Au début du XIXe siècle, l'embrasement du capitalisme moderne et des besoins en capitaux longs a été provoqué par la révolution industrielle, elle-même fondée sur la division du travail et sur la démultiplication de la force humaine par la machine. Cette révolution et le capitalisme sont indissociables, car leurs émergences correspondirent au désenclavement d'un contexte traditionnel de relations sociales. Sous l'angle technologique, son démarrage coïncide avec l'invention de la machine à vapeur de James Watt (1736-1819).
Le décollage du capitalisme est donc consubstantiel à la révolution industrielle qui a transformé le système féodal et agricole au sein duquel les paysans étaient essentiellement payés en denrées alimentaires en un système exigeant du capital pour concentrer l'investissement des propriétaires des moyens de production et de la monnaie pour payer les travailleurs. Ces derniers sont devenus les marchands « monétaires » de leur propre travail, alors qu'auparavant ils possédaient leur outil de travail agricole ou d'atelier. La délimitation de la propriété privée terrienne est d'ailleurs un des attributs de la révolution industrielle, tout comme l'amplification du salariat est liée à la dynamique du capitalisme.
Alors qu'auparavant le produit du travail était rapidement échangé dans le cadre d'une économie agricole, les investissements requis par la production industrielle ont nécessité l'alimentation d'un stock de capital, c'est-à-dire de signes monétaires, qui se traduisit par l'émergence progressive de la monnaie papier, représentative de valeur, en remplacement de la monnaie-valeur. Aucune autre œuvre que celle d'Émile Zola ne traduit mieux cette stupéfiante et rapide mutation de la société française qui repose sur la dichotomie émergente entre le capital (La Curée de 1872 et L'Argent de 1891) et le travail (Germinal de 1885). Quand on lit l'œuvre d'Émile Zola, on comprend d'ailleurs combien l'ordre monétaire et marchand est le successeur de l'ordre féodal et militaire. La révolution industrielle a suscité la coexistence d'une épouvantable misère et d'une richesse indécente.
La nature du temps (et de la monnaie) en a été profondément modifiée : saisonnier, et donc cyclique, il est devenu linéaire dans le cadre de la production manufacturière. La révolution industrielle a conduit à regrouper les hommes, auparavant dispersés dans le cadre de l'agriculture. L'habitat en a été modifié au même rythme qu'une concentration des travailleurs sur les sites de production manufacturiers et une urbanisation croissante. De manière saisissante, la révolution numérique contemporaine, associée à l'intelligence artificielle, redéploie désormais les hommes plutôt qu'elle ne les concentre, avec toutes les pertes de repères qui y sont associées. Aujourd'hui, l'économie numérique bouleverse la sphère marchande, puisque la croissance est plutôt fondée sur des flux numériques que sur des productions physiques, elles-mêmes délocalisables. La concentration du travail caractéristique de l'économie manufacturière s'est dissipée au profit d'un éclatement des travailleurs dans un contexte d'économie numérique et décentralisée. Le temps manufacturier linéaire est même devenu instantané. Si la révolution industrielle a promu un urbanisme de l'immobilité, l'économie de services numériques exige l'extrême mobilité de la main-d'œuvre.
C'est donc l'inverse de ce qui a caractérisé la révolution industrielle du XIXe siècle au cours de laquelle le colporteur a été remplacé par le boutiquier. Les GAFA ont remplacé le boutiquier par le commerce digital. La révolution industrielle manufacturière a rassemblé les hommes autour des lieux de production, la révolution numérique les disperse à nouveau. Cela étant, entre le travailleur entraîné dans les rouages du machinisme des Temps modernes de Chaplin aux zombies que nous sommes tous devenus par l'hypnose de quelques centimètres carrés de scintillement d'un écran ou d'un téléphone cellulaire, il n'y a finalement que peu de différence, à part l'organisation spatiale et disciplinaire du travail. Dans Le Capital, Karl Marx écrivait que l'habileté de l'ouvrier devient chétive devant la science prodigieuse...
Le déploiement de la révolution industrielle a entraîné le commerce international jusqu'à ce que le degré d'ouverture du monde, à savoir la totalité des importations et exportations ramenée au produit intérieur brut (PIB) mondial, atteigne 40 % en 1913, niveau qui ne sera atteint à nouveau qu'un 1973, après deux conflits mondiaux. Certains en infèrent d'ailleurs l'intuition que la mondialisation est source de conflits. Mais la mondialisation du commerce ne s'effectue pas selon les mêmes modalités pour le capital et le travail. Dès le moment où le capital est extrait du travail (Karl Marx le définissait comme un quantum de travail), il devient mobile et fluide. Le travail, en revanche, reste conditionné par des contraintes spatio-temporelles qui en limitent la mobilité. Selon Karl Marx, la force de travail a d'ailleurs, pour le capitaliste, à la fois une valeur d'usage et une valeur d'échange.
Dans une économie mondialisée, le travail transportable est naturellement (et malheureusement) attribué au « moins-disant » salarial et social. Cela entraîne des phénomènes de délocalisation dont le rythme est conditionné par les capacités d'exportation et d'importation des biens et services. Le travail perd son ancrage local : il est déterritorialisé. Cette déterritorialisation entraîne évidemment le déracinement social. Le différentiel de mobilité du capital et du travail explique la subordination du second au premier. C'est d'ailleurs ce qui avait conduit Karl Marx et Friedrich Engels (1820-1895) à conclure leur Manifeste du parti communiste de 1848 par le fameux "Proletarier aller Länder, vereinigt euch !" ("Proletaires de tous pays, unissez-vous !"), constatant que la loi des avantages comparatifs de David Ricardo (1772-1823) conduisait à la fragilisation du pouvoir de négociation de la rémunération du travail. Aujourd'hui, Karl Marx parlerait peut-être de tous les prolétaires et écologistes.