Déclaration obligatoire des constructions transfrontalières (DAC 6): directive transposée

A partir du 1er juillet 2020, les conseillers et autres ‘intermédiaires’ devront communiquer aux autorités fiscales des informations sur certaines constructions (fiscales) transfrontalières. Ceci découle de la loi du 20 décembre 2019 qui transpose la directive 2018/822 du 25 mai 2018 (la « directive DAC 6 ») (publiée au Moniteur belge le 30 décembre 2019).


Il ne faut pas sous-estimer la portée de cette nouvelle obligation d’information. Tout d’abord, la liste des dispositifs à déclarer est très large : certaines structures tombant sous le coup de l’obligation de déclaration sont en effet définies en termes vagues et généraux, ce qui posera sans aucun doute beaucoup de problèmes (et de maux de tête) aux intermédiaires concernés. Deuxièmement, l’obligation de déclaration ne s’applique pas uniquement aux cabinets internationaux d’avocats ou de consultance (‘ Big Four’). D’autres intermédiaires (banques, experts-comptables, gestionnaires de fortune, réviseurs d’entreprises, asset managers de fonds d’investissement,…) doivent également « dénoncer » à l’administration fiscale dans certaines circonstances. Et dans certains cas, l’obligation de déclaration est même transférée sur les épaules du contribuable.


Le ministre des Finances a indiqué qu’une circulaire est en préparation, laquelle clarifiera un certain nombre d’aspects (Doc. Parl., 2019-20, n° 791/3, 17). Cette circulaire sera sans doute bien accueillie par les « intermédiaires » et les contribuables, étant donné les nombreuses (et inquiétantes !) zones grises et ambiguïtés qui entourent la loi de transposition.



Qui doit déclarer ?


Les personnes sur lesquelles repose l’obligation de déclaration sont visées par la notion d’ »intermédiaire » ( art. 326/1, 4° CIR 92). La loi de transposition se réfère à la directive DAC 6 pour la signification du terme « intermédiaire ».

D’après l’exposé des motifs (Chambre, 791/1, 9), la notion d’ « intermédiaire » doit être comprise de façon large, afin d’obliger « toute personne physique ou morale qui, d’une manière ou d’une autre, conçoit, propose, met en place un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en oeuvre ou en gère la mise en oeuvre » à signaler ce dispositif à l’autorité nationale compétente.


Promoteurs et fournisseurs de services


Dans l’Action BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) 12 de l’OCDE, il est fait une distinction entre « promoteur » et « fournisseur de services » (promoter et service provider). Les deux sont considérés comme des intermédiaires. La première catégorie (promoteur) comprend toute personne « qui, d’une manière ou d’une autre, conçoit, propose, met en place un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en oeuvre ou en gère la mise en oeuvre » (Chambre, 791/1, 9-10). Il s’agit à notre avis principalement de professionnels qui conçoivent et conseillent activement des structures fiscales pour leurs clients, comme l’avocat fiscaliste ou le conseiller fiscal qui se trouve à l’origine de la construction.


Contrairement à certaines idées reçues, les intermédiaires ne se limitent pas à certaines catégories professionnelles telles que les avocats, les conseillers fiscaux, les banquiers et les comptables. Supposons qu’une société belge (société holding, société de trésorerie,..) emploie des fiscalistes internes (“ in house tax team”) qui participent activement à la conception et à la mise en oeuvre de dispositifs transfrontières de sociétés étrangères du groupe. La société belge pourrait dans ce cas être selon moi considérée comme un « intermédiaire ».


La deuxième catégorie comprend, en substance, toute personne qui, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, fournit une aide, une assistance ou des conseils en ce qui concerne la conception ou la mise en oeuvre d’un dispositif à déclarer. Les comptables, réviseurs, les gestionnaires de fortune, les asset managers de fonds d’investissement, les avocats (spécialisés en droit des sociétés) qui mettent en place la structure, les banquiers, les notaires,… pourraient ainsi entrer dans cette seconde catégorie.


