Depuis quelques jours, les journaux économiques du pays se s’ont fait l’Echo, en ces temps très tendances sur la question, de négociations fédérales en cours visant à réintroduire un cadre de régularisation fiscale pour les contribuables indélicats. La question à se poser aujourd’hui est : pourquoi ? et surtout : est-ce une bonne idée ?
Pour rappel, la question n’est pas neuve : depuis 2003, quatre lois se sont succédées afin d’inciter les fraudeurs fiscaux à se repentir. L’idée originelle mise en place par l’ancien Ministre des Finances Didier Reynders était de pousser les belges qui disposent d’un patrimoine mobilier non déclaré à l’étranger à le rapatrier en Belgique pour le réinjecter dans notre économie. Contre paiement de l’impôt normalement dû et d’une amende, le contribuable recevait une immunité fiscale et pénale sur les fonds ainsi régularisés.
Avec le temps, deux autres procédures, la DLUbis, qui se voulait une procédure de régularisation permanente et uniforme sur tout le territoire belge entre 2005 et juillet 2013, puis la DLUter, applicable sur la seule période allant de juillet à décembre 2013, se sont succédées, chaque procédure abrogeant la précédente. A l’époque, seuls les revenus non fiscalement prescrits devaient être régularisés. La DLUter permettait par ailleurs de régulariser le capital prescrit lorsque celui-ci représentait un risque sur le plan pénal au regard, notamment, de l’infraction de blanchiment pouvant porter sur une fraude fiscale grave (à l’époque, organisée ou non).
Un vide juridique s’était instauré par la suite sur la période 2014 à juillet 2016. Le contribuable se rendait alors à l’ISI pour régulariser sa situation sur le plan administratif fiscal, sans pour autant bénéficier d’une immunité pénale.
Dans le courant du premier semestre 2016, dans le cadre des travaux parlementaires ayant débouchés sur la DLUquater, une idée nouvelle est apparue : pour « nettoyer » sa situation, le contribuable sera tenu de prouver la licéité de chaque centime, capital et revenus confondus, qu’il estime être « blanc ». C’est donc un véritable renversement de la charge de la preuve qui a été légalement institué : tout est noir, sauf à prouver le contraire. A défaut de prouver la licéité des sommes, l’entièreté de celles-ci fera l’objet d’un prélèvement : forfait sur le capital (36% en 2016, 37% en 2017, etc. jusqu’au taux maximum de 40% à compter du 1er janvier 2020) et amende d’un pourcentage de points de base sur les revenus non prescrits.
En pratique, cette procédure a été rapidement détournée de son objectif premier qu’était la régularisation de la fraude. En effet, à la suite de sa mise en place, certaines autorités au nord du pays ont profité des nouvelles conditions de la DLUquater pour considérer que les précédentes versions de DLUs étaient en réalité des régularisations « partielles », qui n’avaient pas tout « nettoyer ». L’attention était donc focalisée sur ceux qui avaient déjà régularisé leur situation suivant les règles précédentes (à savoir, sur les seuls revenus non prescrits). La Cour des comptes s’était même fendu d’un rapport en 2021 expliquant que les procédures de régularisations précédentes (DLU bis et ter) avaient permis de rapatrier 44 milliards d’argent sale, suivant un calcul dont on attend toujours la démonstration, mais qui est devenu un chiffre facile à répéter, sans pour autant le comprendre.
Dans le même temps, la Banque Nationale de Belgique, autorité de contrôle des établissements financiers dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, a adopté une circulaire en juin 2021, afin d’indiquer aux banques la manière dont elles auraient du traiter les rapatriement de fonds sur la base de règles qui existent depuis 1993, soit près de 30 ans plus tard !
Face aux risques de poursuites pour blanchiment encourus, la DLUquater est devenu un instrument incontournable pour tout qui souhaitait rapatrier des fonds de l’étranger : compte tenu de l’immunité fiscale et pénale qu’elle accordait, le secteur financier a largement poussé ses clients à introduire cette procédure, qu’il y ait fraude ou non, dès l’instant ou le client n’était pas en mesure de rapporter toutes les preuves matérielles de la licéité des fonds.
Un système initialement prévu pour lutter contre la fraude s’est ainsi rapidement transformé en bouclier pour les institutions financières, et en source de recettes inespérées pour l’Etat belge. Si, bien sûr, de « vrais » fraudeurs ont pu s’amender grâce à cette procédure, une part très conséquente des fonds régularisés portent sur des avoirs qui ne le nécessitaient pas d’un point de vue juridique.
Alors que penser d’une nouvelle mouture ? A ce stade, il apparait évident que le vide juridique laissé par la fin de la DLUquater, le 31 décembre 2023, ne sert personne. En juillet 2023, le Ministre des Finances Van Peteghem avait déclaré qu’une fois la DLUquater terminée, il suffirait de se rendre au parquet, qui ne relève pas de sa compétence mais bien du Ministre de la Justice, pour s’auto-dénoncer dans le cadre d’une procédure pénale, et conclure une transaction. A ce jour, la circulaire des Procureurs Généraux annoncée n’a toujours pas vu le jour et on le comprend : la mission du parquet ne consiste pas à proposer des transactions à des fraudeurs en quête d’absolution, mais bien à lutter contre les véritables activités criminelles qui frappent chaque jour notre pays, à commencer par la lutte contre les stupéfiants.
Par ailleurs, des déclarations spontanées à l’Inspection Spéciale des Impôts ne permettent pas de nettoyer des capitaux fiscalement prescrits : par définition, ces capitaux sont prescrits. En outre, payer l’impôt ne suffit pas à régler l’éventuel problème de blanchiment de la fraude fiscale. Ceci est d’autant plus vrai que l’infraction de blanchiment a été révisée par une loi du 18 janvier 2024, en vigueur depuis le 4 février 2024. Depuis lors, la moindre fraude fiscale, simple ou grave, est susceptible de blanchiment.
Le projet de DLU 5 en discussion semble être une version très proche de la DLUquater, avec une simple adaptation des taux de prélèvement à la hausse. Le 3e plan de lutte contre la fraude fiscale et sociale préparé fin 2023 prévoyait à titre d’exemple un taux de 45% sur les capitaux fiscalement prescrits. L’instauration d’une sorte de DLU 5 à l’époque avait été avortée, faute d’accord avec le PS et Ecolo.
Il est certain qu’un cadre juridique prend tout son sens, encore aujourd’hui, et que des règles claires sont préférables à pas de règles du tout. Mais il nous semble clair aussi que le nouveau gouvernement et le législateur devront prendre leur courage à deux mains et tenir compte des procédures du passé : dans un Etat de droit, cette procédure de régularisation doit viser ceux qui DOIVENT régulariser une situation problématique, et ne peut servir à réinterpréter des procédures proposées par ce même Etat par le passé, ou servir à sanctionner tout qui ne serait plus en mesure de démontrer la licéité de chaque centime accumulé durant toute une vie (voire plusieurs vies, à suivre la BNB, qui demande de remonter jusqu’à l’origine de la fortune, et donc, parfois, sur plusieurs générations).