Aujourd'hui, on manifeste à nouveau contre les plans de réforme du gouvernement fédéral. Les syndicats s'attendent à la plus grande manifestation en onze ans. Diverses raisons ont été avancées pour manifester, mais le fil rouge semble être : « contre le démantèlement social de ce gouvernement ».
La raison principale de la manifestation semble être le démantèlement social par ce gouvernement. Cela ignore le fait que les dépenses sociales publiques dans notre pays sont en augmentation depuis des décennies, et qu'elles continueront de l'être dans les années à venir (même avec les plans de réforme actuels). Au début des années 70, les dépenses sociales publiques dans notre pays s'élevaient à environ 14% du PIB. Ce chiffre a rapidement grimpé à 23% au début des années 80. Après l'exercice d'assainissement de la première moitié des années 80, ces dépenses sociales sont remontées de 20% du PIB en 1990 à 26% aujourd'hui. Les plans de réforme actuels visent principalement à freiner cette augmentation. Et ce, via des mesures qui existent déjà depuis longtemps dans la plupart des autres pays industrialisés (et que nous aurions dû prendre nous-mêmes il y a des années), telles que la limitation des allocations de chômage dans le temps et un système de bonus/malus dans le calcul des pensions. Il ne s'agit pas de « démantèlement social », mais avant tout de préserver notre État-providence pour l'avenir.
Il y a peu de discussion sur le fait que le gouvernement fédéral doit prendre des mesures pour redresser un peu le budget (bien qu'il y ait discussion sur l'ampleur des interventions nécessaires). Du côté de la manifestation, on se tourne surtout vers des revenus supplémentaires, comme une taxe des millionnaires et la suppression de divers allégements de charges (ce qui équivaut à une augmentation de l'impôt sur le travail). Cela ignore le fait que nous avons déjà aujourd'hui parmi les recettes et dépenses publiques les plus élevées d'Europe. Si nous voulons combler le défi budgétaire de 20 milliards avec des revenus supplémentaires, nous devrons atteindre la pression fiscale totale la plus élevée d'Europe. Pour ce faire, tous les impôts devraient être augmentés de 7%. Cela causerait inévitablement des dommages importants à notre économie (ce qui entraînerait une baisse des revenus, et donc une nécessité d'augmenter encore les impôts).
Aujourd'hui, l'État belge dépense environ 13% du PIB en pensions. C'est nettement plus élevé que la moyenne européenne, mais certainement pas parmi les plus élevés d'Europe. Mais sans intervention, cette facture des pensions dans notre pays augmenterait plus fortement que dans la plupart des autres pays européens. À terme, nous aurions ainsi parmi les dépenses de pensions les plus élevées d'Europe. Et ce, alors que le vieillissement de la population dans notre pays reste plus limité que dans la plupart des autres pays. Et pendant ce temps, en Belgique, nous continuons en moyenne à cesser de travailler remarquablement tôt et nous avons parmi les carrières moyennes les plus courtes d'Europe. Cela est aussi lié au fait que cesser de travailler plus tôt est implicitement encouragé financièrement parce que, dans de nombreux cas, arrêter un an plus tôt (et donc payer moins de cotisations et bénéficier plus longtemps d'allocations) est plus intéressant que les droits de pension supplémentaires qui peuvent être accumulés en travaillant un an de plus. Avec le bonus/malus, le gouvernement tente de s'attaquer à cette distorsion. L'objectif n'est pas de punir les gens, ou de « voler » leur pension, mais bien d'inciter davantage de personnes à travailler plus longtemps.
Pour des revenus supplémentaires, on se tourne surtout vers les « épaules les plus fortes », et il est assez facilement affirmé que le capital et/ou le patrimoine ne contribuent pas suffisamment aux recettes fiscales. Cela ignore le fait qu'en Belgique, nous sommes déjà aujourd'hui dans le top trois européen en termes de recettes totales provenant de toutes sortes d'impôts sur le capital, et que nous avons la deuxième pression fiscale totale la plus lourde sur le capital. De profondes réformes sont certainement possibles dans la manière dont nous organisons ces impôts sur le capital dans notre pays pour rendre le système plus efficace, mais l'idée que nous puissions tirer de ces impôts sur le capital plusieurs milliards de revenus supplémentaires est une illusion.
Peu surprenant, les syndicats ont plaidé hier à nouveau pour des salaires nettement plus élevés (notamment via la suppression de la norme salariale). Ces salaires plus élevés devraient même résoudre les problèmes budgétaires, car des salaires plus élevés signifient aussi des recettes fiscales plus élevées. Ce raisonnement ignore de manière remarquablement facile le fait que quelqu'un doit évidemment aussi payer ces salaires. Nous avons déjà aujourd'hui parmi les salaires horaires les plus élevés d'Europe, et de nombreuses entreprises sont toujours aux prises avec les fortes augmentations salariales des dernières années (avec environ 20% via l'indexation automatique des salaires). Une nouvelle forte augmentation des salaires (en plus de l'inflation) porterait un nouveau coup à la position concurrentielle déjà fragile de nos entreprises, avec d'importantes conséquences négatives pour notre économie et l'emploi. La meilleure façon de réaliser plus de pouvoir d'achat est par une croissance économique plus forte qui peut ensuite se traduire par des salaires plus élevés (l'inverse ne fonctionne pas).
La douloureuse réalité est que les plans de réforme actuels ne sont qu'un premier pas, et que des efforts supplémentaires seront nécessaires dans les années à venir pour préserver l'avenir de notre État-providence. Affaiblir (ou arrêter) les réformes sous la pression des manifestants augmenterait la vulnérabilité de notre État-providence à long terme. Ce n'est pas une option.