Il ressort de l’exposé des motifs (Chambre, 791/1, 10) qu’un certain degré d’implication est nécessaire. Par exemple, un comptable qui traite simplement une facture à des fins comptables ne sera pas considéré comme étant un intermédiaire. Pour la même raison, un avocat fiscaliste ou un conseiller fiscal qui vient seulement donner une « second opinion » sur un dispositif déclarable ne devrait pas être considéré comme un intermédiaire, sauf s’il « apporte, de quelque manière que ce soit, une contribution, une modification ou une suggestion en ce qui concerne le dispositif existant » (Chambre, 791/1, 15). A suivre l’exposé des motifs, l’auteur d’une « second opinion » pourrait donc bien être considéré comme intermédiaire, s’il fait quelques propositions (en vue de réduire les risques fiscaux) qui pourraient conduire à un (léger) ajustement du dispositif transfrontière en question. A cet égard, le fait que la proposition soit ou non effectivement mise en oeuvre par le contribuable importe peu, à notre avis, d’après une interprétation littérale de l’exposé des motifs.

Suivant l’exposé des motifs, les « considérations générales » ne sont pas non plus visées (Chambre, 791/1, 10).


On pourrait selon nous en déduire que si un client demande une consultation fiscale d’ordre général à un conseiller fiscal (par exemple, une comparaison du régime fiscal des holdings aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique), dans l’optique de la mise en oeuvre d’un dispositif transfrontière, le conseiller fiscal (du moins à ce stade) ne serait à notre avis pas un intermédiaire. Les analyses de risques telles que la simple exécution d’une due diligence (fiscale) en cas de rachat ne sont pas non plus visées (Chambre, 791/1, 10).


Exception pour les intermédiaires “ignorants” – le sort délicat des banques


Une exception est prévue pour chaque personne qui ne savait pas et ne pouvait raisonnablement pas savoir qu’elle était impliquée dans le dispositif soumis à l’obligation de déclaration. Pour prouver cela, cette personne peut mentionner tous les faits pertinents, les informations disponibles ainsi que son expertise et sa compréhension de ces faits (Chambre, 791/1, 16). Cette échappatoire pourrait à notre avis assez souvent jouer en pratique, notamment (par exemple) dans le cas des banques.


Les institutions financières prennent assez rarement une part « active » à la conception de dispositifs fiscaux agressifs. En effet, leur activité principale n’est pas de fournir à leurs clients des conseils fiscaux sous la forme traditionnelle. Elles n’entrent donc en général pas dans la première catégorie des « promoteurs ». L’intervention des banques se limitera généralement à des activités bancaires « accessoires » (octroi d’un prêt, ouverture d’un compte, transfert de fonds,…).


En pratique, les banques sont donc plus susceptibles d’appartenir à la deuxième catégorie des « prestataires de services ». La question-clé sera alors de savoir si la banque est consciente ou non du fait que le service qu’elle fournit s’inscrit dans le cadre d’un dispositif déclarable. A notre avis, sa qualité d’ « intermédiaire » devrait être écartée notamment si la banque ne fournit qu’un simple service de routine ou si elle n’a pas connaissance des implications fiscales du dispositif (la banque n’a pas reçu de tax opinion / tax memorandum,…). Cette échappatoire doit être appréciée au regard de l’absence d’obligation d’investigation active dans le chef de l’intermédiaire.


Pas d’obligation d’investigation active


L’intermédiaire n’a pas d’obligation de recherche active (Chambre, 791/1, 15). A mon estime, cela signifie qu’un intermédiaire (par exemple un banquier chargé d’effectuer une simple opération bancaire) n’est pas tenu de demander à son client des informations supplémentaires (qui pourraient éventuellement révéler l’existence d’un montage transfrontalier agressif à déclarer) si celles-ci ne sont pas nécessaires à l’exécution de son mandat.


Cette absence d’obligation de recherche active est particulièrement pertinente pour les « fournisseurs de services » (intermédiaires de la deuxième catégorie), qui ignorent parfois (ou n’ont pas besoin de savoir, dans le cadre de l’accomplissement de leur mission) que les services (auxiliaires) qu’ils fournissent contribuent à un dispositif déclarable. Nous pensons, par exemple, aux banques (qui doivent effectuer des transactions simples pour leurs clients), mais aussi aux comptables qui ne sont pas toujours conscients de toutes les (implications fiscales des) montages transfrontaliers de leurs clients. Cette absence d’obligation de recherche est moins pertinente pour les « promoteurs », qui conçoivent et mettent en oeuvre le dispositif transfrontière : ils doivent normalement savoir qu’il s’agit d’un dispositif devant être déclaré.

