposaient pas de l’autorisation du juge de police, les investigations menées et, partant, les rectifications basées sur les constatations issues de ces investigations illégales, sont nulles.

Quant à la jurisprudence Antigone, le tribunal estime qu’elle ne peut pas s’appliquer en l’espèce. L’irrégularité est, en effet, particulièrement grave puisque les agents de l’administration ont pénétré de nuit dans une habitation privée sans l’autorisation préalable spécifique du juge de police, en l’absence des contribuables, qui dormaient à l’étage, et qu’ils se sont même saisis et ont consulté des documents rangés dans une armoire ou une étagère. Pareil comportement est contraire, non seulement aux articles 319 du C.I.R. 1992 et 63 du Code de la TVA, mais également à l’article 8.1. de la CEDH et à l’article 15 de la Constitution. Il ne peut être admis. Les cotisations, fondées sur des éléments de preuve obtenus illégalement, doivent, dès lors, être dégrevées.

Comme la magistrate dans cette affaire, la majorité de la doctrine estime, en se basant sur les travaux préparatoires de l’article 319 du C.I.R. 1992, que le droit de visite en matière fiscale n’implique pas un droit actif de perquisition.

Cette position a également été confirmée par le tribunal de Louvain dans le cadre d’un contrôle effectué par l’ISI. Si l’administration pouvait se procurer d’autorité, sur pied des articles 319 du C.I.R. 1992 et 63 du Code TVA, une copie complète de tous les fichiers informatiques accessibles lors d’une visite des locaux professionnels, le législateur n’aurait pas introduit les articles 315bis, alinéa 3, du C.I.R. 1992 et 61, § 1er, alinéa 3, du Code TVA.

Le fait que le législateur ait explicitement prévu, dans ces dernières dispositions, que l’administration peut requérir du contribuable qu’il fournisse une copie de ses fichiers informatiques, démontre en soi que le législateur est parti du principe que cette possibilité ne découlait pas des articles 319 du C.I.R. 1992 et 63 du Code TVA.

Les fonctionnaires ne peuvent pas copier les fichiers informatiques du contribuable sans la collaboration de celui-ci, qui reste à la manœuvre de son ordinateur.

C’est dans ce contexte qu’un tribunal a posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle visant à savoir si le droit de visite est conforme à la Constitution et à la CEDH, dès lors que l’on considère que les fonctionnaires fiscaux peuvent exiger un accès libre et illimité aux locaux professionnels afin de les examiner d’une manière qui fait penser à une perquisition domiciliaire en matière pénale. La Cour constitutionnelle a répondu qu’il n’existait pas de violation légale.

La Cour considère que la visite fiscale est entourée de garanties suffisantes contre les abus. Le législateur a ainsi réalisé un juste équilibre entre, d’une part, les droits des contribuables concernés et, d’autre part, la nécessité de pouvoir procéder de manière efficace à un contrôle ou une enquête concernant l’application des impôts sur les revenus ou de la TVA.

Quant à l’obligation de coopération fondée sur l’article 319 du C.I.R. 1992, la Cour relève que le ministre des Finances a déclaré : « Le droit de visite dans le cadre de l’impôt sur les revenus n’est pas un droit de perquisition domiciliaire. Les fonctionnaires de l’administration des contributions directes n’ont en effet pas la possibilité de forcer manu militari le contribuable à respecter ses obligations […]. Les fonctionnaires compétents des contributions directes n’ont pas la possibilité d’extorquer le libre accès. Si le contribuable refuse d’accorder l’accès aux locaux concernés, la visite ne peut avoir lieu ».

Equilibre des forces et sanctions : le consentement du contribuable

Lorsque le contribuable s’oppose à une visite des locaux professionnels, mixtes ou privés, l’administration fiscale dispose de la faculté de lui infliger des amendes, de la faculté de le taxer d’office sur base des informations dont il dispose ou, depuis une modification législative du 20 novembre 2022, de la faculté d’assigner le contribuable ou un tiers (le plus souvent le professionnel du chiffre en charge du dossier) devant le tribunal fiscal territorialement compétent, aux fins d’obtenir leur condamnation a s’exécuter, sous peine d’astreintes.

Le consentement du contribuable est donc nécessaire, les agents de l’administration fiscale n’ayant pas la possibilité d’accéder aux locaux professionnels, mixtes ou privés, par la contrainte ou par la force.

Somme toute, il y a là un équilibre des forces normal. Dès le début d’une procédure fiscale, la loi « Una Via » impose une concertation préalable entre l’administration fiscale et le parquet, aux fins de déterminer si le dossier sera traité sous l’angle pénal ou sous l’angle fiscal. Si l’administration fiscale estime que le dossier doit être traité sous l’angle pénal et nécessite la nomination d’un juge d’instruction habilité à autoriser des perquisitions pénales (hypothèse dans laquelle le consentement du contribuable n’est nullement requis et le recours à la force publique et la contrainte parfaitement possible), elle a donc la possibilité de le faire.

Si elle décide de traiter le dossier sous l’angle purement fiscal, elle doit recueillir le consentement du contribuable et respecter les limites et formalités décrites ci-avant.

Deux questions subsistent alors.

La première est la validité du consentement : qui doit le donner ? En principe, le contribuable lui-même et, pour les sociétés, celui de la personne légalement habilitée à représenter l’entreprise, soit son administrateur.

Malheureusement, la Cour de cassation a, dans un arrêt rendu en 2019, considéré que tout consentement donné par une personne dont les agents taxateurs pouvaient légitimement croire qu’elle en avait le droit est valable, même si en fait, elle ne l’avait pas.

On ne peut donc que conseiller aux contribuables soucieux de sécuriser leur situation sur ce point de briefer leurs proches ou leur personnel et de leur donner pour instruction (en adaptant les contrats et règlements de travail sur ce point) pour qu’ils sachent comment réagir en cas de visite inopinée des agents de l’administration en leur absence, les fonctionnaires taxateurs faisant souvent preuve d’une violence morale inacceptable en cas de refus de consentement.

La deuxième question est celle du retrait du consentement. S’il est donné, peut-il être retiré au cours de la visite ? La Cour de cassation vient de se prononcer sur point dans un arrêt du 16 juin 2023 et cet arrêt a clairement disposé que le contribuable, même s’il a donné dans un premier temps son consentement à une visite domiciliaire, peut le retirer à tout moment et que, si l’administration fiscale passe outre et emporter certains documents ou procède à certaines constatations, la procédure est illégale, ce qui invalide les cotisations établies en conséquence.

Notons qu’en l’espèce, le contribuable avait réussi à prouver qu’il s’était opposé à la visite en réalisant opportunément certains enregistrements qu’il avait pu produire en justice. Ce qui, à une époque où nous avons tous en poche un téléphone faisant également office d’enregistreur et de caméra, ne pose pas de problème pratique insurmontable.

Contrairement à ce qu’a considéré une certaine presse au moment de la parution de l’arrêt, il ne s’agit nullement de cautionner la fraude fiscale ou d’aider quelques fraudeurs, mais de faire en sorte de respecter la liberté fondamentale de l’inviolabilité du domicile d’innombrables innocents. La démocratie est à ce prix, et ce n’est pas cher payé.

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