Le régime de détention préventive en matière de douanes et accises déroge au régime de droit commun, organisé par la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive. Cette différence se marque notamment en ce qui concerne la motivation du mandat d’arrêt, l’absence de contrôle de la légalité du mandat d’arrêt, contrôle du maintien de la détention préventive par une juridiction, autre que celle qui a ordonné la détention préventive.
Constatant cette différence, un juge d’instruction du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, saisi par le procureur du Roi d’une demande de délivrance d’un mandat d’arrêt à charge de cinq personnes en matière de douanes et accises décida de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle. Cette question porte sur la compatibilité des dispositions en matière de détention préventive en droit de douanes et accises avec les articles 10 et 11 de la constitution, lus en combinaison avec l’article 5, § 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que ces dispositions n’offrent pas aux personnes qui font l’objet d’une détention préventive pour une infraction en matière de douanes et accises les mêmes droits et garanties qu’aux personnes qui font l’objet d’une détention préventive pour une infraction pénale de droit commun.
A juste titre, la Cour constitutionnelle admet la recevabilité de la question préjudicielle au motif qu’il se déduit de l’objectif poursuivi par l’instauration de la procédure préjudicielle qu’il convient de donner une interprétation large à la notion de juridiction.
La Cour constitutionnelle précise que mêmes si les décisions du juge d’instruction ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée, elles participent de l’exercice de la fonction juridictionnelle et s’inscrivent dans le cadre d’une procédure judicaire. Ce constat vaut a fortiori dans le cadre de la délivrance d’un mandat d’arrêt.
Avant d’examiner la compatibilité de ce régime au regard des principes d’égalité, la Cour constitutionnelle s’interroge sur la raison d’être de ce régime dérogatoire en matière de droits de douanes et accises.
La Cour constate qu’il ressort des travaux préparatoires du projet qui est devenu la loi du 20 juillet 1990 que la section de législation du Conseil d’Etat avait recommandé au législateur de modifier la loi générale sur les droits de douanes et accises avant de faire appliquer la nouvelle loi sur la détention préventive aux poursuites du chef d’infractions en matière de douanes et accises.
Lors de l’adoption de la loi du 20 juillet 1990, le ministre de la justice et la commission de la justice, qui avaient travaillé sur le projet de réforme, souhaitaient rendre le nouveau régime applicable en matière de douanes et accises, mais cette intention n’a pu être concrétisée en raison de la réforme de la législation sur les douanes et accises qu’un tel régime imposait et que ne souhaitait pas le ministre des finances en fonction à l’époque.
La Cour constitutionnelle en conclut que le maintien d’un régime de détention préventive spécifique dans le cadre d’infractions en matière de douanes et accises n’est pas justifié par la volonté de principe du législateur de conserver deux régimes distincts mais uniquement par la nécessité d’une réforme de la législation sur les droits de douanes et accises que ne souhaitait pas le ministre compétent de l’époque.
Les différences de traitement qui en résultent sont, dès lors, fondées sur un critère de distinction qui, selon la volonté du législateur de l’époque, étaient appelées à disparaître dès que la législation sur les douanes et accises serait réformée.
C’est au législateur, selon la Cour constitutionnelle, qu’il appartient de décider de l’opportunité d’une réforme globale de la loi sur les droits de douanes et accises qui permettrait de tenir compte des principes et garanties établis par la réforme de la détention préventive en 1990.
En conclusion, la Cour doit, dès lors, examiner si les différences de traitement critiquées n’entraînent pas des effets disproportionnés pour les personnes qui sont soumises au régime de détention préventive en matière de douanes et accises tel qu’il existe aujourd’hui.
En matière de droit de douanes et accises, la loi prévoit la possibilité pour les agents de mettre en état d’arrestation préventive les fraudeurs pour les infractions devant entraîner l’application de la peine d’emprisonnement.
En ce qui concerne les conditions de délivrance d’un mandat d’arrêt, la Cour constitutionnelle considère que la différence de traitement en matière de droits de douanes et accises et en droit commun est inexistante.
Elle se fonde notamment sur les considérations suivantes :
D’après le juge d’instruction, cette absence de contrôle juridictionnel serait incompatible avec l’article 5, § 4 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette disposition autorise toute personne privée de liberté d’introduire un recours devant un tribunal. Un système de contrôle périodique et automatique de la légalité de la détention à intervalle régulier est toutefois compatible avec cette disposition.
Sur ce point, la Cour constitutionnelle constate que la procédure en matière de droits de douanes et accises fournit des garanties équivalentes au droit commun dans la mesure où notamment, la loi générale sur les droits de douanes et accises prévoit que la personne mise en détention préventive a la possibilité d’introduire une demande de mise en liberté provisoire devant les juridictions pénales, conformément aux dispositions du code d’instruction criminelle, comme l’a jugé la Cour de cassation a diverses reprises.
La Cour constate, en outre, que la loi générale sur les douanes et accises prévoit que l’individu arrêté à la possibilité, dans un délai de quatorze jours après son arrestation, d’introduire une action devant le tribunal correctionnel. Si aucune action n’a été portée devant le tribunal correctionnel endéans ce délai, le procureur du Roi sera tenu de mettre en liberté sur le champ mais provisoirement, l’individu arrêté.
La durée entre l’arrestation de la personne et la saisine du tribunal correctionnel est strictement limitée et ne peut donc atteindre un mois comme en droit commun. Il est dès lors cohérent de ne pas prévoir, en cette matière, un contrôle systématique de mois en mois. Une telle mesure n’entraîne dès lors, selon la Cour, pas une limitation disproportionnée des droits des intéressés.
Comme la Cour l’a rappelé dans son arrêt, afin que ces personnes puissent bénéficier de l’ensemble des garanties énoncées dans la loi sur la détention préventive en matière de droit commun, il faut attendre une réforme générale de la loi sur les droits de douanes et accises par le législateur.