Selon l’exposé des motifs (Chambre, 791/1, 15), il est conseillé à l’intermédiaire, en particulier lorsque la structure « fait partie d’un ensemble (plus vaste) », d’informer le contribuable concerné de l’absence de toute obligation de recherche active et de l’obligation de ce dernier de déclarer lui-même si nécessaire.
Nous reviendrons ultérieurement sur les cas où le contribuable lui-même (et non l’intermédiaire) doit déclarer un montage déclarable au fisc.


Employés personnes physiques d’un intermédiaire personne morale


Quid de l’intermédiaire personne morale (par exemple un bureau de conseil fiscal ou une banque) qui emploie des collaborateurs ? D’après l’exposé des motifs, il faut alors supposer que ce n’est pas l’employé individuel (mais la personne morale) qui est considéré comme l’intermédiaire, dans la mesure où ces employés n’exercent pas une fonction de direction (Chambre, 791/1, 10).


Quels montages doivent être déclarés au fisc ?


Les intermédiaires ne sont pas tenus de déclarer tous leurs filons fiscaux juteux à l’administration fiscale. Seuls certains « dispositifs » « transfrontières » « agressifs » doivent être déclarés.


Dispositif


La notion de ‘dispositif’ n’est pas définie dans la loi de transposition ni dans la directive. Néanmoins, l’exposé des motifs indique que ce concept vise les structures de planification fiscale qui transfèrent les bénéfices imposables vers des régimes fiscaux plus favorables ou qui réduisent le fardeau fiscal global d’un contribuable (Chambre, 791/1, 8). Selon l’exposé des motifs, la simple passivité du contribuable concerné, d’un participant ou d’un intermédiaire, comme par exemple l’action unilatérale d’un service public, ne peut être considérée comme un dispositif (Chambre, 791/1, 7).


Qu’entend-on concrètement par « action unilatérale d’une autorité publique » ? Cela reste un mystère. L’application d’une tolérance administrative qui serait contra legem (par exemple le régime des cadres étrangers) pourrait, à notre avis, potentiellement être visée.

L’exposé des motifs montre également que la simple application d’un régime fiscal national, comme l’application de la déduction pour revenus d’innovation, ne peut être considérée comme une construction dans la mesure où l’application de ce régime fiscal ne fait pas partie d’un ensemble plus vaste d’étapes ou de parties qui, dans leur ensemble, peuvent être considérées comme un dispositif (Chambre, 791/1, 7).


Dispositif transfrontière


En ce qui concerne la notion de « dispositif transfrontière » (art. 326/1, 1° CIR), la loi de transposition renvoie à la directive DAC 6. Il s’agit d’une structure impliquant soit plus d’un État membre, soit un État membre et un pays tiers, lorsqu’un ou plusieurs des participants au dispositif : ne sont pas résidents à des fins fiscales dans la même juridiction ou dans plusieurs juridictions simultanément ; exercent une activité dans une autre juridiction par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé, le dispositif constituant une partie ou la totalité de l'activité de cet établissement stable; exercent une activité dans une autre juridiction sans y résider à des fins fiscales, ni y créer un établissement stable

En outre, il peut également être question d’un « dispositif transfrontière » lorsqu’un tel dispositif peut avoir une incidence sur l’échange automatique d’informations ou sur l’identification des bénéficiaires effectifs.

