L’image que nous voulons façonner des États-Unis est le produit d’Hollywood et de son soft power. En vérité, la vie là-bas est très différente. Elle est, par exemple, très locale et communautaire. Il est vrai que les grandes villes sont des pôles d'attraction magnétiques, mais en réalité, la vie découle directement de la logique des églises protestantes, multiples d’ailleurs : elle est de nature congrégationaliste.
Dans chaque ville, on voit une multitude d’églises et de cultes différents, y compris des temples maçonniques qui ne sont pas occultés, comme c’est souvent le cas en Europe.
Je me souviens d’ailleurs que dans l’université où j’ai étudié, il y avait, outre son propre aéroport, plus de trente églises.
Le christianisme y est dominant, mais sous forme réformée, avec une prépondérance des baptistes, méthodistes, luthériens et évangéliques.
Le baptisme domine, et il est d’origine calviniste.
Il est important de le souligner, car la Réforme religieuse du XVIe siècle en Europe a conduit à deux courants : la réforme des paysans, animée par Martin Luther, qui s’est surtout développée en Allemagne et dans les pays nordiques, et la réforme bourgeoise et mercantile, émanant de Genève avec Jean Calvin, qui s’est étendue aux Pays-Bas, (dans une certaine mesure) en Angleterre, et ensuite aux États-Unis, avec l’acte fondateur des passagers du Mayflower.
Cette réalité religieuse est fondamentale pour comprendre les États-Unis, car elle les divise, en pointillé, entre le Nord et le Sud, avec des réminiscences de l'esclavage, de la guerre de Sécession, de la ségrégation et des postures morales.
Partant de là, on comprend mieux la rigueur que certains souhaitent imposer, notamment avec une restriction des droits des femmes, ce qui n’est pas surprenant, car cela reflète, en vérité, celle de l’Église catholique. Au reste, si Trump est sans doute peu animé d’une spiritualité rigoureuse, ce n’est pas le cas de Vance, un catholique bigot, d’un obscurantisme comparable à celui de Pence, son ancien vice-président, un chrétien évangélique qui ne croyait pas à la théorie de l’évolution.
Cette influence de la religion est aussi le reflet de la nécessité d’un ancrage spirituel, comme l’est la famille, dans un système économique qui est dur, intranquille et exige chaque jour de démontrer son pouvoir économique … dans la logique calviniste de la prédestination.
Et un petit souvenir familial : ma famille offrit un vitrail dans l’église de Saint John Berchmans Church à Chicago. En regardant bien, vous verrez qu’il est écrit Dejonghe, le nom de famille de mon arrière-grand-mère américaine.
Et un petit complément : ma famille américaine n’a pas seulement laissé un vitrail à Chicago, mais aussi une recette servie dans les meilleurs restaurants, appelée les "shrimps" (ce sont des scampis) De Jonghe.
On les sert de New York à Chicago (et à Washington d’où provient la photo d’une carte de restaurant qu’un de mes amis a prise il y a quelques semaines) et dans de nombreux endroits.
C’est une recette que mes arrière-grands-parents, qui s’étaient imposés dans le meilleur hôtel de Chicago, où Rockefeller descendait, ont créée en transposant la recette des cuisses de grenouilles aux scampis.
J’en ai déjà mangé : il y a de l’ail, de la chapelure, et c’est… calorique.
La recette se trouve sur Wikipédia.
Mais alors, pourquoi une migration en Belgique après ces succès culinaires ? Parce que ma famille vivait à Chicago, et que pendant la prohibition, il était interdit de servir de l’alcool, ce qui était difficile dans cette ville où la mafia dominait.
Mon arrière-grand-père servait de l’alcool dans des tasses de café, mais un policier en civil l’a surpris.
Il écopa, malgré de nombreuses demandes de circonstances atténuantes et de mansuétude, d’un an de retrait de licence d’hôtel.
Son frère quitta Chicago pour finir ses jours en Arizona.
Lui, il retourna en Belgique, puis en France, pour mourir sur les routes de l’exode en évacuation en 1941. Au terme de la guerre, mon grands-père maternel exhuma le cadavre pour lui donner une sépulture décente.
Il est enterré dans le vieux cimetière de Menton.
Nous nous plaignons des temps houleux : les siens furent dramatiques.
Et personne ne sait, en mangeant ces scampis, à 6 000 km de la Belgique, et sans doute à l’instant, qu’il y a un pionnier, un entrepreneur forcené : mon arrière-grand-père.
Il avait, comme on dit : « the right stuff ».