Il ressort de l’exposé des motifs que les dispositifs qui ne sont réalisés que dans un État membre ne sont pas envisagés. Le fait que l’intermédiaire soit situé dans un autre État membre n’est pas pertinent ici (dès lors qu’il ne jouerait pas un rôle actif dans la construction). Ceci est illustré dans l’exposé des motifs par l’exemple d’un Belge souscrivant à une police d’assurance-vie de la branche 23 (Chambre, 791/1, 9). Selon l’exposé des motifs, il n’y a pas de dispositif transfrontière, puisque la branche 23 elle-même n’est pas un participant : une branche 23 n’a pas de résidence fiscale et n’exerce aucune activité. Cela ne nous semble toutefois pas aller de soi. Pourquoi la compagnie d’assurance luxembourgeoise (au lieu de la branche 23) ne pourrait-elle pas être qualifiée de « participant » ? Si la compagnie d’assurance est bien considérée comme un « participant », il pourrait bien y avoir un dispositif transfrontière puisque les participants – le particulier et la compagnie d’assurance – sont situés dans deux États différents. Sans doute les auteurs de l’exposé des motifs supposent-ils que la compagnie d’assurance agit uniquement en tant qu' »intermédiaire » (et non en tant que « participant »), puisque la commercialisation des contrats d'assurance fait partie de son "core-business"

Cette interprétation semble être soutenue par un autre passage de l’exposé des motifs : « A l’inverse, le simple octroi d’un crédit en tant qu’activité professionnelle du prêteur ne fait pas de celui-ci un participant » (Chambre, 791/1, 8). Il nous paraît douteux que cette interprétation minimaliste de la notion de « participant » soit acceptée par les autorités fiscales (et judiciaires).


Dans le cadre de l’examen du projet de loi par la Commission des Finances, le ministre des Finances a indiqué que « une simple assurance-vie de la branche 23 luxembourgeoise ou étrangère ne répond pas à la définition en vigueur d’un dispositif fiscal agressif », sauf si « cette assurance-vie fait partie d’autres éléments liés à un dispositif fiscal agressif plus large » (Chambre, 791/3, 18).

En outre, il est également précisé que la donation d’un bien immobilier situé à l’étranger entre deux personnes physiques, résidents fiscaux belges, ne doit pas être considérée comme un dispositif transfrontière puisque le bien immeuble n’est pas un participant (Chambre, 791/1, 8).


Dispositif agressif


Ni la directive DAC 6 ni la loi ne définissent la notion de montage « agressif ». Pour pouvoir déterminer si un dispositif transfrontière est « agressif », il faut examiner s’il présente au moins un des « marqueurs » énumérés à l’article 326/2 CIR 92. Un marqueur est considéré comme une indication d’un risque possible d’évasion fiscale. Pour la définition des marqueurs, la loi renvoie aux définitions figurant à l’Annexe 4 de la directive DAC 6.


Les marqueurs peuvent être divisés en cinq catégories : la catégorie A contient les marqueurs généraux liés au critère de « l’avantage principal » (« main benefit test »), la catégorie B contient les marqueurs spécifiques liés au critère de l’avantage principal susmentionné, la catégorie C contient les marqueurs spécifiques concernant les opérations transfrontières, la catégorie D contient les marqueurs spécifiques concernant l’échange automatique d’informations et les bénéficiaires effectifs, et la catégorie E contient les marqueurs spécifiques concernant les prix de transfert. Nous nous bornerons, dans les lignes qui suivent, à formuler quelques commentaires relativement à ces marqueurs.


Il est frappant de constater que plusieurs marqueurs sont définis en termes vagues et généraux. Nous pensons en particulier à l’utilisation de dispositifs standardisés (marqueur de la catégorie A. 3 : dispositifs commercialisables, qui utilisent des documents standardisés et sont donc disponibles pour plus d’un contribuable sans qu’il soit nécessaire de procéder à des ajustements substantiels pour la mise en oeuvre), ou à la conversion-transformation de revenus imposables en des revenus exonérés ou moins imposés (marqueur B.2 : dispositif qui a pour effet de convertir des revenus en capital, en dons ou en d’autres catégories de revenus qui sont imposés à un taux inférieur ou exonérés d’impôt). Il est donc regrettable que l’exposé des motifs ne fournisse quasiment aucun éclairage à propos (des types de montages relevant) de ces marqueurs (Chambre, 791/1, 11 – 15).


Par exemple, il est à noter que les documents et structures normalisés, tels que mentionnés dans la catégorie A.3, ne renvoient en aucune façon à des documents de travail internes qui reflètent simplement des idées ou concepts inachevés (Chambre, 791/1, 12-13). En outre, l’exposé des motifs ne comporte pas d’exemples pratiques. Cela ne favorise pas la sécurité juridique. Cela implique que les intermédiaires (et les contribuables) se retrouvent avec de nombreuses questions pour le moment. Ils devront donc se faire leur propre opinion à propos de l’interprétation à conférer à tous ces marqueurs … ce qui leur donnera sans aucun doute beaucoup de maux de tête. Il est à espérer que la circulaire annoncée par le ministre des Finances (Chambre, 791/3, 17) précisera les contours de ces marqueurs au moyen d’exemples concrets.


On peut se réjouir du fait que les travaux et documents parlementaires d’autres États membres de l’UE (comme l’Allemagne et les Pays-Bas) contiennent eux de nombreuses informations utiles sur ces marqueurs. Pour cette raison, nous reviendrons sur ces marqueurs dans une prochaine contribution.


La déclaration : quoi et dans quel délai?

Délai de 30 jours


La loi de transposition renvoie à la directive DAC 6 pour les modalités de l’obligation de déclaration. Conformément à l’article 326/3 du CIR 92, tout intermédiaire doit fournir aux autorités fiscales certaines informations dont il a connaissance, et qu’il possède ou qu’il contrôle, concernant les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, dans les 30 jours à compter du moment mentionné ci-dessous, suivant celui qui survient le premier : le lendemain du jour de la mise à disposition aux fins de mise en oeuvre du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration à déclaration ; ou le lendemain du jour où le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration est prêt à être mis en oeuvre ; ou lorsque la première étape de la mise en oeuvre du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration a été accomplie.


En pratique, il y aura sans aucun doute beaucoup de discussions sur la date à partir de laquelle la période de 30 jours commencera à courir. Supposons qu’un conseiller fiscal ou qu’un avocat fiscaliste donne à un client des conseils détaillés sur un dispositif transfrontalier agressif déclarable. Le délai commence-t-il à courir dès l’envoi de la consultation, peu importe que le client réalise ou non le montage ? D’après l’exposé des motifs, cela semble être le cas. En effet, il y est dit que la déclaration d’informations sur les dispositifs transfrontières de planification fiscale est (plus) efficace si les autorités fiscales reçoivent les informations pertinentes à un stade précoce, c’est-à-dire « avant que ces dispositifs ne soient effectivement mis en oeuvre » (Chambre, 791/1, 16).


Toujours selon l’exposé des motifs, cette réception rapide des informations permettrait également aux autorités fiscales d’ouvrir un dialogue avec l’intermédiaire et/ou le contribuable concerné afin d’empêcher la réalisation de certains dispositifs (Chambre, 791/1, 16). Il ne peut donc pas être exclu qu’un fonctionnaire fiscal vienne à contacter un intermédiaire (conseiller fiscal/avocat fiscal) peu après avoir reçu les informations sur un dispositif transfrontière (par hypothèse avant la mise en oeuvre du dispositif) pour l’informer que l’administration pourrait contester le dispositif, par exemple sur la base de dispositions anti-abus (spécifiques), s’il venait à être mis en oeuvre. Ceci est une bonne illustration de l’effet dissuasif de l’obligation de déclaration ! En tout état de cause, le délai de 30 jours commencera à notre avis à courir à partir du jour où tous les éléments sont réunis pour réaliser la construction et où le contribuable est suffisamment informé pour pouvoir décider de la construction. Cela ressort de l’Action BEPS 12.


Quelles données doivent être communiquées au fisc ?


La loi de transposition renvoie également à la directive DAC 6 pour ce qui concerne les différentes sortes d’informations qui doivent être fournies au fisc (art. 338, § 6/4, CIR 92). Force est de constater qu’une large palette d’informations (relativement au dispositif, au contribuable, aux intermédiaires impliqués,…) doit être communiquée à l’administration fiscale.

Il est remarquable de constater que le rapportage de certaines informations doit non seulement être fait dans l’une des langues officielles de la Belgique, mais également en anglais (art. 326/10 CIR 92). Au cours des débats en Commission des Finances, le ministre des Finances a même précisé qu’une traduction erronée sera considérée comme une déclaration incomplète, passible de sanctions administratives (Chambre, 791/3, 18).


Une chose est sûre : les intermédiaires doivent s’organiser en interne pour faire face à ces nouvelles obligations déclaratives. On songe, par exemple, à l’organisation de formations, à l’adaptation des systèmes informatiques,… Il ne serait guère étonnant de voir fleurir de nouveaux services de compliance dédiés à DAC6 dans les banques, les big four, les cabinets d’avocats internationaux,…


Exemption de l’obligation de déclaration


Un intermédiaire peut être exempté de son obligation de déclaration sous certaines conditions.
Plus d’un intermédiaire Lorsque plusieurs intermédiaires interviennent dans un même dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, tous les intermédiaires concernés doivent en principe fournir les informations sur le dispositif. Toutefois, un intermédiaire est dispensé de son obligation de déclaration s’il peut apporter la preuve écrite qu’un autre intermédiaire a déjà fourni les informations (visées à l’art. précité 338, § 6/4, CIR 92) (art. 326/6 CIR 92).


Suivant l’exposé des motifs, cette « preuve écrite » sera remplie si un intermédiaire (qui n’a, par hypothèse, pas déclaré le dispositif) fournit le « numéro de référence unique » (ainsi que le résumé concernant le dispositif rapporté) qui aura été attribué par les autorités fiscales à l’intermédiaire qui a procédé à la déclaration du dispositif (Chambre, 791/1, 18).

Suivant l’article 326/5 CIR 92, c’est à l’intermédiaire « déclarant » (c’est-à-dire celui qui reçoit le numéro de référence unique des autorités compétentes, suite à la déclaration du dispositif) qu’incombe l’obligation de communiquer immédiatement le numéro de référence unique, ainsi que le résumé concernant le dispositif rapporté, aux autres intermédiaires impliqués ainsi qu’au contribuable concerné.

Il ressort de l’exposé des motifs qu’il importe peu que la déclaration du dispositif ait été faite en Belgique ou dans un autre État membre (Chambre, 791/1, 18). Autrement dit, un intermédiaire belge pourra être dispensé de son obligation déclarative s’il peut apporter la preuve écrite qu’un autre intermédiaire, établi par exemple en France ou au Luxembourg, a procédé à la déclaration du dispositif dans son Etat de résidence.


Secret professionnel


Il n’y a pas d’obligation de déclaration lorsqu’un intermédiaire est lié par le secret professionnel. Dans ce cas, l’intermédiaire est tenu d’informer par écrit le(s) autre(s) intermédiaire(s) concerné(s), en indiquant les raisons pour lesquelles il ne peut pas se conformer à l’obligation de déclaration, ce qui a pour conséquence de faire automatiquement reposer l’obligation de déclaration sur le(s) autre(s) intermédiaire(s). En l’absence d’un autre intermédiaire, il doit informer par écrit le contribuable de son obligation de déclarer, en indiquant les raisons (art. 326/7, § 1, CIR 92). Le contribuable peut toujours permettre à l’intermédiaire de se conformer à son obligation de déclaration (art. 326/7, § 2, CIR 92) par consentement écrit.

L’exposé des motifs ajoute que le secret professionnel ne s’applique que lorsqu’il s’agit de défendre un contribuable dans une action en justice ou de déterminer la situation juridique du contribuable. Cette approche est conforme à l’exception à l’obligation de déclaration prévue par l’article 53 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux (Chambre, 791/1, 19).


Qu’en est-il d’un avocat qui conseille un client dans le cadre d’un dispositif transfrontière agressif ? Est-ce que cela équivaut à la « détermination d’une situation juridique » ? La réponse n’est pas évidente. Selon l’exposé des motifs, une dérogation à l’obligation de déclaration ne s’appliquerait pas lors de la conception ou du conseil d’un dispositif transfrontière agressif. Cela s’explique par le fait que, dans cette hypothèse (conseil sur une éventuelle construction future), aucun secret n’est confié à l’intermédiaire par son client (Chambre, 791/1, 19). Cette interprétation stricte pourrait, à notre avis, impliquer que cette exception à l’obligation de déclaration reste lettre morte en pratique.

Reste à savoir si cette interprétation « minimaliste » du secret professionnel sera acceptée par la Cour constitutionnelle (voy. à cet égard L. VAN HEESWIJCK, “DAC6 : het einde van het beroepsgeheim in fiscale zaken?”, T.F.R., 2019, n° 560, p. 377). Dans l’exposé des motifs, il est même remarqué qu’un droit général de non-divulgation ne peut être la règle car cela éroderait complètement l’obligation de déclaration (Chambre, 791/1, 21).


Par souci de clarté, ce n’est pas seulement le secret professionnel des avocats (comme dans certains autres pays de l’UE) qui est en cause, mais celui de tous les intermédiaires, y compris les professionnels du chiffre. Cela n’est pas explicitement énoncé dans la loi, mais ressort de sa formulation générale, de l’analogie explicite avec la législation sur le blanchiment d’argent et de la référence dans l’exposé des motifs aux « différents groupes professionnels » et de la nécessité d’une égalité de traitement entre tous les intermédiaires, « qui fournissent exactement les mêmes services à cet égard » (Chambre, 791/1, 21). Cette interprétation est également étayée par l’examen du projet de loi par la Commission des Finances. Le ministre des Finances a clairement indiqué qu’un intermédiaire (le ministre cite les notaires, les avocats, les comptables, etc.) peut être empêché de déclarer par son secret professionnel dans un cas particulier.


Mais le ministre a aussitôt précisé que cette situation (dans laquelle la déclaration devrait finalement se faire par le contribuable) devrait être l’exception (Chambre, 791/3, 20).


Obligation de déclaration du contribuable concerné


Dans certains cas, l’obligation de déclarer est transférée au contribuable, en particulier quand : aucun intermédiaire n’était impliqué. Nous pensons à la situation où le contribuable (par exemple, une PME belge) conçoit et implémente « en interne » (par le biais de son équipe de fiscalistes – employés chez le contribuable) un dispositif transfrontalier agressif (sans avoir recours à des avocats/conseillers fiscaux,…). Autre exemple : le contribuable a recours à un intermédiaire qui n’est pas établi dans l’UE (par exemple, le contribuable travaille avec un cabinet d’avocats ou de conseil en Suisse ou aux Etats-Unis) ; l’intermédiaire est dispensé de l’obligation de déclaration en raison de son secret professionnel et il a informé le contribuable concerné de son obligation de déclaration (art. 326/8 CIR 92).


Sanctions


Selon la loi, la communication incomplète d’informations est passible d’une amende de 1.250 à 12.500 euros. Le fait de ne pas fournir les informations ou de les fournir tardivement est passible d’une amende de 5.000 à 50.000 euros. Une amende de 12.500 à 100.000 euros est infligée pour de telles infractions commises avec une intention frauduleuse ou avec l’intention de causer un dommage (article 445, § 4, CIR 92).


Transposition de la Directive DAC 6 dans les différents Codes fiscaux


La loi transpose la Directive DAC 6 non seulement dans le Code des impôts sur le revenu, mais aussi dans d’autres codes fiscaux (Code des droits et taxes divers, Code des droits de succession, Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe).


Entrée en vigueur au 1er juillet 2020


La loi de transposition de la Directive DAC 6 entrera en vigueur le 1er juillet 2020.

Toutefois, la loi (conformément à la Directive DAC 6) prescrit que les informations relatives aux dispositifs devant faire l’objet d’une déclaration doivent être communiquées dès lors que la première étape du dispositif a été mise en oeuvre entre le 25 juin 2018 et le 1er juillet 2020. Ces informations doivent être fournies au plus tard le 31 août 2020 (art. 61 de la loi).


Compte tenu de cet effet rétroactif, la loi prévoit que les sanctions ne s’appliqueront pas aux infractions en lien avec de tels dispositifs si ceux-ci sont déclarés avant le 31 décembre 2020.


Denis-Emmanuel Philippe
Avocat-associé (Bloom-Law), maître de conférences à l’Université de Liège


Source : Bloom-La, Actualités, 11/02/2020

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